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CHAPITRE 4 L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UNE ÉTAPE IMPORTANTE MAIS DIFFICILE

4.3 L’ APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UN IMPACT MAJEUR SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

4.3.1 Des difficultés et un manque de confiance

Si l’impact de la langue ne se fait pas sentir en ce qui concerne l’établissement de liens avec d’autres membres de la communauté d’origine, il est grandement présent lorsqu’il s’agit d’élargir son réseau social au- delà de cette communauté, notamment avec les Québécois. Pour créer des contacts avec les membres de la société d’accueil, il va de soi qu’une maîtrise minimale de la langue française est nécessaire : « la barrière linguistique à l’arrivée est un facteur puissant de la détermination des réseaux » (Guilbert, 2005 : 68). En d’autres mots, le fait de parler français ou non influence largement les personnes que le migrant a la possibilité

d’inclure dans son réseau puisque, pour créer un contact et établir une nouvelle relation, une communication minimale est essentielle. Ainsi, pour réussir à créer des liens avec les Québécois, les participants se doivent de parler français; malheureusement, l’apprentissage semble très pénible. Au-delà même des opportunités de développer son réseau social, il y a un besoin quotidien de comprendre et parler le français pour mener sa vie à Québec ou, en d’autres termes, pour sa démarche d’intégration. Les participants ont tous dit, à un moment ou l’autre, à quel point l’apprentissage de la langue était ardu et que cela affectait leur installation à différents niveaux, notamment lors des interactions au quotidien. Même s’ils sont conscients de l’importance de savoir parler français et qu’ils ont le désir ardent d’y parvenir, les nombreuses difficultés reliées à la langue peuvent engendrer beaucoup d’inquiétudes qui se traduisent, dans le cas des participants, par des sentiments de gêne, de peur et, surtout, par un manque de confiance en soi.

L'atelier B, durant lequel on a abordé les difficultés vécues au Népal et à Québec, à l'aide d'un diagramme- araignée, a permis de recueillir des données sur les divers obstacles vécus par les participants. Les résultats montrent que, pour les deux vecteurs représentant leur vie à Québec, c’est-à-dire le cégep et la maison, et pour lesquels 98 éléments de réponse ont été énoncés, 83% des réponses sont liées à la langue chez les femmes et 69% le sont chez les hommes, pour une moyenne de 76% des réponses liées à la langue. Les types de difficultés qui concernent la langue varient entre lire une lettre, discuter avec le propriétaire de l'immeuble que l'on habite, contacter Hydro-Québec ou Bell, parler au téléphone et discuter avec des Québécois, les voisins immédiats, notamment. Les obstacles à franchir sont donc variés, mais concernent ici la communication en français.

Les participants rencontrés en entrevue m’ont également commenté leurs difficultés de vive voix. Asmita m’a raconté que « c’est pour moi… Très difficile pour moi écrire et comprendre. J’ai pas… J’ai pas capable parler bien français ». Dans le même sens, Roshan s’exprime au nom de sa communauté et explique que l’apprentissage du français est très dur : « Just sometimes, whenever we go to school, it will be really harder for [us] to understand and study you know… It’s not really easy to learn other language ». Quant à Vishal, il m’a dit que si personne ne s’est montré intéressé à participer à la recherche parmi ses amis, c’est en raison de l’obstacle de la langue : « moi, j’ai demandé à beaucoup de Népalais. Mais, ils ne sont pas intéressés à cause de la langue, là ». Ces extraits d’entretien montrent que si l’apprentissage de la langue est effectivement ardu, le blocage créé par les difficultés ressenties se traduit même par le refus de saisir certaines occasions de pratiquer la langue, comme celle de participer à cette recherche. Une personne s’est même désistée au dernier moment pour une entrevue formelle parce que la barrière de la langue lui apparaissait comme insurmontable. Une autre ne s’est tout simplement pas présentée au rendez-vous pour la même raison, choix qu’elle m’a expliqué ensuite en m’écrivant un message sur Facebook. Notons qu’au contraire, certains participants comme Vishal et Asmita m’ont clairement dit qu’ils étaient heureux de faire une

entrevue avec moi parce que c’était une chance de pratiquer le français avec une Québécoise. Ainsi, pour quelques-uns, la langue semble un défi trop grand pour être relevé alors que, pour d’autres, la difficulté est abordée de front en saisissant des opportunités de consolider leurs acquis.

Dans le même ordre d’idées, une animatrice du programme de francisation s'est vue répondre ceci, après avoir demandé à ses élèves ce qu’ils connaissent de l’histoire du Québec : « Beaucoup de choses dans la tête, mais pas pour parler ». La jeune femme qui a formulé cette réponse signifie clairement qu’elle voudrait dire quelque chose, qu’elle a quelques idées, mais qu’elle n’est pas capable de les exprimer à haute voix en français. Cela reflète probablement ce que les participants vivent au quotidien en ne maîtrisant pas encore la langue. Ils ont le désir de s’exprimer, de partager des choses avec autrui, mais ne semblent pas en mesure d'y arriver, en raison de leur manque de maîtrise de la langue. L'élève qui avait formulé cette réponse semblait très allumée, dans la classe, au Cégep de Sainte-Foy, mais elle m’a raconté plus tard qu’au Centre Louis- Jolliet, « je suis trop gênée de parler dans la classe. Je suis pas capable de parler dans la classe. Je suis trop gênée. Je suis pas assez bonne ». Elle vit, de toute évidence, un blocage se traduisant par une grande gêne, qui peut se reproduire dans son quotidien et, ainsi, limiter le nombre de personnes avec lesquelles elle décide d’entrer en contact.

On le voit, les difficultés éprouvées peuvent, engendrer un manque de confiance qui s'ajoute parfois à une timidité excessive. Un des exemples les plus frappants de cet état de choses est celui de Roshan, qui m’explique qu’il ne peut pas parler français parce qu’il n’est définitivement « pas bon »; il insiste pour mener l’entretien en anglais. Durant l’entrevue, arrive un moment où il reçoit un appel d’une Québécoise et où il doit dialoguer en français. La conversation qu’il tient est fluide alors qu’il doit répondre à des questions posées par son autre interlocutrice. Il hésite une seule fois sur un mot précis, mais en général son français est très compréhensible. Sur le coup, il y a de quoi être surpris de sa débrouillardise en français, alors qu'il affirmait ne pas pouvoir s’exprimer dans cette langue. Par le fait même, Roshan démontre un manque de confiance en ses habiletés, un manque de confiance qui semble être partagé par l’ensemble des participants rencontrés. Roshan donne plus de détails sur ses interactions en français :

We feel quite shame… I don’t know how to explain, I don’t know. We feel hard to talk with them [les Québécois] too. Shame or timid… Maybe, we feel also that, if we talk to them, maybe they don’t speak like… And, the problem is the language. Here, the people, especially the young people, they speak very loudly and also very fast and it would be very difficult to understand. So, here, in office of immigration, the school, the teachers, they speak very slowly and they tried us to make understand. So, the way they speak will be different. So, we feel that also. If we say hello and then if we don’t understand after that… [expression faciale et sourire illustrant la timidité].

Dans ce passage, en plus de mentionner la timidité et la difficulté de s'adresser à des Québécois, Roshan met le doigt sur un aspect que j’ai déjà abordé plus haut, c’est-à-dire le fait que ces derniers n’ajustent pas

nécessairement leur niveau de langage à la personne avec laquelle ils communiquent. C’est pourquoi il demeure timide et n’ose pas beaucoup discuter en français avec des Québécois spontanément, sauf s’il y est obligé en raison de son travail. Pareillement, lorsque je lui demande si les Québécois de son quartier entrent en contact avec lui, parfois, Vishal, qui parle pourtant très bien en français, m’explique qu’il a peur de faire rire de lui et que c’est une des raisons pour lesquelles il ne pousse jamais les conversations très loin : « […] ils parlent, mais… juste, on parle pas beaucoup là. Parce que moi je suis vraiment timide parler avec Québécois, Québécoises… Moi, je pense que si je parle français avec Québécois, Québécoise…. je pense qu’il va penser « c’est ben drôle » parce que… par exemple, si tu parles ma langue, si tu parles bien, mais l’accent, l’accent est différent, c’est drôle. C’est pour ça que je suis timide ».

De son côté, alors qu’elle travaille comme interprète, un emploi où la maîtrise de la langue se doit d’être assez avancée, Sajita aborde aussi le sujet de la timidité lorsqu’il s’agit d’interagir avec les Québécois en dehors du contexte professionnel : « je suis un peu timide à parler ». En fin de compte, pour les participants, les difficultés en français révèlent des inquiétudes multiples – comme celles de faire rire de soi, de ne pas se faire comprendre ou de ne pas comprendre ce qui est dit par un interlocuteur – ce qui génère un manque de confiance en soi traduit par une grande timidité lorsqu’il est question d’interactions avec les Québécois. D’ailleurs, Halsouet (2012) rapportait le même genre d’impressions chez un de ses participants. Ce dernier raconte que « they [the Bhutanese] don’t intent to meet Québécois because they feel unwillingness and they don’t know how to speak. Even if they know some words, the Québécois say ‘Je ne comprends rien’. So they feel humiliated and they don’t want to communicate with them » (Ibid: 133). Halsouet rappelle donc que « dans le quotidien, ces espaces de dialogue [entre Québécois et Bhoutanais/Népalais] demeurent souvent inaccessibles » (Ibid: 133). Les propos de Sajita vont directement dans ce sens :

Première barrière c’est, c’est langue. Beaucoup de Népalais-Népalaises, ils aiment parler. Ils aiment partager des choses avec Québécois. Ils ne sont pas capables. Ils doivent rester comme ça en regardant [elle mime les bras croisés et un regard où se lit l’incompréhension]. C’est pour ça que si on n’est pas capable de parler, on ne peut pas être comme meilleur ami. […] Pour ça qu’on a… comment on appelle? Un trou? [un fossé] Entre les Québécois et Népalais.

Il est important de bien comprendre ces divers sentiments reliés à la langue éprouvés par les participants parce que, tout comme le décrit Sajita dans l’extrait précédent, ils ont un impact sur le développement des liens avec les Québécois, sujet des discussions qui seront amenées plus loin au chapitre six. En d’autres termes, les difficultés en lien avec la langue influencent le développement des réseaux sociaux en limitant les opportunités de rencontrer, mais surtout de discuter, avec des Québécois ou d’autres immigrants d’origine différente. Du même coup, les réseaux sociaux sont d’autant plus susceptibles d’être orientés vers la communauté d’origine, ce que nous verrons aussi au chapitre six.

4.3.2 Un contraste : une curiosité et une ouverture envers la société