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CHAPITRE 1 UNE ANTHROPOLOGIE DE LA MIGRATION ET DE L’INTÉGRATION CENTRÉE SUR LES

1.2 L’ ORIENTATION MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

1.2.3 L’analyse des données

Il faut d’emblée insister sur le fait que l’analyse qualitative est d’abord une expérience signifiante du monde- vie (lebenswelt), une transaction expérientielle, une activité de production de sens qui ne peuvent pas être réduits à des opérations techniques (bien que des techniques essaient de les mettre en pratique). Il y a quelque chose de mystérieux dans la rencontre d’une sensibilité (celle du chercheur) et d’une expérience (celle d’un participant à la recherche) et cela doit être honoré et respecté. L’analyse qualitative est une activité humaine qui sollicite d’abord l’esprit curieux, le cœur sensible et la conscience attentive, et cet investissement de l’être transcende le domaine technique et pratique (Paillé et Mucchielli, 2008 : 48).

Dans le cas de cette recherche, l’analyse du corpus de données s’est produite en plusieurs phases. D’abord, il faut comprendre que « une analyse qualitative n’a pas de véritable début, il n’y a pas de moment distinct, évident qui en marquerait le point zéro, on ne peut pas dire ‘voilà, c’est à ce moment précis que commence l’analyse’ » (Ibid : 64). Avant même de commencer le terrain, l’étude exploratoire dont j’ai fait état dans l’introduction m’avait déjà amenée vers des pistes de réflexion sur la base desquelles j’ai orienté ce mémoire. C’est dire que les pistes interprétatives et réflexives que nécessite l’analyse des données se manifestent à toutes les étapes de la recherche. Sans prétendre à une application de la théorisation ancrée, je crois important de mentionner que par mon implication à long terme avec les immigrants du milieu de la francisation à Québec (depuis 2010), des pistes interprétatives se sont révélées tout au long du processus de recherche lesquelles ont suscité chaque fois de nouvelles questions à explorer. Plus spécifiquement, durant le terrain, les balbutiements de mon analyse se sont extériorisés à travers la construction d’un mur de post-it à mon bureau de travail. Je notais systématiquement toutes les idées m’apparaissant intéressantes et, au fur et à mesure, je bougeais les post-it de plus en plus nombreux en essayant déjà de faire un premier effort de catégorisation et, surtout, en identifiant les relations entre les idées. La durée du terrain, plus d’un an, a grandement aidé à l’élaboration de ces pistes d’analyse préliminaires. C’est d’ailleurs de cette pratique qu’a notamment émergé l’idée d’une curiosité marquée contrastant avec les difficultés d’apprentissage de la langue décrites dans le chapitre quatre.

Quoi qu'il en soit, il est possible d’identifier les étapes par lesquelles je suis passée pour l’analyse plus systématique à la suite du terrain. Pour ma part, l’analyse de contenu proprement dite a été précédée d’une étape importante, soit celle de regrouper les informations renfermées dans les documents recueillis lors des ateliers. Pour chacun d’eux, je me suis retrouvée devant un nombre considérable (entre neuf et onze) de tableaux, diagrammes et dessins ponctués de commentaires multiples des participants en format papier. Illustrons par un exemple, celui de l’atelier C. Il s’agissait de cartes de la mobilité représentant à la fois les déplacements et les lieux les plus fréquents dans une journée type. Le premier pas était de transposer les dessins dans des documents Word afin de rendre les données disponibles sur support numérique. J’ai donc pris chaque carte de la mobilité pour en retracer les points principaux dans des tableaux, les accompagnant de textes descriptifs pour chaque participant. Une fois les données ainsi remaniées de façon à pouvoir les comparer entre elles, j’ai construit trois tableaux de déplacements : pour les hommes, pour les femmes et un tableau général, permettant du même coup d’interroger les données sous d’autres angles en fonction des objectifs de recherche. Par exemple, il m’était ainsi possible de dégager des tendances notamment sur les lieux fréquentés par les participants. Une dernière partie de l’analyse des ateliers était de reprendre l’objectif de chacun d’eux et de faire les constats généraux à partir des tendances dégagées et, ne l’oublions pas, en fonction des vecteurs retenus au préalable18. Une fois cette étape primordiale terminée, j’ai pu analyser les

autres données émanant des entrevues et des observations à l’aide d’une analyse de contenu : « toute analyse qualitative passe par une certaine forme de thématisation » (Paillé et Muchielli, 2008 : 161), processus dans lequel « il ne s’agit plus seulement de repérer des thèmes, mais également de vérifier s’ils se répètent d’un matériau à l’autre et comment ils se recoupent, rejoignent, contredisent, complémentent… » (Ibid : 162). Pour ce faire, il m’a fallu faire la transcription intégrale des entrevues formelles afin de les transposer dans des documents Word. Après avoir relu l’ensemble des données (analyses des ateliers, transcriptions et notes d’observation), j’ai procédé à l’analyse de contenu à l’aide du logiciel Dedoose et ce, à travers la thématisation en continu consistant en « une démarche ininterrompue d’attribution de thèmes et, simultanément, de construction de l’arbre thématique » (Ibid : 166). Afin de guider cette partie de l’analyse, des premiers thèmes ont été créés en fonction du cadre général de ma recherche (Ibid, 167-168) et, également, à partir de la première étape de l’analyse, soit celle des ateliers. La construction de l’arbre thématique a débuté avec l’analyse des entrevues formelles et s’est poursuivie avec l’ajout des observations pour compléter le processus. Enfin, tel que le précisent Paillé et Mucchielli (2008),

L’analyse ne s’arrête pas à l’étiquetage des extraits et débouche sur la construction d’une représentation synthétique et structurée du contenu analysé. La forme la plus usuelle de cette représentation est l’arbre thématique. Il s’agit d’un type de regroupement des thèmes où un certain nombre de thèmes principaux sont détaillés par des thèmes subsidiaires et par des sous-thèmes et parfois placés eux-mêmes sous des rubriques générales. Il présente sous forme schématisée l’essentiel du propos abordé à l’intérieur du corpus (Ibid : 182).

Ce sont donc ici toutes les étapes à travers lesquelles je suis passée pour l’analyse des données qui constituent la base de ce mémoire.

Conclusion

Ce chapitre a permis de bien circonscrire l’objet de cette recherche, soit la démarche d’intégration chez les réfugiés bhoutanais de la ville de Québec à travers l’étude de leurs réseaux sociaux dans un contexte transnational. Il est vrai que si, d’une part, l’anthropologie contemporaine des migrations demande la prise en compte d’une dimension transnationale dans le fait migratoire, l’exigence de la recherche demande, d’autre part, un ancrage spécifique pour appréhender les multiples réseaux et relations sociales qui s’y manifestent. C’est dans cette perspective que l’étude des réseaux sociaux apparaît comme un angle avantageux pour aborder la vie post-migratoire des réfugiés bhoutanais à Québec. Par ailleurs, considérant que cette population demeure encore peu connue, la recherche vise également à mieux connaître cette communauté de façon générale. Le questionnement principal de cette étude est donc le suivant : dans quels types de réseaux sociaux les réfugiés bhoutanais vivant à Québec s’insèrent-ils? Cette question sous-tend deux objectifs apparentés : cibler les espaces / temps de création des réseaux sociaux et vérifier quels sont les liens avec la société d’accueil. Pour répondre au questionnement qui concerne une meilleure connaissance générale de cette population, un dernier objectif est de documenter les conflits interethniques au Bhoutan qui ont mené à son expulsion du pays de même que la suite des événements qui ont mené à son installation à Québec. Plusieurs techniques de collecte des données ont été utilisées dans le cadre de cette recherche, notamment des ateliers basés sur des outils participatifs, de l’observation participante et des entrevues informelles et des entrevues formelles semi-dirigées et des échanges par Internet, à travers des outils virtuels tels que Facebook. La durée du terrain, plus d’un an, m’a permis de développer une relation de confiance davantage établie et de recueillir des témoignages – formels ou informels – complémentaires et plus approfondis. La durée du terrain a donc pallié aux contraintes vécues pour les ateliers. Durant cette année-là, mon statut initial parmi les participants a plus ou moins évolué vers celui d’amie québécois pour quelques-uns d’entre eux. Finalement, les données ainsi amassées ont été analysées à travers une analyse de contenu, précédée elle- même de l’analyse systématique des documents recueillis par les ateliers.

Dans le prochain chapitre, afin de bien comprendre l’origine des réfugiés bhoutanais, je présente les événements historiques qui ont mené cette communauté à s’exiler dans des camps de réfugiés au Népal en plus de m’attarder à leur vie dans ces camps.

Chapitre 2 Un regard historique sur les conflits interethniques