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L’ APPRENTISSAGE PROLONGÉE DU FRANÇAIS : D ’ AUTRES OCCASIONS

CHAPITRE 4 L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UNE ÉTAPE IMPORTANTE MAIS DIFFICILE

4.2 L’ APPRENTISSAGE PROLONGÉE DU FRANÇAIS : D ’ AUTRES OCCASIONS

Dans cette section, il est question d’autres occasions offertes aux immigrants qui désirent continuer leur apprentissage de la langue à temps plein ou à temps partiel. Si plusieurs choisissent de poursuivre leurs études au Centre Louis-Jolliet, d’autres préfèrent entreprendre des cours moins exigeants qui permettent, en même temps, de briser l’isolement qui serait vécu en demeurant à la maison.

4.2.1 Le Centre Louis-Jolliet

Après leur passage en francisation, beaucoup de Bhoutanais/Népalais de Québec veulent continuer à apprendre le français et s'inscrivent à des cours offerts au Centre Louis-Jolliet, un centre d’éducation aux adultes. Parmi les participants aux ateliers, neuf sur onze sont directement passés du Cégep de Sainte-Foy au Centre Louis-Jolliet; les autres participants l'ont également fréquenté, par la suite. Une animatrice, au Cégep de Sainte-Foy, affirme que le saut au Centre Louis-Jolliet semble parfois être l’unique possibilité envisagée par les Bhoutanais/Népalais; c'est, en tout cas, la plus populaire. J’ai moi-même pu le constater, lorsque j’ai demandé à des finissants du programme comment ils envisageaient leur futur; la seule chose qu'ils ont répondue a été : « Louis-Jolliet ». Quand ils atteignent le dernier niveau de la formation, au moment de remplir la feuille du plan de carrière – document permettant de faire un suivi plus serré par la suite avec le Centre Louis-Jolliet et Emploi-Québec – les animatrices du programme de francisation doivent aussi demander à leurs élèves ce qu’ils désirent faire lorsque le programme officiel sera terminé. Une des animatrices rencontrées affirme aussi que la réponse usuelle est : « Je vais aller à Louis-Jolliet’ ». Pour avoir d’autres types de réponse, elle doit les pousser à envisager un futur à plus long terme :

‘Tu vas juste aller à Louis-Jolliet? Tu vas juste apprendre le français pendant 20 ans? C’est parce que tu le parles déjà très bien là.’ Puis là… J’allais creuser et je réussis à leur faire dire, mais non ‘j’aimerais ça me trouver un emploi à temps partiel pendant que je suis à Louis-Jolliet’. ‘Ok, donc tu sais, tu connais c’est quoi un emploi à temps partiel. C’est ça que je veux que tu me dises là. C’est ça que je veux t’entendre me dire.’ J’en avais même un qui m’a dit ‘moi, je vais aller à Louis-Jolliet, je vais me trouver un emploi à temps partiel, j’aimerais ça au cégep faire des études en graphisme.’ En graphisme! Ok, alors il a appris, il a cherché.

Donc, en cherchant davantage que la réponse spontanée des élèves, on arrive à voir que, si le passage au Centre Louis-Jolliet semble essentiel à leurs yeux afin d’améliorer leur français, d’autres plans se dessinent en parallèle, comme celui d’intégrer le marché de l’emploi. Pour aider les élèves et s’assurer de faire un plus grand suivi après la francisation, le Programme d’aide à l’intégration en emploi (PAIE) était en rodage à l’hiver 2014. C’est dans ce cadre-là que des intervenants des commissions scolaires viennent désormais visiter les classes de francisation pour discuter de possibilités futures telles que des Attestations d’études collégiales (AEC) et des Diplômes d’études professionnelles (DEP). Cela dit, le marché de l’emploi sera l’objet d’une section dans le chapitre cinq.

Lorsque les cours de français aux adultes sont terminés, le Centre Louis-Jolliet permet également de faire ses études secondaires. Malgré tout, ce n’est pas la majorité des Bhoutanais/Népalais qui poursuivent leurs études jusqu’à ce stade. Plusieurs préfèrent entrer sur le marché de l’emploi ou arrêter tout simplement leurs études sans compléter le Diplôme d’études secondaires. Parmi les participants, Diti est une exception puisque, avec l’aide d’Emploi-Québec, elle est allée visiter une résidence pour personnes âgées. Le travail de préposée aux bénéficiaires lui a plu, elle a donc commencé un cours en septembre 2014. Comme à chaque étape de leur installation, le passage au Centre Louis-Jolliet permet aux réfugiés de continuer à développer leurs réseaux sociaux. Lorsque les élèves passent directement du Cégep de Sainte-Foy au Centre Louis- Jolliet, les Bhoutanais/Népalais connaissent déjà plusieurs de leurs collègues de classe, puisqu'ils les fréquentaient au cégep. De nouveaux contacts peuvent se faire malgré tout. Dans les faits, la plupart des Bhoutanais/Népalais continuent à développer leur réseau au Centre Louis-Jolliet. Les liens alors créés sont habituellement, chez mes répondants, plus faibles que ceux établis lors du passage dans le programme de francisation ou dans le quartier de résidence. La seule exception est Diti qui y a rencontré sa meilleure amie. À ce stade de leur parcours, les réseaux sociaux des participants sont déjà investis par plusieurs Bhoutanais/Népalais rencontrés auparavant, ce qui peut expliquer que les relations établies au Centre Louis- Jolliet demeurent habituellement des connaissances.

4.2.2 D’autres options moins exigeantes : sortir de l’isolement par des

études à temps partiel

Pour certains Bhoutanais/Népalais, les cours à temps complet ne concordent pas avec leurs autres obligations, parfois des responsabilités familiales auprès des enfants ou des aînés de leur famille. Ces personnes sont davantage sujettes à l’isolement et le fait de suivre des cours à temps partiel peut s’avérer une solution intéressante pour continuer, malgré tout, l’étude du français. Parmi ces alternatives, il existe les ateliers de français du Centre Monseigneur Marcoux60 (Limoilou), ainsi que les activités offertes par les

organismes Atout Lire (Saint-Sauveur) et Lis-moi tout Limoilou. Ces programmes, dont l’implication varie d’une seule séance à plusieurs séances de quelques heures par semaine, proposent des cours de français de différents niveaux aux résidents de leur quartier respectif. Ils visent plus largement à favoriser le développement des habiletés de base en lecture, en écriture, mais aussi en calcul, à travers des exercices simples et, parfois, des activités interculturelles. Par exemple, les données disponibles sur le site du Centre Monseigneur Marcoux (CMM, 2014) pour les années 2012-2013 laissent voir que 46 Bhoutanais/Népalais l'ont fréquenté. Ils formaient alors 21,5% de l’ensemble des élèves des cours Milieu d’intégration pour les familles immigrantes de Maizerets et le deuxième pays avec le plus d’élèves derrière la Colombie (72 élèves). Un participant m’a mentionné que ses deux parents participaient à l’un de ces programmes, leur permettant de

continuer à pratiquer le français malgré des progrès difficiles en raison de leur âge et de leur condition d’analphabètes dans leur langue maternelle. À ce sujet, rappelons que « les nouveaux arrivants âgés se trouvent coupés du monde du travail. À quelques exceptions près, ils ont peu de chance de trouver un emploi et vivent un échec et une honte à recevoir l’aide sociale. La langue est aussi un problème majeur que peu vont surmonter » (Guilbert, 2005 : 69). Ainsi, une intervenante rencontrée m’explique que « ça les fait sortir de chez eux ». L’objectif principal de l’apprentissage du français sous-tend donc aussi un moyen de briser l’isolement auquel les personnes plus âgées font souvent face en contexte migratoire. En outre, les aînés ne sont pas les seuls à souffrir d’isolement après la francisation. Les mères de jeunes enfants aussi peuvent vivre ce type de situation. C’est pourquoi le groupe Atout Lire a mis sur pied un programme, Alfa Koala, pendant quelque temps, pour leur venir en aide. Une intervenante parle de l’impact de ce programme pour ces jeunes femmes :

Ça, c’est intéressant parce que c’est une clientèle qui est très isolée aussi. Ceux qui ont des enfants de zéro- cinq ans là… les nouveaux arrivants. Ils sont pris, ils allaitent. Ils sont pris chez eux à allaiter. Ils ne sortent pas beaucoup l’hiver. T’sé, c’est épeurant là de sortir avec ton bébé à -30 quand tu n’es pas habitué, quand tu ne sais pas qu’il ne va pas mourir gelé sur le coin de la rue. Donc, il y avait un programme où il y avait des gardiennes sur place puis ils pouvaient faire des ateliers de lecture ensemble avec leurs enfants. Puis, il y a une Népalaise qui a participé. Et, Isabelle, elle qui est en charge, elle me disait que l’apport qu’elle a apporté au groupe, ça a été vraiment trippant. T’sé, ça été bien. Alors, il y a des programmes. C’est ça. Il y a des options pour sortir ces gens-là de l’isolement.

Lorsque suivre des cours à temps complet s’avère impossible, certaines opportunités s’offrent donc aux Bhoutanais/Népalais qui veulent, malgré tout, continuer l’apprentissage de la langue tout en brisant l’isolement vécu en restant à la maison. Ceci étant dit, maintenant que l’on comprend mieux les étapes et les opportunités d’apprentissage de la langue, il faut exposer comment la langue affecte le développement des réseaux sociaux.

4.3 L’apprentissage du français : un impact majeur sur les réseaux sociaux