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CHAPITRE 6 LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LES RELATIONS INTERCULTURELLES

6.3 L ES RELATIONS INTERCULTURELLES : ENTRER EN RELATION AVEC L ’A UTRE ET COMMUNICATION INTERCULTURELLE

6.3.2 Comment entrer en contact avec l’Autre?

Même si les deux conditions d’avoir de l’intérêt et du temps sont remplies, d’autres difficultés peuvent survenir dans l’établissement d’une véritable relation en contexte interculturel. À cet effet, un questionnement fondamental chez les participants est de savoir comment entrer en contact, ce qui relève des codes culturels. Edmond et Picard (2008) identifient un système de régulation incluant des rituels d’interaction qui facilitent les relations sociales : « un rituel se présente comme une suite de comportements appris qui s’enchaînent de façon quasi immuable et que l’on adopte dans des situations prévues par une culture donnée : ‘pardon’ si l’on gêne, ‘je vous en prie’ après une excuse » (Ibid : 25). C’est à travers les rituels d’interaction que l’on sait comment entrer en contact avec une personne, comment l’aborder, comment démontrer du respect, etc. Pour les participants, en plus de la langue, il est difficile de comprendre toutes les subtilités induites par ces rituels, au quotidien, à Québec, puisque ceux-ci sont différents de ceux qu’ils ont appris au Bhoutan ou au Népal. Les propos de Vishal sont particulièrement éloquents lorsqu’il s’interroge sur la question du comment créer un contact avec un Québécois et reflètent les incertitudes vécues par les autres participants. Il m’explique qu’« au Népal, si on ne connaît pas le gars qu’on se rencontre, on donne l’introduction ‘ha yo! C’est qui tu es?’ On se rencontre ». Cependant, aborder quelqu’un dans la rue ne se fait pas aussi facilement à Québec et Vishal ne se sent pas à l’aise de le faire : « par exemple, sur la rue là, quand je marche sur la rue, si quelqu’un qui passe en devant de moi, je vais lui dire ‘salut’. Mais, je pense que si je dis ‘salut’, s’il ne m’écoute pas, ça va être timide. Par exemple, si je te parle, tu m’écoutes. Si je te parle, tu ne m’écoutes pas c’est… je vais être gêné ». Il ajoute même qu’il ne saurait pas quoi dire de toute façon : « pour parler, on besoin, on a besoin de sujet… parler de quoi? ».

Ainsi, il existe une ambiguïté sur la façon d’entrer en contact avec les Québécois. À ce sujet, Halsouet (2012) a également relevé cette difficulté chez ses participants. De son côté, Prévost (2010) a aussi noté un malaise dans l’établissement de la rencontre entre immigrants et Québécois: « tous les participants rencontrés s'entendent sur le fait qu'il n'est pas toujours facile d'entrer en relation avec les Québécois. Ils reconnaissent l'existence d'une certaine " distance ", voire d'une certaine peur, qui les sépare de ces derniers » (Ibid: 84). De plus, son étude a permis de voir que la mise en place d’activités de médiation interculturelle a eu un effet bénéfique sur l’établissement d’un contact entre Québécois et immigrants. En d’autres mots, le constat selon lequel il est impératif de créer un prétexte à la rencontre se répète, constat également fait par Sullivan (2012) et Halsouet (2012). Or, la question à laquelle il faut s’intéresser ultérieurement est de voir comment les Bhoutanais/Népalais peuvent développer des relations à long terme avec des Québécois et non pas uniquement des rencontres ponctuelles qui mèneront à de rares conversations sur Facebook, comme c’est le cas présentement avec les activités interculturelles qui se déroulent à Québec. La bonne formule à mettre en place pour ce type de rencontre reste encore à trouver, puisqu’une seule participante sur seize – Sajita – a pu

créer un lien durable dans ce contexte. D’ailleurs, voyons de plus près pourquoi les contacts demeurent difficiles, même dans un contexte créé spécifiquement pour faciliter les rencontres interculturelles.

À ce sujet, Rogers et Steinfatt (1999) tiennent compte de la notion de compétence interculturelle dans la compréhension de la situation décrite ici. La compétence interculturelle est plus spécifiquement « […] the degree to which an individual is able to exchange information effectively and appropriately with individuals who are culturally dissimilar. Individuals vary widely in their ability to communicate with culturally unalike others. As we noted in previous chapters, there is much evidence that intercultural communication is a difficult process » (Ibid: 221). Ce qu’il faut retenir est que, si les activités interculturelles proposées sont utiles et essentielles pour créer une opportunité de contact, cela ne signifie pas que les contacts auront effectivement lieu et cela, parce que la compétence interculturelle, qui se développe au gré de différents contacts interculturels, nécessite d’abord et avant tout une bonne volonté personnelle, qui n’est pas toujours présente. En d’autres mots : « heterophilous contacts with culturally different people provide an opportunity to become more interculturally competent, but they do not garantee it » (Ibid: 222). Ainsi, malgré la présence d’un prétexte à la rencontre interculturelle, le développement de relations n’est pas garanti.

Par ailleurs, les migrants ne sont pas toujours les seuls à ressentir de la gêne ou de la peur. Si le français fait office de barrière chez les migrants, lorsqu’il est question de discuter avec des Québécois, ces derniers peuvent également ressentir de la gêne lorsqu’on les charge d’aller à la rencontre des migrants. Il est vrai que, comme les Québécois maîtrisent le français, sur eux repose souvent une responsabilité de diriger les conversations alors que tous ne peuvent être à l’aise dans ce rôle. Je prends ici pour exemple des propos issus du pré-terrain réalisé au Cégep de Sainte-Foy auprès d’élèves en francisation. À l’époque, j’avais interrogé deux membres du comité El Vagabundo, le comité interculturel du cégep. Reflétant la pensée de plusieurs Québécois questionnés à ce moment-là, leurs propos laissaient transparaître un certain malaise à l’idée d’entrer en contact avec les Bhoutanais/Népalais. La première signale que, en raison de la gêne témoignée par ces derniers, c’est davantage aux Québécois de faire l’effort de diriger les conversations : « Tu veux leur parler, mais tu fais ‘Hey ! Salut!’. Ce n’est pas facile. Puis aussi les Bhoutanais, de par leur culture, sont vraiment plus gênés, sont plus introvertis. Donc, c’est plus aux Québécois d’aller les chercher. À moment donné, ils vont sourire plus, mais au départ ce ne sont pas des gens faciles à approcher je dirais, comme les Colombiens. Donc, pour ça, ça crée un inconfort si on veut ».

Parallèlement, la seconde identifie le même malaise en parlant des dîn«ô»mondes68, une activité précisément

organisée dans l’optique d’offrir un prétexte à une rencontre interculturelle : « Ils parlent tous ensemble dans leur langue commune et quand tu arrives, il faudrait asseoir un Québécois avec eux. Mais là, ils te regardent

tous en attendant sans rien dire. C’est comme bien ‘dirige la conversation’. Il faut que tu aies le lead, mais ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise de faire ça. Quand ils sont tous ensemble, c’est intimidant pour nous aussi ». Tout compte fait, le français et la gêne en découlant demeurent une barrière dans l’établissement de nouveaux liens chez mes participants tandis qu’un malaise est aussi présent du côté des Québécois, diminuant finalement la possibilité de créer de véritables relations interpersonnelles.