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Un contraste : une curiosité et une ouverture envers la société d’accueil

CHAPITRE 4 L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UNE ÉTAPE IMPORTANTE MAIS DIFFICILE

4.3 L’ APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UN IMPACT MAJEUR SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

4.3.2 Un contraste : une curiosité et une ouverture envers la société d’accueil

La section précédente nous a permis de comprendre que les participants vivent beaucoup de difficultés vis-à- vis l’apprentissage du français et qu’ils témoignent d’un grand manque de confiance en eux et ce, malgré un français parfois assez fluide à l’oral. Ce manque de confiance par rapport à leurs capacités linguistiques en français, et la gêne et la peur qui en découlent, contrastent avec une curiosité et une ouverture marquée face à la société québécoise. D’un côté, les difficultés reliées à la langue sont bien présentes alors que, de l’autre, les participants montrent un vif intérêt envers leur société d’accueil. Leur désir d’apprendre la langue s’étend aussi à d’autres aspects de la vie à Québec : les façons de faire, les lois, les règles de savoir-vivre, mais plus encore les activités à faire et les endroits à visiter. Ce désir général d’apprendre prouve que les participants s’engagent dans leur démarche d’intégration respective et que cette démarche est importante pour eux. Cette facette à travers laquelle s’exprime leur curiosité s’est manifestée à plusieurs reprises dans des contextes différents. C’est ce qu’on va voir dans les prochaines lignes.

Durant les premiers mois de terrain, au moment où les participants étaient en francisation au Cégep de Sainte-Foy, leur curiosité s’est d’abord exprimée par leur forte participation aux activités proposées au cégep. Une animatrice explique même que les Bhoutanais/Népalais sont souvent très nombreux à se présenter aux activités spéciales – camping, petite cabane à sucre, visite à Grosse-Île — offertes par le cégep : « ça, ces activités-là, souvent, je te dirais qu’ils participent plus que les autres nationalités. On avait beaucoup de tentes de Népalais quand on est allés [au camping] ». Une autre animatrice me raconte que les participants rencontrés au cégep étaient carrément impatients de s’initier au patinage lorsque l’hiver est arrivé : « ils m’en parlaient à chaque semaine ‘quand on va patiner, quand on va patiner?’. Ils voulaient vraiment là ». Ces participants ont démontré le même enthousiasme lors de la sortie d’initiation aux sports d’hiver au Domaine Maizerets. En effet, tous les élèves bhoutanais/népalais ont essayé avec ferveur le ski de fond et la raquette ou le patin, moments qui ont généré beaucoup de rires. Plus tard au printemps, l’activité de la cabane à sucre a été l’occasion, particulièrement pour les filles du groupe, de se montrer à nouveau curieuses. Elles ont goûté à tous les plats servis et ont participé activement aux activités offertes (visite de la ferme et de l’enclos des chiens, balade en chariot tiré par un tracteur, etc.). L’intérêt et l’enthousiasme décrits plus haut ont été présents pour la majeure partie des activités qui leur ont été offertes, telles que les visites au Musée de la Civilisation et au Parlement ou encore quand ils ont pu jouer aux quilles. Parallèlement, leur curiosité s’est également manifestée en tout temps dans la classe. Par exemple, lorsque l’événement Red Bull Crashed Ice61

a eu lieu, ce sont les élèves qui ont insisté pour visionner des vidéos de l’édition 2012. Ils cherchaient

61 À Québec, le Red Bull Crashed Ice est une compétition sportive réunissant des patineurs aguerris qui doivent descendre une piste

réellement à comprendre ce qu’est cette compétition d’envergure à Québec. L’intérêt constant démontré par les participants en diverses occasions témoigne de leur curiosité et, de ce fait, leur ouverture envers la société québécoise. Il ne s’agit pas seulement de faire l’apprentissage d’une langue, mais également d’apprendre un maximum de choses et de découvrir de nouvelles activités.

En somme, les participants semblent ressentir de grandes difficultés en français et ce, malgré une fluidité apparente lorsque certains parlent – la compréhension écrite et orale étant une autre question. Cela démontre un grand manque de confiance en eux par rapport à leurs habiletés en français, qui se traduit par une timidité outrancière. Malgré tout, ils font preuve d’une vive curiosité face à la société québécoise et les Québécois. Cet intérêt, s’il permet de rendre compte de l’importance que les participants accordent à leur démarche d’intégration, peut toutefois être ralenti par une maîtrise de la langue plus ou moins difficile selon les cas.

Conclusion

Ce chapitre a permis de mieux comprendre comment se déroule l’apprentissage du français pour les Bhoutanais/Népalais qui se retrouvent dans le programme FIPA, pour élèves peu alphabétisés, au Cégep de Sainte-Foy, et qui sont regroupés dans des classes généralement composées d’une majorité des membres de leur communauté. La francisation est une période marquante, qui permet notamment de briser l’isolement vécu à l’arrivée, surtout pour les premières cohortes qui y ont rencontré des gens qui sont devenus leurs amis. Dans le cas des derniers arrivés, ils ont tissé des liens dès leur arrivée dans le quartier, ce qui a fait de leur passage au cégep un événement moins essentiel à la création d’amitiés. Effectivement, les personnes alors fréquentées sont plutôt des connaissances aujourd’hui, même si elles demeurent mémorables dans la vie des participants. Les sorties et les visites, si elles permettent de mieux connaître le milieu d’accueil québécois, ne représentent pas des opportunités remarquables pour créer des contacts avec les Québécois puisque, comme on l’a vu, le problème de la langue persiste et empêche l’établissement de conversations. De plus, le contact est aussi difficile lors des activités spécifiquement interculturelles organisées pour fournir un prétexte aux rencontres entre Québécois et immigrants. Par ailleurs, la poursuite des études au Centre Louis-Jolliet, de même que les autres occasions d’apprendre le français à temps partiel, sont les étapes subséquentes au cégep les plus fréquentes. Elles offrent de nouvelles possibilités d'établir des contacts. Dans le cas des personnes qui ont participé à la recherche, ces contacts ont débouché dans certains cas sur des amitiés, mais le plus souvent, les liens sont demeurés faibles. Enfin, l'apprentissage de la langue constitue un défi important pour les Bhoutanais/Népalais installés à Québec et, pour les participants, elle constitue la plus grande difficulté à laquelle ils ont à faire face. Celle-ci se traduit par de multiples inquiétudes, qui génèrent des sentiments de gêne et de peur. Les nouveaux arrivants étant assaillis par ces diverses émotions, il devient difficile d’imaginer discuter avec des Québécois. C’est pourquoi l'une des participantes parlait de « trou » entre

les Québécois et les Bhoutanais/Népalais pour illustrer le fossé qui sépare les deux groupes. Malgré les difficultés reliées à la langue, les personnes ayant pris part à la recherche font preuve d’une grande ouverture envers la société d’accueil, leur timidité excessive contrastant avec leur vive curiosité. Malheureusement, cette ouverture est entravée par les obstacles que pose la maîtrise de la langue.

Dans le chapitre suivant, j’aborde enfin d’autres contextes où la création de nouvelles relations interpersonnelles est possible, suivant le passage dans le programme de francisation.

Chapitre 5 D’autres contextes de création des réseaux : l’emploi