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Section II. La compatibilité des normes d’un point de vue substantiel

A. Les solutions proposées

i. Le choix du siège

163. – Les dispositions consacrées au siège de l’arbitrage laissent à l’une des parties l’initiative de sa fixation. L’article 22§3 des Règles de Hambourg513 ainsi que

512 Ch. D. HOOPER, « Arbitration », in The Rotterdam Rules 2008, Commentary to the United Nations Convention on

Contracts for the International Carriage of goods Wholly or Partly by Sea, Al. ZIEGLER, J. SCHELIN, S. ZUNARELLI

(Ed.), The Netherlands, Kluwer Law International, 2010, p. 321 (323).

513 Art. 22, §3 R. Hambourg : « La procédure d’arbitrage est engagée, au c hoix du demandeur: a) Soit en un l ieu sur le

territoire d’un État dans lequel est situé: i) L’établissement principal du défendeur, ou, à défaut, sa résidence habituelle; ou ii) Le lieu où le contrat a été conclu, à condition que le défendeur y ait un établissement, une succursale ou une agence par

l’article 75§2 Règles de Rotterdam514 permettent au demandeur d’engager une procédure arbitrale dans différents lieux de son choix. Toutefois, le choix du siège est délimité et la partie peut choisir uniquement le lieu convenu par la clause d’arbitrage et un des autres lieux limitativement énumérés dans les conventions maritimes. Dans les Règles de Hambourg, l’articulation des options du siège n’est facultative que pour le « demandeur »515. Au contraire, les Règles de Rotterdam accordent le

droit de choisir à « la personne faisant valoir un droit contre le transporteur ». Ce privilège permet aux opérateurs maritimes qui ont pris l’initiative de recourir à l’arbitrage d’échapper à l’obligation de se soumettre au siège contenu dans la clause ou à celui indiqué par l’institution de l’arbitrage en charge d’organiser la procédure. Le raisonnement d’avoir adopté ces dispositions se justifie par le fait que la fixation du siège dans la clause d’arbitrage aurait été, en principe, le choix de l’opérateur présumé « fort », à savoir le transporteur516.

Les sièges privilégiés par les deux Règles en question sont, soit le port où les marchandises sont chargées ou déchargées du navire, soit le lieu d’établissement du transporteur. Les Règles de Hambourg et celles de Rotterdam ont ceci de différent que les premières permettent également de choisir le lieu du domicile du chargeur ou le lieu de la conclusion du contrat de transport, tandis que les secondes offrent également l’option du lieu de la réception ou de la livraison des marchandises517.

l’intermédiaire duquel le contrat a été conclu; ou iii) Le port de chargement ou l e port de déchargement. b) Soit en tout autre lieu désigné à cette fin dans la clause ou le pacte compromissoire. »

514 75§2 R. Rotterdam : « La procédure d’arbitrage se déroule, au choix de la personne faisant valoir un droit contre le

transporteur: a) En tout lieu désigné à cette fin dans la convention d’arbitrage; ou b) En tout autre lieu situé dans un État où se trouve l’un quelconque des lieux suivants: i) Le domicile du transporteur; ii) Le lieu de réception convenu dans le contrat de transport; iii) Le lieu de livraison convenu dans le contrat de transport; ou iv) Le port où les marchandises sont initialement chargées sur un navire ou le port où elles sont finalement déchargées d’un navire. »

515 F. BERLINGIERI, “The effect on arbitration of recent international maritime law conventions”, in P. SANDERS (ed),

New trends in the development of international commercial arbitration and the role of arbitral and other institutions, ICCA

Congress Series 1982, N° 1, Kluwer 1983, p. 297 (300).

516 Certains ont soutenu que l’interprétation de ces dispositions laissait entendre que les options offertes auront vocation à s’appliquer à défaut d’un accord des parties sur ce point [cf. C. LEGROS, « Les conflits de normes juridictionnelles en matière de contrats de transport internationaux de marchandises (suite) », JDI (Clunet) 2007, n° 4, p. 1081 ( 1112)]. Toutefois, l’interprétation selon laquelle le choix du s iège est laissé au demandeur, indépendamment de l’existence d’un siège convenu, ou non, nous semble plus probable. V. dans ce sens Report of the United Nations Commission Working group III on transport law, A/CN.9/616, § 274. Aussi la doctrine: O. CACHARD, « La Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer (Règles de Rotterdam) », JDI

(Clunet) 2012, p. p. 533 (566), G. MEIJER, “The Rotterdam Rules and the Arbitration”, EJCCL 2010, vol. 2, p. 42 (46).

517 Lorsque ces règles ont vocation à régir le transport multimodal des marchandises et non pas seulement le transport maritime, il paraît logique de prévenir non seulement le port de chargement ou de déchargement, mais, aussi, le lieu de la réception ou de la livraison prévu pour le transport terrestre.

Néanmoins, dans les deux conventions, l’efficacité de plein droit du siège convenu dans les clauses d’arbitrage conclues postérieurement à l a naissance du litige518 est retenue.

164. – L’initiative importante prise par les Règles de Rotterdam fut la création d’une catégorie spéciale de transport de volume, à savoir les « contrats de volume ». S’agissant des contrats réputés « équilibrés », en termes de pouvoir de négociation des parties, les rédacteurs ont essayé de rétablir la liberté contractuelle qui caractérise de manière générale les transactions commerciales519. Ainsi, les parties au contrat de

volume sont tenues de respecter le siège convenu dans la clause compromissoire, sous certaines conditions qui sont mentionnées afin d’assurer le respect de l’équilibre de force des parties : i. les noms des parties doivent être clairement indiqués, et ii. soit le contrat est individuellement négocié, soit une référence expresse à la clause d’arbitrage existe dans le contrat520. Si ces conditions ne sont pas réunies, il n’est ici

pas question de contrat de volume et donc, la règle générale de l’article précédent s’applique, à savoir la liberté du demandeur agissant à l’encontre du transporteur, de choisir le siège de l’arbitrage.

518 Art. 22, §6 R. Hambourg : « Aucune disposition du présent article n'affecte la validité d'un accord relatif à l'arbitrage

conclu par les parties après qu'un litige est né du contrat de transport par mer ». Art. 77 R. Rotterdam : « Nonobstant les dispositions du présent chapitre et du chapitre 14, après la naissance d’un litige, les parties à ce litige peuvent convenir de soumettre celui-ci à l’arbitrage en quelque lieu que ce soit ».

519 Art. 1 § 2 R. Rotterdam : « Le terme “contrat de volume” désigne le contrat de transport qui prévoit le déplacement d’une

quantité déterminée de marchandises en plusieurs expéditions pendant une durée convenue. La quantité peut être exprimée sous la forme d’un minimum, d’un maximum ou d’une fourchette ». Il s’agit notamment d’un contrat, largement utilisé dans

la pratique nord-américaine, aux termes duquel les chargeurs souhaitent réserver un important volume sur des navires desservant un service de ligne régulière. En France, ce contrat, connu comme « contrat de tonnage » divise la jurisprudence et la doctrine par rapport à sa nature juridique. En effet, il est considéré, soit comme contrat de transport, soit comme contrat d’affrètement au voyage, soit, comme un contrat-cadre. V. Cass. com., 22 juin 1981, n° 77-15.605, Paris, 16 mai 1980, DMF 1980, p. 536, note R. ACHARD, Aix-en-Provence, 19 avr. 1984, DMF 1985, p. 216, note R. ACHARD, Sentence CAMP 1039 du 12 déc. 2000, DMF 2001, p. 404. En raison de l’importance des volumes réservés par les chargeurs, ces contrats sont considérés comme le « fruit d’un certain équilibre contractuel » [O. CACHARD, « La Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer (Règles de Rotterdam) »,

JDI (Clunet) 2012, p. 533 (535)]. Il est démontré que, lorsque les chargeurs ont un fort pouvoir de négociation, ces contrats

comportent rarement des clauses limitatives de responsabilité du transporteur. Ainsi, les Règles de Rotterdam n’hésitent pas à restaurer la liberté contractuelle pour ce domaine du transport maritime (art. 80 § 1 R. Rotterdam). À cet égard, v. Ph. DELEBECQUE, « La Convention sur les contrats internationaux de transport de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer : ‘a civil law perspective’ », DMF 2009, n° 702, p. 335 (338), A. KOZUBOVSKAYA-PELLE, « Le contrat de volume et les Règles de Rotterdam », DMF 2010, n° 712, p. 175, P. MANKOWSKI, “The Rotterdam Rules - Scope of Application and Freedom of Contract”, EJCCL 2010, vol. 1-2, p. 11 (19), G. MEIJER, “The Rotterdam Rules and the Arbitration”, EJCCL 2010, vol. 2, p. 42 (47), P. K. MUKHERJEE, A. BASU BAL, « A Legal and Economic Analysis of the Volume Contract Concept under the Rotterdam Rules : Selected Issues in Perspective », JMLC 2009, vol. 40, n° 4, p. 579, P. BONASSIES, Ch. SCAPEL, Traité de droit maritime, 2ème éd., Paris, LGDJ-Lextenso éd, 2010, p. 631, § 923 bis, R. ILLESCAS, « L’Espagne ratifie les règles de Rotterdam : ce qui change au niveau du droit du transport international suite à ces règles », DMF 2011, p. 691.

520 Art. 75§3 R. Rotterdam : « La désignation du lieu de l’arbitrage dans la convention d’arbitrage a force obligatoire pour

les litiges entre les parties à cette convention si elle est contenue dans un contrat de volume qui indique clairement le nom et l’adresse des parties et, soit: a) A fait l’objet d’une négociation individuelle; soit b) Indique de manière apparente qu’une convention d’arbitrage a été conclue et spécifie dans quelles clauses du contrat elle se trouve. »

Toutefois, le tiers porteur du document du transport de volume est lié par le siège prévu dans le contrat de transport, à la triple condition (75§4 R. de Rotterdam) qu’il s’agisse d’un des sièges limitativement énumérés dans cet article, que la clause figure dans le document du contrat de volume et que le tiers soit informé en temps utile. Il est aussi mentionné que le tiers peut être lié par la clause seulement si la loi applicable le permet521.

165. – Nous remarquons que l’engagement du tiers « […] par la désignation du lieu

de l’arbitrage […] » est soumis aux conditions d’opposabilité de la clause

compromissoire. De la même façon, les Règles de Rotterdam subordonnent l’exclusivité du siège convenu, pour les porteurs des connaissements de charte-partie, à deux exigences qui correspondent aux conditions de leur engagement par la clause compromissoire, à savoir l’incorporation expresse de la clause d'arbitrage dans la charte-partie et la désignation des noms des parties à la charte522. Autrement dit, pour

ces catégories d’opérateurs, lorsque la clause compromissoire leur est opposable, ils sont également tenus par le siège convenu par celle-ci, sans possibilité de l’écarter au profit d’un autre siège choisi unilatéralement.

166. – Les conventions maritimes n’ont pas manqué de prévoir que les dispositions régissant le choix du siège font partie de toutes les clauses insérées dans un contrat de transport maritime qui rentre dans le champ d’application de ces Règles523. Cette

521 Art. 75§4 R. Rotterdam : « Lorsqu’une convention d’arbitrage a été conclue conformément au paragraphe 3 du présent

article, une personne qui n’est pas partie au contrat de volume est liée par la désignation du lieu de l’arbitrage dans cette convention uniquement si: a) Le lieu de l’arbitrage désigné dans la convention correspond à l’un des lieux mentionnés à l’alinéa b du paragraphe 2 du présent article; b) La convention est contenue dans le document de transport ou le document électronique de transport; c) Cette personne est dûment avisée, en temps utile, du lieu de l’arbitrage; et d) La loi applicable prévoit que cette personne peut être liée par la convention d’arbitrage. »

522 Art. 76§2 R. Rotterdam : « Nonobstant le paragraphe 1 du présent article, une convention d’arbitrage dans un document

de transport ou dans un document électronique de transport auquel la présente Convention s’applique par le jeu de l’article 7 est soumise au présent chapitre sauf si ce document: a) Identifie les parties à la charte-partie ou à un autre contrat exclu du champ d’application de la présente Convention par le jeu de l’article 6 et indique la date de cette charte-partie ou de ce contrat; et b) Incorpore par référence expresse la clause de la charte-partie ou de l’autre contrat qui contient les termes de la convention d’arbitrage. »

523 Art. 22 § 5 R. Hambourg : « Les dispositions des paragraphes 3 et 4 du présent article sont réputées incluses dans toute

clause ou pacte compromissoire, et toute disposition de la clause ou du pacte qui y serait contraire est nulle. »

Art. 75§5 R. Rotterdam : « Les dispositions des paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont réputées incluses dans toute

clause ou pacte compromissoire, et toute disposition de la clause ou du pac te est nulle dans la mesure où elle y serait contraire. »

prévision modifie quasiment toute clause compromissoire dans ce sens524, afin de protéger les opérateurs faibles dans le transport maritime et assurer l’application effective des règles substantielles des conventions concernant la responsabilité des transporteurs525.

ii. Le choix du droit applicable

167. – L’application effective du régime des Règles de Hambourg est scellée par la disposition qui oblige les arbitres à appliquer son régime au fond du l itige526. Nous

avons souligné que, malgré la priorité accordée aux conventions spécialisées en matière d’arbitrage international, par l’article 25 § 2, les arbitres sont expressément tenus d’appliquer au fond du litige les dispositions de cette convention maritime. Lorsque les parties au contrat ont expressément choisi les Règles de Hambourg par une clause paramount ou à t ravers une loi étatique qui a ratifié ce t exte, il ne nous paraît pas illogique de supposer que le contrat de transport est soumis à ce régime. Le choix de la loi applicable au contrat est clair et non équivoque.

Au contraire, lorsque les Règles s’appliquent en tant que « convention internationale » au forum d’un pays qui les a ratifiées, l’interdiction de déroger à ce régime par le choix effectué dans une clause compromissoire soulève certaines questions. Cette interdiction n’est pas compatible avec le principe de l’autonomie des parties qui leur permet de soumettre le litige à une loi étatique ou à un ensemble des normes internationales, en considération de leurs propres intérêts. Cette obligation se heurte également, comme nous le verrons aussi par la suite, à la discrétion des arbitres de déterminer le droit applicable au contrat litigieux, à défaut d’un accord commun des parties.

168. – En cas de violation de la disposition sur le droit applicable au contrat, sont réputées nulles les stipulations qui prévoient le contraire527. La doctrine est partagée

524 Ch. D. HOOPER, « Arbitration », in Al. ZIEGLER, J. SCHELIN, S. ZUNARELLI (Ed.), The Rotterdam Rules 2008,

Commentary to the United Nations Convention on Contracts for the International Carriage of goods Wholly or Partly by Sea, The Netherlands, Kluwer Law International, 2010, p. 321 (328).

525 C. LEGROS, « Les conflits de normes juridictionnelles en matière de contrats de transport internationaux de marchandises (suite) », JDI (Clunet) 2007, n° 4, p. 1081 (1113).

526 Art. 22 § 4 R. Hambourg : « L'arbitre ou le tribunal arbitral applique les règles de la présente Convention. » 527 Articles 22 § 5 R. Hambourg précité.

sur l’étendue de cette sanction et lui consacre deux interprétations528 : soit toute la clause est réputée nulle, en conséquence, le litige est renvoyé aux juridictions étatiques conformément aux règles du droit international privé, soit seule la stipulation contraire aux dispositions de la convention internationale est sanctionnée par la nullité. Dans ce dernier cas, il incombe aux arbitres d’appliquer le régime de la Convention et non pas le droit désigné par la clause. Certes, la doctrine est favorable à la deuxième approche, dans un souci de respecter la volonté des parties de recourir à l’arbitrage529. Toutefois, soumettre la validité de la convention d’arbitrage à la

condition de désigner des normes spécifiques (en l’espèce les Règles de Rotterdam) applicables au fond du l itige ne se justifie pas au regard des principes d’arbitrage international.

169. – Dans les Règles de Rotterdam, nous ne retrouvons pas de dispositions identiques. Ses rédacteurs ne se sont pas précipités pour imposer une telle restriction aux parties ou aux arbitres, puisqu’ils étaient conscients du principe de l’arbitrage international selon lequel les arbitres sont libres de choisir le droit applicable au litige, à défaut d’un choix exprès des parties530.