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Section II. La méthode de détermination des normes applicables à la convention d’arbitrage du contrat de transport maritime de marchandises

A. La solution adoptée en matière d’arbitrage international

124. – Le juge saisi sur une demande concernant la validité de la clause compromissoire à titre préliminaire, avant que le tribunal arbitral ne rende une sentence arbitrale, est tenu par l’application du principe de compétence-

compétence421. Ce principe indique que les arbitres ont priorité pour statuer sur leur propre compétence après avoir examiné au fond la validité de la clause d’arbitrage. La Convention de New York invite le juge étatique saisi d’un litige « sur une

question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article [de renvoyer] les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une des parties, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou n on susceptible d’être appliquée » (Art. II.3). Suivant la même formulation, l’article 8 de

la loi-type CNUDCI permet aux juridictions étatiques de soumettre un l itige aux arbitres, à moins qu’elles ne constatent que la convention d’arbitrage est « caduque,

inopérante ou non susceptible d’être exécutée »422.

125. – L’interprétation de la Convention de New York précitée nous permet de déduire que le juge, lors de cet examen préalable de la convention arbitrale, doit se prononcer en application des règles de conflit de l’article V ainsi que de la règle matérielle de l’article II. Il reste, cependant, à rechercher si, à ce stade, il y a l ieu d’effectuer un contrôle approfondi de la clause compromissoire ou simplement un contrôle prima facie, privant le juge de la possibilité d’examiner tous les aspects de ladite clause.

Une « interprétation constructive »423 pourrait éclaircir la solution à retenir. L’article 8 de la loi-type CNUDCI est interprété comme invitant, pratiquement, les juridictions étatiques à ef fectuer un contrôle approfondi afin de statuer sur la validité de la clause424. Dans l’historique de la rédaction de la loi-type nous retrouvons des

421 Il est nécessaire de faire la distinction entre le principe de compétence-compétence et le principe de l’autonomie. Bien qu’une partie de la doctrine, notamment au sein de la juridiction anglaise et grecque, estime encore que les deux principes ne sont appréhendés qu’ensemble, il est majoritairement admis que si ces deux principes « entretiennent des rapports étroits et

concourent à un même but, ils ne se recoupent que très partiellement. » Cf. J.F. POUDRET, S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, Genève, LGDJ, 2002, p. 135, § 166, Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Paris, Litec, 1996, p. 229, § 416, ainsi que p. 413, § 658, J.-B. RACINE, « La sentence

d’incompétence », Rev. arb. 2010, p. 729.

422 Loi-type CNUDCI, Article 8. « Convention d'arbitrage et actions intentées quant au fond devant un tribunal: 1. Le

tribunal saisi d'un différend sur une question faisant l'objet d'une convention d'arbitrage renverra les parties à l'arbitrage si l'une d'entre elles le demande au plus tard lorsqu'elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu'il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d'être exécutée. [2. …]. »

423 A. DIMOLITSA, « Autonomie et Kompetenz-Kompetenz », Rev. arb. 1998, p. 305.

424 Fr. BACHAND, “Does article 8 of the Model Law call for full or prima facie review of the arbitral tribunal’s jurisdiction?”, Arb. Int’l 2006, vol. 22, n° 3, p. 463, A. SAMUEL, Jurisdictional problems in international commercial

arbitration: a study of Belgian, Dutch, English, French, Swedish, Swiss, U.S. and W est German Law, Zurich, Schulthess,

Publication de l’Institut Suisse de droit comparé, 1989, p. 190, G. BORN, International Commercial Arbitration, Vol. I, Austin, Kluwer Law International, 2009, p. 880.

discussions sur le rejet de la proposition d’effectuer un contrôle prima facie, qui s’arrêterait au constat d’une nullité manifeste de la clause d’arbitrage425.

i. Les juges grec et anglais

126. – Au sein des juridictions grecques et anglaises, il est également admis que le contrôle étatique de la clause d’arbitrage, à ce stade de la procédure arbitrale, peut être assez étendu426. En droit anglais, il est spécifiquement prévu que, lorsqu’une

partie conteste la validité de la clause arbitrale et refuse de participer à la procédure arbitrale427, un c ontrôle approfondi des moyens soulevés est acceptable, voire

nécessaire428. Par ailleurs, dans des circonstances exceptionnelles, le droit anglais offre la possibilité à une partie de saisir le juge étatique afin de statuer à titre principal sur la validité de la clause d’arbitrage, malgré la constitution du tribunal arbitral. Dans ce cas de figure, la loi soumet ce droit à des conditions assez précises (voir l’article 32.2.b429). Lorsque le juge anglais est saisi dans un t el contexte bien défini, en parallèle avec le tribunal arbitral, il serait probablement opportun de se limiter à un contrôle prima facie430. Or, ni le texte législatif, ni la jurisprudence

anglaise ne le prévoient expressément. Au contraire, il apparaît que les juridictions

425 Cette proposition issue des certains groupes des travaux de la loi–type a été rejetée dans un souci de préserver le pouvoir du juge étatique. Cf.G. BORN, ibid., p. 882 – 883 (réf. n° 164).

426 L’article de la loi-type a été repris par l’article 8 de la loi grecque 2735 / 1999 régissant l’arbitrage international, ainsi que l’article 9 (4) de l’Arbitration Act de 1996 (“On an application under this section the court shall grant a stay unless satisfied

that the arbitration agreement is null and void, inoperative, or incapable of being performed”. Pour une traduction de la loi

anglaise: Rev. arb. 1997, p. 93 et suiv. : Article 9 (4) : « La juridiction saisie d’une demande [de dessaisissement] en

application du présent article se déclare incompétente à moins qu’elle ne constate que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. »)

427 Cf. P. AEBERLI, “Jurisdictional disputes under the Arbitration Act 1996: a procedural route map”, Arb. Int’l 2005, vol. 21, n° 3, p. 253, R. MERKIN, L. FLANNERY, Arbitration Act 1996, 4th ed., London, Informa, 2008, p. 41, D. J. SUTTON, J. GILL, M. GEARING, Russell on arbitration, 23ème éd., London, Sweet & Maxwell, 2007, § 7-143, p. 413 suiv, C. AMBROSE, K. MAXWELL, London maritime arbitration, London, LLP, 1996, p. 55 et suiv., Ahmad Al-Naimi Agency v

Islamic Pressc CA, [2000] 1 Lloyd’s L.R. p. 522 (524), Inco Europe (HL), [2000] 1 Lloyd’s L.R. p. 467, A. DIMOLITSA,

« Autonomie et Kompetenz-Kompetenz », Rev. arb. 1998, p. 305, KOUSSOULIS, Το δίκαιο της διαιτησίας [Le droit de

l’arbitrage], Athènes, Sakkoulas, 2006, p. 53, Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Paris, Litec, 1996, p. 422, § 675, G. BORN, op. cit., p. 960.

428 Fr. BACHAND, “Does article 8 of the Model Law call for full or prima facie review of the arbitral tribunal’s jurisdiction?”, Arb. Int’l 2006, vol. 22, n° 3, p. 463 (469), M. DASSULE, « Le contrôle de la compétence arbitrale par le juge anglais avant la sentence », Rev. arb. 2003, p. 65.

429 Article 32 Arbitration Act 1996 : « 1) Le juge, saisi à la diligence de l’une ou l’autre partie à l’instance arbitrale

(moyennant notification aux autres parties), peut statuer sur une exception relative à l a compétence du tribunal arbitral, sous réserve qu’il n’y ait pas forclusion (v. l’article 73). 2) Le juge ne donne suite à la demande que : a) si elle a été présentée avec le consentement écrit de toutes les autres parties à l’instance ; ou b) si elle a été autorisée par le tribunal arbitral, et si le juge constate à la fois : (i) qu’une décision de sa part est susceptible d’économiser des frais substantiels ; (ii) que la demande a été introduite sans délai ; (iii) qu’il existe un motif valable pour que la contestation soit tranchée judiciairement. […] »

anglaises procèdent à un c ontrôle au fond, à chaque occasion d’examen à titre principal de la clause d’arbitrage431.

127. – Cependant, la doctrine grecque432 a reconnu un cas dans lequel le juge peut se prononcer prima facie sur la validité de la clause d’arbitrage : il s’agit du cas où le juge étatique est saisi afin de faciliter le déroulement de la procédure arbitrale en désignant un arbitre (par exemple, pour la partie défenderesse qui ne participe pas volontairement à la procédure, conformément à l’art. 878 CPC grec – équivalent de l’article 1451 § 3 CPC français). Dans ce cas, il est admis qu’un contrôle approfondi n’est pas nécessaire lorsque le rôle du juge d’appui n’est pas déterminant pour la validité de la clause d’arbitrage. Cette question peut toujours faire l’objet d’un contrôle approfondi par les arbitres et, le cas échéant, par le juge d’annulation ou de reconnaissance et d’exécution de la sentence arbitrale.

ii. Le juge français

128. – Au contraire, le juge français, restant fidèle à une ligne très libérale et favorable433 à l’arbitrage international, est censé se déclarer incompétent pour statuer

sur la question, sauf si la clause est manifestement nulle ou inapplicable. Il s’agit du contrôle prima facie de la convention d’arbitrage. Lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, le juge se voit lié par la disposition de l’article 1448 CPC434 qui lui

permet d’effectuer uniquement un contrôle prima facie (à savoir un contrôle très réduit) de la convention d’arbitrage. Toutefois, si le tribunal est déjà constitué, aucun examen relatif à la validité ou la portée de la convention d’arbitrage n’est permis au juge français, en tel examen étant par priorité réservé au tribunal arbitral. Il s’agit de

431 M. DASSULE, op. cit., p. 76, ABB Lummus Global Ltd v Keppel Fels Lts, [1999] 2 Lloyd’s L.R. p. 24, Vale de Rio Doce

Navegaçao S.A. and another v Shanghai Bao Steel Ltd and another, [2000] 2 Lloyd’s L. R. p. 1.

432 A. DIMOLITSA, « Autonomie et Kompetenz-Kompetenz », Rev. arb. 1998, p. 305, St. KOUSSOULIS, Το δίκαιο της

διαιτησίας [Le droit de l’arbitrage], Athènes, Sakkoulas, 2006, p. 53.

433 Ph. LEBOULANGER, “The arbitration agreement: still autonomous?”, in A. J. VAN DEN BERG (ed), International

arbitration 2006: Back to basics?, ICCA Congress Series 2006, N° 13, Kluwer Law International 2007, p. 3, E. GAILLARD,

note sous Cass. 1ère civ., 26 juin 2001, Navire Tag Hauer, Rev. arb. 2001, p. 529 (533), note E. GAILLARD, DMF 2002, p. 115, obs. Ph. DELEBECQUE, Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial

international, Paris, Litec, 1996, 1996, p. 423, § 678.

434 Article 1448 CPC français : « Lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de

l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement inapplicable.

La juridiction de l’Etat ne peut relever d’office son incompétence. Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite. »

la consécration de l’effet négatif du principe de compétence-compétence, attribuant une priorité réelle aux arbitres pour se prononcer sur leur propre compétence435. L’examen prima facie de l’existence et de la validité de la clause d’arbitrage prend la forme d’un contrôle qui s’étend jusqu’à la constatation de la nullité ou de l’inapplicabilité manifeste de la clause, sans aller plus loin en examinant la clause au fond436. Une série d’arrêts démontre que cette disposition s’applique en matière

d’arbitrage international. La notion de « nullité manifeste » est entendue de manière étroite. Il s’agit « d’une nullité évidente, incontestable, qu’aucune argumentation

sérieuse n’est en mesure de mettre en doute »437. Ainsi, la jurisprudence en matière

d’arbitrage international précitée retient, de manière générale, comme clause manifestement nulle, celle qui ne représente aucun lien et aucun rapport avec le litige, pour lequel le juge est saisi438.

129. – Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’un contrôle approfondi des juges anglais et grec ou d’un contrôle prima facie du juge français, il y a une limite importante au pouvoir du juge lors de l’examen préalable de la clause compromissoire. Le juge saisi doit laisser aux arbitres le soin de dire si le litige rentre dans le champ d’application de la clause compromissoire invoquée.439. L’interprétation de la clause et l’examen de son ampleur (à savoir la question de l’extension de la clause compromissoire à des contrats liés ainsi que l’identité des parties unies à cette convention) ne rentrent pas dans le pouvoir d’appréciation d’aucun juge à ce stade préalable. Autrement dit, le juge doit vérifier l’existence apparente de la clause.

435 Ch. SERAGLINI, J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage interne et international, Paris, Montchrestien - Lextenso éditions, 2013, p. 189, Cass. 1ère civ., 5 janv. 1999, Rev. arb. 1999, p. 260, note Ph. FOUCHARD, A. DIMOLITSA, « Autonomie et Kompetenz-Kompetenz », Rev. arb. 1998, p. 305 (333), Cass. 1ère civ., 1er déc. 1999, Rev. arb. 2000, p. 96 (1ère esp.), note Ph. FOUCHARD, RDAI 2000, p. 506, obs. Ch. IMHOOS, Cass. 1ère civ., 26 juin 2001, Navire Tag Hauer,

Rev. arb. 2001, p. 529 (533), note E. GAILLARD, DMF 2002, p. 115, obs. Ph. DELEBECQUE.

436 Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op. cit., p. 422, § 672.

437 Ph. FOUCHARD, « La coopération du Président du Tribunal de grande instance à l’arbitrage », Rev. arb. 1985, p. 5. 438 Ph. FOUCHARD, note sous Cass. 1ère civ., 1er déc. 1999, Rev. arb. 2000, p. 96 (102). Aussi, à titre d’exemple, une autre raison, souvent retenue par les juges français pour prononcer leur compétence au détriment de celle du tribunal arbitral, est la non-arbitrabilité du litige. Cf. Paris, 7 déc. 1994, Rev. arb. 1996, p. 245, note Ch. JARROSSON, RTD com. 1995, p. 401, obs. J.- C. DUBARRY, E. LOQUIN, maintenu par Cass. 1ère civ., 21 mai 1997, Rev. arb. 1997, p. 537, note E. GAILLARD, Cass. 1ère civ., 5 janv. 1999, Rev. arb. 1999, p. 260, note Ph. FOUCHARD.

439 Ph. FOUCHARD, note sous Cass. 1ère civ., 1er déc. 1999, Rev. arb. 2000, p. 96 (102), G. BORN, International Commercial