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3. Cadre théorique

3.1. Sociologie de la vieillesse et du vieillissement

Pour ce domaine qui m'était totalement étranger, je me suis approchée de Stefano Cavalli, alors, maître-assistant du centre interfacultaire de gérontologie et d'études de vulnérabilités de l'université de Genève qui m'a donné les références concernant la vieillesse et une information qui m'a rassurée et fait sourire : on devient vieux à partir de 83 ans1.

La vieillesse n'est pas facile à définir, les termes se confondent, se recouvrent ou s'opposent parfois. On évoquera tantôt le terme de personnes âgées, de vieillards, de troisième et quatrième âge, de retraités, de seniors. Il est difficile aussi de déterminer le seuil de la catégorie des personnes âgées. Selon Caradec (2012), les statistiques le fixe à 60 ans, mais bien des sexagénaires refuseraient ce classement.

Il est certain qu'au cours du XXe, la vieillesse s'est profondément modifiée, elle est devenue une étape normale de l'existence que chacun espère vivre. La mise en place de systèmes de sécurité sociale en a fait le temps de la retraite qui s'est allongé considérablement depuis une soixantaine d'années. D'après Caradec, (2012) on distingue trois objets de la sociologie de la vieillesse et du vieillissement :

1. La strate d'âge de la vieillesse comme la construction sociale avec les représentations qui lui sont associées et à la mise en forme des rapports entre générations.

2. Le groupe d'âge des « personnes âgées » avec la description de ces personnes en

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1 Enquête internationale qui aborde la subjectivité de l'âge qui consiste à demander : à quel âge les gens se sentent-ils

s'interrogeant sur leur spécificité, leur homogénéité et sur leur éventuelle mobilisation politique.

3. Le processus de vieillissement individuel qui s'interroge sur les transformations du rapport à soi et au monde, depuis la retraite jusqu'à la mort.

Ces trois objets de sociologie cités, il me semble important d'aller interviewer les 7 personnes que j'ai choisies et de retrouver dans leur récit leur spécificité et leur homogénéité et de m'interroger sur leur transformation de leur avancée en âge, de la retraite à la mort. Allons voir comment la société structure cet âge de la vie en s'interrogeant sur la construction sociale de la vieillesse.

3. 1.1. Les cadres sociaux et juridiques de la vieillesse

La construction sociale de la vieillesse consiste à analyser de quelle manière la société structure cet âge de la vie. Nous prendrons en compte la place de l'État qui prend une place importante à travers les politiques sociales et qui met en place le système des retraites, l'Assurance-vieillesse et survivants AVS qui couvre les besoins vitaux des assurés en cas de perte de revenu dû à la vieillesse ou du décès de la personne assurant le soutien de la famille. En Suisse, les hommes perçoivent officiellement leur retraite à 65 ans et les femmes à 64 ans. Avec ce système un nouveau statut est né, celui des retraités. L'AVS2 a vu le jour en Suisse en 1948 et a connu dix révisions jusqu'à aujourd'hui. Elle subsiste grâce aux cotisations des salaires des employés.

Le débat politique porte sur la question de savoir jusqu'où la croissance économique parviendra à compenser la part grandissante des personnes vieillissantes de la population.

De vieux, les personnes ont passé au stade de retraités. Toutefois des clauses spécifiques à certaines professions, des marges de choix de cessation de travail se profilent et influencent l'âge de la retraite, on parlera alors de retraite anticipée, avec généralement une baisse des

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2 L'AVS est le principal pilier de la prévoyance sociale suisse, elle est obligatoire et permet à la personne assurée de se retirer à l'âge de la retraite en lui garantissant une sécurité matérielle.

indemnités. Ce qui fait dire à Guillemard (1986), cité par Caradec (2012), que :

L'organisation ternaire du cycle de vie, qui était au cœur de la société industrielle salariale, se décompose aujourd'hui. Elle voit se dessiner un mouvement de désinstitutionnalisation du parcours de vie et de déstandardisation des trajectoires individuelles, les transitions, les transitions d'un âge à l'autre apparaissent désormais moins nettes et pouvant être réversibles.

(p. 17)

Ce phénomène, nous allons probablement le rencontrer dans les différentes histoires de vie que j'ai récoltées. Les retraites ne se prennent pas forcément toutes au même âge et différents paramètres vont influencer les cessations d'activité. Les acteurs eux-mêmes peuvent influencer la structuration de leur existence. Il est important cependant de définir les nouvelles catégorisations et les nouvelles politiques de la vieillesse, ce que nous pourrons découvrir au chapitre suivant.

3.1.2. Nouvelles catégorisations et nouvelles politiques de la vieillesse

Selon Caradec (2012), des nouvelles catégorisations et des nouvelles politiques apparaissent avec plusieurs innovations sémantiques. Les vieux devenus retraités se redéfinissent en personnes du « troisième âge », en « personnes âgées dépendantes » et récemment en « seniors ». Le terme troisième âge a connu un large essor en 1970 avec les clubs, les voyages, les universités, etc. L'augmentation sans précédent de l'espérance de vie, l'accroissement de la richesse, l'octroi des rentes vieillesse et une vision plus valorisante, plus positive de la retraite. C'est ainsi qu'est apparu un nouvel âge de vie centré sur la réalisation de soi et qui prend sa place dans la société. À présent le terme « senior » remplace celui du troisième âge.

Mais pour les personnes âgées invalides et en situation de handicap, le terme de

« personnes âgées dépendantes » est couramment utilisé. La dépendance nécessitant une relation d'aide à la grande vieillesse et non comme une relation sociale. Dans les années 1990, le terme « senior » est apparu et contrairement aux catégories du troisième âge et de personnes âgées dépendantes, il est issu du monde du marketing. Ce terme pour des raisons économiques peut s'appliquer à des personnes à partir de 50 ans déjà, âge auquel la vitalité,

la jeunesse relative et les moyens financiers sont les plus attractifs.

Indépendamment du terme employé pour désigner les personnes âgées, il me semble important de consacrer une réflexion sur ce qu'on entend par « vieillesse » et comment on se la représente.

3.1.3. Les représentations de la vieillesse

Comment se représente-t-on la vieillesse ? Selon Caradec (2012), au fil du temps elle a évolué. La représentation n'est pas la même dans les différents domaines de la vie sociale.

Les représentations contemporaines sont organisées sur deux pôles : celui du retraité actif (« troisième âge ») qui profite de l'existence et qui vient en aide à ses proches et à la société et de l'autre côté et celui de la personne dépendante (« quatrième âge ») souffrant de solitude et attendant la mort. En ne donnant que ces deux images, une partie importante de la vieillesse est occultée. La vieillesse démente n'est pas représentée et tous les jeunes retraités ne sont pas forcément des seniors engagés.

À cela il faut rajouter une autre conception, celle du « bien vieillir » et Lalive d'Epinay et Spini (2008) de citer Row et Kahn (1997), qui parlent d'un « vieillissement réussi ». En se basant sur les progrès de la recherche, ces derniers s'estiment à même de présenter une véritable théorie du vieillissement. Selon eux, cette théorie comporte trois composantes principales, une faible probabilité des maladies et des infirmités, une capacité cognitive et intellectuelle élevée et enfin une forte implication dans la vie. En d'autres termes, le « bien vieillir » préconise de prendre soin de soi, de sa santé pour prévenir la dépendance et les vulnérabilités du grand âge et vous rend responsable d'une quelconque infirmité. Boutinet (1999) va dans le même sens en affirmant :

Dans une culture de l'acteur, l'adulte est mis dans une obligation de plus en plus fréquente d'avoir à se mettre en scène, à se décider par lui-même, à se déterminer dans ses responsabilités, ses projets, ses choix, en précisant sans arrêt ses intentions en guise de légitimation, dans un environnement qui lui demande continuellement des comptes. La culture postmoderne est une culture volontariste à un niveau sans doute jamais atteint jusqu'ici par aucune autre. (p. 217)

J'abonde dans le même sens que l'auteur : dans certains cas, il est demandé à la personne

âgée de se surpasser, d'avoir des projets personnels variés alors qu'elle n'en a aucune envie ou tout simplement qu'elle n'en a pas la force ni les moyens financiers, en ce moment précis. Cette responsabilité exigeante peut fatiguer l'individu et lui ôter l'envie d'entreprendre des activités valorisantes.

Caradec (2012) aborde le sujet différemment et parle du vieillissement comme processus d'expérience. Nous verrons dans le chapitre qui nous occupe l'importance des transitions qui jalonnent l'existence de l'individu.

3.1.4. Le vieillissement comme processus et comme expérience

Caradec (2012) aborde à présent la vieillesse d' une autre manière : « non plus aux dispositifs sociétaux qui la mettent en forme, ni au groupe d'âge de « personnes âgées », mais aux individus sociaux et à leur avancée en âge » (p. 87). L'expérience du vieillissement avec ses transitions prendra une place évidente au cours des années de retraite. Toujours, selon l'auteur, le vieillissement provoque trois changements perturbateurs pour l'identité : l'individu doit renégocier la définition de lui-même, son environnement relationnel se transforme et les routines qui font partie de sa vie quotidienne se déstructurent. Ensuite, j'aborderai le cap de la retraite qui est un moment crucial de ma recherche.

3.1.5. La retraite, un cap difficile à franchir

La transition de la retraite peut être difficile à gérer et douloureuse à vivre. En faisant référence à Caradec (2012) de citer Cumming et Henry (1960) relève trois problèmes auxquels sont exposés les retraités : la perte de leur statut, la privation de leur rôle instrumental et la disparition du groupe des pairs. Le vécu de la retraite doit être replacé dans son contexte. La manière dont il est vécu relève de leur trajectoire professionnelle. La retraite peut être vécue de façon désirable pour les fins de carrières, faciles pour ceux qui

exercent un travail pénible dont la pénibilité s'est accrue ces vingt dernières années sur le plan psychologique et physiologique. Elle est aussi valorisée par ceux qui veulent se réaliser dans un nouveau domaine et penchent pour des valeurs d'épanouissement et de réalisation de soi. Troadec (1998) cité par Caradec (2012), dégage plusieurs dynamiques identitaires :

L'acteur novateur qui s'investit fortement dans ses activités professionnelles et qui a de la peine de se projeter dans sa vie de retraité, l'acteur fonctionnel ou l'acteur pluriactif qui attache plus d'importance aux activités extra-professionnelles et pour qui le moment de la retraite est plus aisé. (p. 89) XXXXX

Cette citation m'amène à porter une réflexion sur les acteurs de mon étude pour valider ou invalider les propos des auteurs précités. Les conditions de la retraite jouent un rôle important dans la manière de vivre cette transition. Vivre seul, en mauvaise santé avec de faibles revenus prédit une mauvaise adaptation à la retraite. De même, cesser une activité brutalement ne reste pas sans effet traumatisant.

On pourrait se demander pourquoi le passage à la retraite se passe pour certains le plus souvent en douceur. Avant même la fin de son activité professionnelle, le futur retraité prend peu à peu des distances avec elle. Le sentiment que les promotions sont adressées aux plus jeunes et ne vous concernent plus, le droit à la formation est supprimé, les remarques des proches ou de collègues qui vous rappellent cette échéance, les cours de préparation à la retraite qui vous sont proposés, tous ces phénomènes contribuent à la désocialisation professionnelle. Parallèlement les anecdotes qui circulent à propos de la retraite jouent un rôle prophétique. Les néoretraités cherchent à éviter cette crise et sont satisfaits de l'avoir évitée.

À relever que Eraly (2013) relève les trois moments de l'épreuve de la retraite, il s'agit, de la préparation, la transition et du dépassement de cette dernière (explicité à l'analyse du récit de Carlos 7.1.6.)

Une fois la retraite, le défi consiste à occuper ses temps libres. Le retraité peut par exemple se tourner vers le bénévolat, faire profiter les autres de ses compétences professionnelles ou s'investir dans le rôle de grand-parent. Pour faire suite à ce qui vient d'être dit, la partie

suivante sera consacrée à la notion du vieillissement actif.

3.1.6. Interroger la notion de « vieillissement actif »

Kaeser et Roch (2012) se sont penchés sur la notion du vieillissement actif3. Qu'entend-on par « vieillissement actif » ? Cette notion renvoie immanquablement aux deux pôles que constituent la vieillesse, d'une part, l'image du retraité actif qui profite de son existence et qui sait se rendre encore utile aux autres et d'un autre côté, les personnes âgées en mauvaise santé qui n'attendent que la mort.

Pour appartenir au monde des « vieillards actifs » l'individu est placé en tant qu'acteur principal du bien vieillir et créateur de sa propre vie l'obligeant à faire des choix dans les différentes étapes de sa vie. Selon, Kaeser et Roch (2012), la retraite devient :

Une phase de la vie mêlant défis, nouvelles possibilités et développement de compétences, mais également le lieu de nouvelles pressions sociales se traduisant par l'incitation diffuse au combat des signes du vieillissement, à la formation tout au long de la vie et aux loisirs actifs. (p. 15)

Certes, tous les individus ne parviennent pas à l'âge de la retraite avec les mêmes ressources et les mêmes conditions de vie leur permettant de se confronter à des défis. Les parcours de vie sont là pour en témoigner. La position sociale, la santé, le revenu, l'environnement social, familial, peuvent influencer grandement les trajectoires de vie, ce que l'on retrouvera dans les analyses de ma recherche.

Actuellement, la responsabilité d'une retraite active revient très souvent aux seniors, des clips publicitaires, des campagnes, des rapports en témoignent mettant de côté les inégalités et les déterminants sociaux dans le processus du vieillissement. Après la partie réservée à la sociologie de la vieillesse, un point crucial, l'identité, qui apparaît tout au long de mon travail sera présenté de la façon suivante.

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3Il m'est apparu intéressant de m'arrêter sur leur article paru suite à une conférence internationale: « Interroger la notion de vieillissement actif : Émergence, diffusion et applications d'une politique du vieillissement aux contreparties induites »