• Aucun résultat trouvé

Tout est intéressant pourvu qu'on le regarde assez longtemps Gustave Flaubert

La recherche que j'ai prévue est à visée compréhensive, de type qualitatif. Selon Schurmans (2007-2008)5, sur le plan épistémologique, et dans ce type de recherche, l'homme est un « acteur social » qui agit, réagit et interagit, l'humain n'est pas qu'un

« agent » soumis à des forces externes et contraignantes, mais il est aussi « acteur ».

L'humain est un être « en relation » qui se produit avec des autruis.

Dans cette recherche, je cherche à comprendre comment les migrants vieillissent et passent le cap de la retraite. Je m'appuierai principalement sur la démarche des histoires de vie.

Comme expliqué auparavant, la démarche des Histoires de vie est une forme particulière d'entretien, il s'agit d'un entretien « narratif ». Ces entretiens sous la forme de récit de vie

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

5 Cours « Épistémologie de la recherche en sciences de l'éducation » dispensé par Marie-Noëlle Schurmans à l’Université

m'ont donné des informations et des significations très précises pour la compréhension concernant l'objet de ma recherche. Bertaux (2010) rattache le récit de vie à l'enquête ethnosociologique. Pour lui, s'il trouve de l'intérêt à cette méthode des « récits de vie » c'est pour étudier l'action dans la durée. L'approche biographique est un outil important pour mon travail de recherche, elle me permet de mieux cerner la diversité des réalités sociales.

La méthode que j'ai choisie, soit les entretiens non directifs, favorise une interaction entre l'interrogé et l'interrogateur. Si ce dernier arrive à instaurer un climat de confiance, l'entretien mené nous mène vers un échange riche et profond. Pour mon mémoire, j'ai contacté 7 personnes âgées de 65 ans et plus. Je connaissais personnellement Carlos, Ricardo et Helder. Tandis que Paulo, Elena, Matilde et Marco je les ai connus par l'entremise d'amis. Ces personnes sont de couches sociales différentes, hommes et femmes confondus. La majorité d'entre elles vivent en couple avec des partenaires suisses, portugais ou brésilien. Je les ai rencontrées chez elles ou chez moi selon leur désir.

Connaître partiellement ces personnes a été sans doute un atout pour créer du lien et faciliter mes entretiens. Il faut voir ici un parti pris méthodologique défendu par Bourdieu (1993) dans la Misère du Monde celui :

De laisser aux enquêteurs la liberté de choisir les enquêtés parmi des gens de connaissance ou des gens auprès de qui ils pouvaient être introduits par des gens de connaissances. La proximité sociale et la familiarité assurent en effet deux des conditions principales d'une communication

« non-violente ». (1395)

Avant chaque entretien, je me suis brièvement présentée en (re)précisant le but et l'objet de mon enquête, en indiquant les modalités du recueil de données (magnéto et notes) tout en précisant les règles déontologiques, l'anonymisation du discours. Le temps de l'entretien variait d'une heure à trois heures. Volontairement, j'ai laissé parler ces personnes de leur vie sans les interrompre. Je me suis toutefois permis de les relancer quand le silence devenait trop encombrant pour leur permettre de développer leur pensée.

Il convient de rappeler que cette méthode de recherche nécessite une préparation rigoureuse. Avant l'entretien j'avais élaboré soigneusement un canevas d'entretien (en annexe) que j'avais mémorisé ainsi que les questions de recherche. Cette technique devait me permettre de jongler avec les thèmes du discours de l'interviewé en respectant sa

logique et en garantissant la fluidité de l'échange.

Les interviewés ont raconté leur vie en partant du lieu de leur naissance, de leur premières années de vie, de leur famille, de leur scolarité, de leur formation professionnelle, de l'exil, des raisons qui les ont poussés à s'expatrier, de leur intégration dans leur nouveau pays, de leur naturalisation, de leur évolution jusqu'à leur retraite, des projets de vie après leur retraite, de leur envie de renouer avec une nouvelle occupation, de leur désir ou de l'obligation de rester en Suisse ou de rentrer au Portugal. Ils ont parlé de ce qu'ils éprouvent en vieillissant, ils ont exprimé ce qu'ils pensent de leur mort et de leur sépulture. Le discours n'a pas toujours suivi un ordre chronologique. Par contre, pour la reconstruction de leur récit, j'ai volontairement rétabli, dans la mesure du possible, l'ordre chronologique pour en transmettre une meilleure compréhension.

Pour des raisons de confidentialité, j'ai préféré changer les prénoms à part celui de Carlos qui désirait garder le sien. Le nom de certaines institutions a volontairement été changé, les lieux par contre dans la mesure où je les comprenais sont restés tels quels. Ces entretiens se sont déroulés principalement les après-midi.

Pour ce qui est de la retranscription (les retranscriptions sont en annexe) et de l'écriture des entretiens, j'ai essayé de ne pas commettre trop d'infidélités en restant le plus possible attentive aux paroles des locuteurs. Certains mots sont écrits en phonétique. J'ai allégé le texte de certains développements, de quelques phrases confuses ou des tics de langage. Par contre, j'ai volontairement utilisé la ponctuation, pour représenter l'intonation, le rythme des phrases associé au langage des gestes et aux mimiques. Les interventions du chercheur sont écrites en italique tandis que celles de l'interviewé en normal. Les parties incompréhensibles ont été signifiées XXXX. J'ai énoncé entre parenthèses les préambules et les commentaires du chercheur. (Un descriptif détaillé des critères de transcription est joint dans les annexes). Pour les 7 retranscriptions, je me suis mise au travail tout de suite après l'entretien pour rester le plus fidèle possible au sens des récits de vie de mes locuteurs.

Il ne m'a pas été facile de sélectionner les récits de vie, ne voulant pas « privilégier » une personne plutôt qu'une autre; je considérais que tous les récits étaient riches

d'apprentissage. Mon choix s'est définitivement porté sur les récits de Carlos, de Elena et de Ricardo que j'ai analysés scrupuleusement. Leur vie singulière et la diversité de leur récit se prêtaient particulièrement à ma recherche. En choisissant deux hommes et une femme de statuts professionnels et de couches sociales différents, j'ai opté pour un aspect contrasté des trois récits qui peuvent être confirmés ou non par les autres entretiens. Pour autant, je n'ai pas négligé les autres récits ceux de : de Marco, de Matilde, de Paulo et de Helder, je les ai traités différemment, en me centrant plus spécifiquement sur les passages de leur retraite jusqu'à leur fin de vie, sans m'attarder trop longuement sur les années qui précédaient cette période.

En règle générale, j'ai remarqué l'aisance avec laquelle ces interviewés ont répondu à mes demandes. Spontanément, ils ont accepté mon invitation, ils ont été fidèles aux horaires fixés, ils n'ont montré aucune résistance pour dévoiler leur passé et leurs projets d'avenir. Il était entendu d'avance qu'en aucun cas je les « forcerais » à s'exprimer sur des événements qu'ils désiraient garder secrets. Pour Marco, j'ai remarqué la satisfaction notoire de se raconter, il le dit d'ailleurs dans ses mots : c'est un plaisir pour moi, c'est un moment que je vais garder, là peut-être pour toujours, c'est beau de dire comme je pense, comme je suis, qu'est-ce que j'étais, qu'est-ce que je serai... (298-301). Mais qu'en est-il pour les autres ? Pour Elena, par contre, l'enquête fut plus laborieuse dans le sens où Elena avait parfois de la peine à s'exprimer et à développer ses idées. À plusieurs reprises, je me suis sentie obligée de relancer la discussion. Pour ce qui est des cinq autres interviewés, je peux supposer qu'ils ne se sont pas sentis floués par l'exercice et qu'ils se sont sentis en confiance. Je suis toutefois consciente que de « se raconter » peut soulever des questions existentielles difficiles à vivre, c'est une des raisons pour lesquelles j'ai été très prudente dans les questions que je leur ai posées.

Suite à leurs témoignages, à la quantité et la qualité des échanges, la notion du don et du contre-don m'est apparue. Au cours d'un entretien, chacun reçoit les impressions de l'autre;

sincèrement, j'ai été émue de leurs témoignages, je les ai reçus en cadeaux.

Pour ne pas rentrer en résonance avec les paroles des interviewés, j'ai été sensible à ce qui se passait en moi. Pour être au clair avec moi-même, j'ai effectué de nombreuses lectures

concernant la vieillesse, j'ai mené une réflexion sur ma « migration forcée » et sur mon

« propre vieillissement » notamment dans le cours de transaction sociale 2 de Marie-Noëlle Schurmans. Bourdieu (1993) relève entre autres que : « L'entretien peut être considéré comme un exercice spirituel visant à obtenir par l'oubli de soi une véritable conversion du regard que nous portons sur les autres dans les circonstances ordinaires de la vie » (p. 1146).

Pour mes entretiens non directifs, je me suis inspirée de l'orientation non directive de Rogers (1984): dans un climat fondé sur l'acceptation inconditionnelle de l'autre, la neutralité bienveillante, l'authenticité et l'empathie ; ces quatre éléments instaurent un climat relationnel favorable à une expression authentique.

Au terme de ces entretiens, après les retranscriptions et de nombreuses lectures, j'ai repris les éléments cruciaux de ces histoires de vie en les traitant, chronologiquement, en partant de leur naissance à leur fin de vie imaginée. Dans un premier temps, j'ai classé les événements marquants, les bifurcations importantes en les nommant « épreuves ».

À propos du concept d'épreuve, Baudouin (2010) désigne l'épreuve comme étant le pivot central de la narration. L'épreuve signifie une rupture du récit et produit une transformation du sujet. L'épreuve est donc un passage obligatoire entre deux états identitaires, comme le démontre Baudouin : « Les épreuves définissent différents états identitaires qui sont la résultante de ces transformations successives. Elles permettent de comprendre ainsi le développement du sujet » (p. 513). Et Dubar (2012) de préciser :

Comme dans tout roman autobiographique, respectant le pacte avec son lecteur, cette intrigue est celle de la construction, réalisation (et aussi destruction) de soi-même à travers les épreuves de l'existence, du parcours périlleux de l'enfance au sein de ses « proches » à l'exil dans une zone « distale » d'où l'on ne revient pas indemne mais pourvu d'une expérience permettant l'accès à une existence apaisée. (p. 319)

Outre les épreuves avec leurs transformations que j'ai longuement évoquées j'ai réalisé que chaque événement petit à nos yeux peut avoir une influence considérable sur la qualité de la retraite et de la naissance de la vieillesse, j'en ai tenu compte dans mes analyses.

Concernant le vieillissement, je me suis ralliée également à ce que Caradec (2012) nous transmet :

D'un côté, on vieillit, dans une certaine mesure « comme on a vécu » : le vieillissement est fonction de la trajectoire passée et des ressources, plus ou moins nombreuses, qui en proviennent. Mais, pour une autre part, on vieillit comme son environnement actuel permet de le faire : le vieillissement est aussi un phénomène relationnel et il dépend, plus largement, du contexte de vie présent, plus ou moins riche en « support ». (p. 109)

Étant étudiante en sciences de l'éducation, il me semblait opportun de cerner les apprentissages que mes interlocuteurs ont réalisés au fil de leur parcours de vie à partir de leurs épreuves et en quoi ces apprentissages leur facilitaient ou pas leur vieillesse. Pour ne pas tomber dans une interprétation qui serait contraire à une recherche scientifique, je tiens à formuler que tout ce qui est dit à ce propos ne relève de ma part qu'à des hypothèses ou à des éventualités.

Dans un autre temps, j'ai répondu aux nombreuses questions de recherche que je m'étais posées tout en étant attentive, comme Caradec (2012) le mentionne, à l'environnement et aux phénomènes relationnels. Le cadre théorique et les hypothèses ont été un guide sûr, le fil rouge des analyses de mes différentes Histoires de vie. Une conclusion et des questions ouvertes ont clos mes premières analyses.

Pour terminer mes exposés, j'ai procédé à une analyse comparée des 7 entretiens en sélectionnant les deux thèmes les plus récurrents qui étaient apparus dans mes récits, soit la problématique de l'immigration et celle de la vieillesse. C'est dans cette partie, que j'ai eu l'occasion de confronter mes hypothèses de départ. Cela étant posé, je peux aborder l'analyse des récits rassemblés.