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Socioéconomie de l’alimentation au Sénégal et à Dakar

L’alimentation à Dakar, ville côtière du Sud

3 L’alimentation à Dakar et au Sénégal dans la littérature

3.2 Après l’indépendance

3.2.3 La contribution des anthropologues et des sociologues

3.2.3.2 Socioéconomie de l’alimentation au Sénégal et à Dakar

3.2.3.2.1 La dépendance alimentaire du Sénégal

Du point de vue économique, la question alimentaire renvoie principalement à la question de l’accès physique à l’alimentation. Cet accès dépend à la fois de la disponibilité des produits sur le marché, de l’état des cultures selon les conditions climatiques, des sources de revenus, de la régularité de l’approvisionnement et de la capacité à mobiliser un réseau de la part des individus (Cambrezy et Janin, 2003). La dépendance alimentaire du pays vis-à-vis des pays producteurs, en partie liée au développement de la culture de rente d’arachide dans les

années 1930 (Gaye, 2008) qui a occupé les sols auparavant réservés aux cultures vivrières, et la variation des prix sur le marché local augmentent le risque pour les ménages d’être confrontés à des difficultés alimentaires. Auparavant, la polyculture permettait aux familles de subvenir à leurs besoins de manière presque autonome grâce à des cultures diverses et à la cueillette de feuilles et de fruits. Les éleveurs et les agriculteurs échangeaient des produits afin de compléter leur ration. L’objectif de la monoculture arachidière développée par les colons était de produire suffisamment pour exporter et ainsi faire fonctionner l’économie du pays. Les modes d’accès à l’alimentation ont évolué vers une économie de marché dans laquelle les populations achètent les produits consommés, et dont l’alimentation dépend des ressources économiques de chacun et des prix du marché. Dans un premier temps, les agriculteurs associent ce changement à l’augmentation de leurs richesses monétaires, le perçoivent positivement et adoptent donc facilement cette culture de l’arachide (Kamara, 1978). Outre la croissance démographique et les sécheresses, dans un deuxième temps, « la baisse des cours de l’arachide, la réduction des subventions de l’État, la limitation des crédits permettant l’achat d’intrants et de matériel agricole » représentent des obstacles au développement de la région et à la sécurité alimentaire de ses habitants (Adjamagbo et al., 2006 : 76).

Après l’indépendance, proclamée le 4 avril 1960, le gouvernement réalise la situation de dépendance alimentaire dans laquelle la période de colonisation a placé le pays et tente de relancer les cultures vivrières afin de s’approcher de l’autosuffisance alimentaire. Les effets observés sont loin des effets attendus. En effet, les difficultés rencontrées dans la culture arachidière poussent les ruraux à migrer vers les villes à la recherche d’emplois générateurs de revenus. Cette situation accentue l’état de dépendance alimentaire en augmentant le nombre d’individus entièrement soumis aux fluctuations des prix du marché. Les chercheurs du Centre International de Recherche Agricole pour le Développement (CIRAD) et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) effectuent, depuis plus de 30 ans, des études pluridisciplinaires sur l’alimentation en Afrique de l’Ouest. Ils « cherchent à favoriser le développement agricole de la sous-région tout en combattant la vision simpliste de l’apport extérieur de produits et de normes et de l’adoption sans condition de celles-ci » (Crenn et al., 2015 : 176). En effet, après la Seconde Guerre mondiale, les pays européens et les États-Unis ont relancé leur agriculture et les anciennes colonies sont alors apparues comme des débouchés tout trouvés pour les excédents de production à travers des prix bas sur le marché mondial de l’alimentation d’une part, et la distribution d’aide alimentaire d’autre part (Azoulay, 1998 ; Bricas et Akindès, 2012). Cette aide devait permettre aux pays bénéficiaires d’utiliser les ressources financières économisées pour développer le système capitaliste et

progresser ainsi économiquement à l’image de l’Europe à la sortie de la guerre. Contrairement à cela, cette aide a ralenti le développement agricole et entraîné une dépendance alimentaire des pays concernés. L’autosuffisance n’est donc pas d’actualité au Sénégal, en particulier en ce qui concerne les aliments céréaliers dont le riz déjà mentionné plus haut. Le Sénégal a produit 271 000 tonnes de riz en 2011 : il en a exporté 109 000 tonnes et importé 987 000 tonnes (FAOStat, 2015). La balance commerciale est donc négative pour le pays. Lorsque les prix augmentent sur le marché mondial, seuls les quelques travailleurs des sociétés d’exportations du riz y trouvent leur compte et le reste de la population se trouve dans l’obligation de s’adapter à une hausse significative du prix du riz sur le marché local (Brüntrup et al., 2006). À Dakar, la très grande majorité de la population ne produit pas sa propre alimentation et se trouve dans une situation de dépendance vis-à-vis du marché alimentaire (Figure 4). Les variations des prix des produits affectent directement ces ménages. La hausse des prix du riz sur le marché mondial en 2008 a ainsi eu d’importantes conséquences sur l’alimentation des populations (Bricas et Akindès, 2012).

Figure 4 : Taux de dépendance à l’égard des importations céréalières (%) (moyenne sur 3 ans) – Source FAOStat 2015

3.2.3.2.2 Les habitudes alimentaires à l’échelle macroscopique

En moyenne, à Dakar, 45 % du budget des ménages est consacré à l’alimentation (DPS, 2005 : 11). Cette dernière occupe donc une place très importante dans les échanges monétaires. Ce même rapport indique que l’autoconsommation ne représente que 1 % de la

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consommation totale ce qui confirme la dépendance au marché des Dakarois. Plus du quart de ce budget consacré à l’alimentation est capté par les céréales, en particulier le riz (DPS, 2005 : 16). Les dépenses de poissons et fruits de mer sont légèrement supérieures à celles de la viande (12,0 % contre 9,0 %) (DPS, 2005 : 16). Les auteurs avancent deux raisons, sur lesquelles nous reviendrons, pour justifier cet avantage du poisson sur la viande : la position géographique de la ville située sur une bande côtière, et la place qu’occupe le ceebujën dans l’alimentation des populations. « Communément dénommé plat national, ce plat à base de poisson est le préféré des Sénégalais » (DPS, 2005 : 16).

Concernant les statistiques internationales, il est courant d’estimer la consommation d’une population de manière approximative en fonction de la disponibilité des différents aliments ou groupes d’aliments. La disponibilité est calculée en ajoutant les importations à la production puis en retranchant les exportations, les pertes et les usages non alimentaires. Elle s’exprime le plus souvent en poids par personne et par an. La Figure 5 indique qu’au Sénégal, que ce soit en calories, en kilogrammes ou en grammes de protéines, les céréales occupent la place la plus importante dans le régime alimentaire. Concernant les autres aliments, les huiles végétales et le sucre sont ceux qui apportent, après les céréales, le plus de calories, les légumes et le poisson sont les plus importants en poids et concernant les protéines, le poisson et les légumineuses et oléagineux suivent les céréales.

Figure 5 : Disponibilités des différents groupes d’aliments au Sénégal en 2011 par personne et par an en kg et par personne et par jour en kcal et en gr de protéines.

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Disponibilités moyennes des différents groupes d'aliments en kcal/personne/jour au Sénégal en 2011 - Source : FAOStat 2015

Cette approche macroscopique est intéressante pour avoir une vision globale de l’alimentation et sert de base à diverses politiques de gestion alimentaire. Cependant, y compris pour les prises de décisions à l’échelle nationale, voire internationale, l’étude des habitudes alimentaires à un niveau plus précis permet d’augmenter les chances de réussite de ces actions.

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