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3 Social Responsibilities of the Businessman de Bowen, Pierre angulaire de la RSE

Bowen, considéré comme le père fondateur du concept « moderne » de Corporate Social Responsibility (CSR) (Carroll, 1979 ; Carroll, 1999), définit la RSE comme renvoyant « à

l’obligation pour les hommes d’affaires de réaliser les politiques, de prendre les décisions et de suivre des lignes de conduite répondant aux objectifs et aux valeurs qui sont considérés comme désirable dans notre société » (Bowen, 1953) in (Gond & Igalens, 2008).

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La RSE apparaît ici comme une alternative à la régulation étatique, plus souhaitable que le laisser-faire (Bowen, 1953) in (Gond & Igalens, 2008). La RSE repose ainsi sur le volontariat du dirigeant, dans un souhait d’évitement d’une régulation contraignante perçue comme une entrave à la liberté. Le contexte de séparation entre les actionnaires et les gérants de l’entreprise y est également un paramètre majeur. L’analyse des discours de ceux-ci montrent que c’est précisément la possession du pouvoir économique qui accroît le devoir de « bien gérer » le business, c’est-à-dire d’une manière bénéficiant à la société (Bowen, 1953) in (Gond & Igalens, 2008).

La définition de la RSE selon Bowen est fortement imprégnée de la culture nord-américaine, encore aujourd’hui influencée par cette conception. On retrouve en effet les principes de

stewardship principle (gérer de manière responsable la propriété sans atteindre les droits des

autres), trusteeship principle (obligation de gérer les biens des mandataires comme s’il s’agissait de ses propres biens) et charity principle (l’obligation pour les plus favorisés de venir en aide aux plus démunis). La notion de bienfaisance et de séparation du business du hors-business est donc centrale. La prévalence de la responsabilité individuelle, la volonté de réparer a postériori plutôt que d’entraver la liberté de chacun en légiférant a priori (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2007), et la nécessité d’une démarche volontaire sont les éléments clefs de la RSE. Selon Bowen, la RSE peut améliorer le bien-être de la société (Gond & Igalens, 2008).

Même si « Social Responsibilities of the Businessman » (SRB désormais) est né d’une volonté de bâtir une doctrine sociale protestante, cet ouvrage majeur a aussi fait figure de « passage

de la responsabilité sociale du statut de doctrine formée dans le monde des affaires à celui de concept académique, enjeu des débats théoriques » (Gond & Igalens, 2008). Au-delà de

l’approche conceptuelle et théorique visionnaire et riche de Bowen, SRB constitue également une tentative de réflexion sur l’opérationnalisation et la diffusion des préoccupations RSE au sein des entreprises. Bowen s’interrogeait d’ailleurs sur ce point : « Quelles étapes devrait-on

suivre pour donner plus de portée aux dimensions sociales des décisions d’entreprises ? »

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En structurant les liens entre les fondements religieux -et notamment protestants- et les discours des milieux managériaux, en mettant la RSE au cœur des débats académiques, et en participant à la création de l’espace de recherche Business & Society (Acquier & Gond, 2005) l’ouvrage de Bowen fait figure de pierre angulaire du champ de la RSE, avec des analyses et des apports d’une étonnante actualité17, faisant constater le manque d’avancées notoires dans le domaine depuis (Acquier, Gond, & Igalens, 2005).

Bien qu’intimement lié à l’éthique protestante, au-delà de témoigner des fondements religieux de la RSE, SRB propose une vision systémique de la responsabilité sociale et décrit un « espace d’actions collectif » (Hatchuel, 2000) in (Acquier, Gond, & Igalens, 2005) tout en fondant une conception normative. Cet ouvrage majeur a donc naturellement une portée conséquente sur les travaux ultérieurs réalisés en RSE. Il met aussi en perspective le contexte managérial de l’époque en nous permettant de revenir sur les grandes étapes de l’émergence de la RSE dans les milieux d’affaires.

En effet, Bowen, économiste et pasteur protestant, développe au sein de SRB les préoccupations managériales tout en se basant sur l’éthique protestante. Bien que basées sur un dénominateur commun, les visions managériale et religieuse se différencient par plusieurs aspects, dont leur position par rapport au système capitaliste, ou encore les objectifs poursuivis et l’opérationnalisation des discours (Acquier & Gond, 2005).

17 Par exemple, les prémices de la théorie des Stakeholders étaient déjà présentes dans Social Responsibilities of the Businessman : « une grande entreprise peut être représentée comme un centre dont l’influence se propage

dans des cercles de plus en plus grands. Au centre du cercle se trouvent les employés, dont les vies sont liées à l’entreprise. Dans le cercle suivant se trouvent les actionnaires, les consommateurs et les fournisseurs qui sont directement impactés, à des degrés différents, par les actions de l’entreprise (…). Dans le cercle suivant, on trouve la communauté dans laquelle l’entreprise exerce ses activités. (…). Le cercle suivant comprend les concurrents (…) finalement, le cerce extérieur représente le public dans son ensemble. » (Bowen, 1953, In

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SECTION 2 : L’émergence de la RSE : des milieux d’affaires aux

travaux académiques

Les théories en Sciences de Gestion trouvent souvent naissance dans l’observation des pratiques managériales (Acquier & Aggeri, 2008). Cela est certainement encore plus vrai en ce qui concerne le champ de la RSE. En effet, parallèlement à l’émergence du concept dans le monde protestant, aux Etats-Unis la question de la responsabilité sociale de l’entreprise perce aussi dans les milieux d’affaires. Alors que la présence de la RSE dans les débats académiques intervient au milieu du vingtième siècle, elle a été abordée plus précocement dans les milieux managériaux (Acquier & Gond, 2005). L’étude des contextes d’apparitions successifs et de structuration sont donc instructifs.