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§4 Les pressions sectorielles et macro-économiques

C) La RSE dans le « Nouveau Monde » (Bardelli, 2005)

Nous avons exploré les principales hypothèses fréquemment développées dans la littérature concernant les pistes organisationnelles, sectorielles ou partenariales du phénomène RSE. Cependant, il nous semble important de compléter cette exploration par une mise en évidence du contexte macro-économique, dans le but d’avoir une vision plus globale de la RSE. Il semble que les paramètres du contexte économique actuel puissent également éclairer la question de l’émergence et de la croissance des préoccupations RSE.

En effet, les nouvelles modalités concurrentielles et productives,ainsi que les paramètres du Nouveau Monde (Bardelli, 2005) mettent en perspective la RSE. Revenons de manière synthétique sur la littérature posant cette hypothèse de la RSE comme liée à l’évolution macro-économique.

Les modalités de l’organisation économique mondiale actuelle convergent à plusieurs niveaux avec l’émergence et la croissance des discours et pratiques responsables des multinationales notamment. Il apparaît que « l’émergence des problématiques RSE va de pair avec la

globalisation de l’économie et l’affaiblissement des dispositifs sociaux législatifs dans la plupart des pays » (Bardelli, 2005), plusieurs auteurs ayant ainsi souligné que les pratiques

responsables apparaissaient précisément avec la crise du rapport salarial fordien (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2004 ; Dupuis & Le Bas, 2005).

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Enfin, de nombreux chercheurs ont mobilisé la turbulence de l’environnement économique actuel pour tenter d’expliquer le phénomène RSE (Ackerman & Bauer, 1976 In Pasquero, 2005 ; Férone, D'Arcimoles, Bello, & al., 2001). A l’instar de Férone et al. (2001) concernant le développement durable, il semble plausible d’envisager la RSE comme « l’une des

réponses aux incohérences d’un monde devenu chaotique » comme nous l’avons déjà évoqué.

Le contexte de mondialisation, et plus précisément de globalisation a engendré un nouveau « paramétrage » de l’économique, mais aussi du social. Reprenant la définition de Michalet (2004), Bardelli (2005) revient sur les phénomènes fondamentaux de la globalisation, caractérisée par une extension des marchés, une mobilité des capitaux et une financiarisation qui conjointement, font émerger une nouvelle configuration des relations internationales (Bardelli, 2005). Cet accroissement de l’intensité concurrentielle, dans un contexte affirmé de compétition mondiale, caractérisé également par une complexification croissante des activités (Bardelli, 2005), un éclatement des frontières de la firme (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2004 ; Dupuis, 2006), une financiarisation de l’économie et une mobilisation accrue des capitaux (Michalet, 2004 ; Bardelli ; 2005) serait aussi le témoin d’un affaiblissement des interventions étatiques.

De nombreux auteurs ont souligné la conjonction des phénomènes d’affaiblissement des interventions étatiques et de RSE (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2004, 2007 ; Bardelli, 2005, 2006 ; Dupuis & Le Bas, 2006 ; Quairel, 2008 ; Postel, Rousseau & Sobel, 2009). La rupture du compromis fordiste, la disparition de l’Etat-Providence et ses conséquences en termes de régulation, engendrent un « vide » que la RSE pourrait tenter de combler, se posant la question de l’avènement ou pas d’un nouveau compromis (Bardelli, 2005, 2006 ; Postel ; Rousseau & Sobel, 2009) ou bien de « composante du changement institutionnel en cours » (Dupuis & Le Bas, 2005).

La RSE parait émerger précisément au moment où un « espace de régulation vacant » est disponible.

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En outre, le Nouveau Monde est aussi caractérisé par montée un accroissement de la puissance des entreprises, laissant entrevoir la possibilité d’une régulation oligopolistique (Bardelli, 2005, 2006). Alors que certaines multinationales deviennent plus puissantes que certains pays, que les scandales (financiers, environnementaux et sociaux) se sont succédés, et qu’une crise financière touche une planète menacée par de catastrophes écologiques, se pose également la question de la moralisation du capitalisme qui semble « déboussolé » (Pastré & Vigier, 2003).

Alors que près de 30 des cents entités économiques mondiales (pays inclus) sont des entreprises, et qu’il y a quelques années encore les profits de l’une des plus importantes banques mondiales (Goldman Sachs) dépassait le PNB d’un pays comme la Tanzanie (Pastré & Vigier, 2003), l’appel pour une économie plus humaniste et plus éthique déjà lancée par plusieurs économistes de renom (François Perroux, Amartya Sen ou John K. Galbraith par exemple) et il est même entré dans la sphère politique60.

Si dès les années 60, certains auteurs proposaient une « réforme de l’entreprise » (Bloch-Lainé, 1963), malgré les récentes avancées législatives (loi Sarbarnes-Oaxley aux USA et Loi NRE en France), il semble que cette carence de régulation internationale dessine un cadre propice au développement de la RSE. L’efficacité des législations nationales au niveau planétaire étant limitée, les multinationales se mobilisent pour combler ce vide (Pasquero, 2005b) par exemple par l’entremise de la RSE.

Les nombreux scandales s’étant succédé au début des années 2000 (Enron, Worldcom, Vivendi Universal ou Parmalat) et la crise financière et économique mondiale débutée en 2008 se sont traduits par un questionnement sur un système économique que beaucoup ont alors appelé à réformer et à davantage réguler.

60 A titre d’exemple, le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 25 septembre 2007 devant l’assemblée générale des Nations Unies, dont voici un extrait « Au nom de la France, je lance un appel solennel aux Nations Unies pour que, dans ce siècle marqué par le retour de la rareté, elles se donnent les moyens d'assurer à tous les hommes à travers le monde l'accès aux ressources vitales, de l’eau, de l’énergie, de l'alimentation, des médicaments, et de la connaissance. Je lance un appel solennel aux Nations Unies pour qu'elles prennent en main la question d'une plus juste répartition des profits, de la rente des matières premières, des rentes technologiques. Je lance un appel solennel aux Nations Unies pour qu'elles prennent en main la moralisation du capitalisme financier » (Sarkozy, 2007).

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Sans prendre position sur cette question qui dépasse le cadre de notre recherche, il nous semble que ce contexte coïncide avec l’entrée en scène de stratégies RSE en plein essor. Mutation superficielle ou réelle révolution du système économique ? Dans tous les cas, il apparaît que le Nouveau Monde, et plus globalement l’organisation économique mondiale et les interrogations qu’elle engendre, laissent une place de choix aux stratégies de RSE.

Il semble évident que ce contexte macroéconomique spécifique exerce de multiples pressions, à la fois complexes et antagonistes sur les entreprises. Nécessité d’être plus flexibles et plus compétitives tout en s’assurant une certaine légitimité sociale, être profitable tout en assumant une nouvelle ère de responsabilité, et notamment la gestion des externalités négatives (Valiorgue & Daudigeos, 2006, 2010).

§5 Une conjonction de déterminants micro et macroéconomiques à l’origine du