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Notre but ici n’est pas de présenter une revue exhaustive des définitions et conceptions existantes en matière de développement durable ; une tâche de cette ampleur nous paraît peu réalisable au vu du caractère polymorphe et large du concept. Après un retour sur les débats animant le champ du développement durable, nous nous proposons de ressortir un dénominateur commun des définitions existantes.

A) Le développement durable, concept « Caméléon »

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Le concept de développement durable peut prendre des formes très variées, dont il est difficile de cerner la portée (Camerini, 2003). Il est difficile, voire impossible, de donner une définition consensuelle du développement durable. Plus de 60 définitions ont été relevées par Pezzey en 1989 (Bontems & Rotillon, 1998), et neuf ans plus tard le Centre Universitaire d’Ecologie Humaine et des Sciences de l’Environnement (CUEH) en comptabilisait déjà une centaine (Camerini, 2003).

Depuis le rapport Brundtland, la thématique du développement durable est affichée comme étant au cœur des stratégies d’entreprises, des discours managériaux, des politiques locales… « Chacun se réclame du développement durable, chacun le cherche sans trop savoir ce qu’il

signifie, ni ce qu’il implique concrètement, à l’image d’une quête insaisissable et sans cesse renouvelée » (Boiral & Croteau, 2004), d’où l’image de Tour de Babel proposée par les deux

auteurs.

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Le développement durable constitue un double paradoxe à lui seul. Selon les écologistes du courant de l’écologie profonde, le développement durable constitue une sorte d’oxymore, notamment si l’on considère, comme Nicholas Georgescu-Roegen, que selon la loi d’entropie s’appliquant au développement économique il ne peut y avoir de développement durable. Le second paradoxe est constitué par la portée et par la variété d’interprétations et de définitions du concept. En effet le développement durable a pour vocation le rassemblement, la mobilisation des individus autour d’objectifs communs. Cependant le champ presque infini de définitions et d’applications, en l’absence de consensus clair, aurait a contrario tendance à diviser autour de la question. L’imprécision du développement durable est à la fois une force et une limite. Une force dans le sens où cette largeur permet une inscription plus aisée de chaque individu où institution dans l’une des facettes du concept. Cependant on peut aussi s’interroger sur la menace que représente cette largeur. Tout d’abord il semble que cette largeur du concept a facilité la place grandissante qu’il occupe dans les discours managériaux et économiques actuels (Boiral & Croteau, 2004), sans que ces discours soient toujours suivis d’actions concrètes. Cette perspective de grande envergure du développement durable facilite une appropriation plus aisée, car moins contraignante pour les entreprises par exemple (Boiral & Croteau, 2004). Le manque de consensus et la multiplicité d’interprétations devient le moyen réciproque d’intégrer plus facilement le développement durable aux problématiques organisationnelles avec souplesse.

Mais cela peut aussi constituer une menace de mort pour le développement durable (Camerini, 2003), menace que Dommen traduit par deux processus « le premier en raison de

la dynamique émotionnelle qui en prenant le dessus, vide la notion de sens jusqu’à provoquer sa mort par inanition ; le deuxième à cause de l’invasion du contenu technique qui rend la notion incompréhensible : elle meurt par le nombre d’ennemis que ce contenu technique lui apporte » (Dommen, 1994 In Camerini, 2003).

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B) Le dénominateur commun : la conciliation des sphères économiques, sociales

et environnementales

Si les définitions du développement durable sont multiples, on y retrouve plusieurs dénominateurs communs. Tout d’abord, l’existence des trois piliers économique, social, environnemental. L’idée majeure au cœur du développement durable est que la croissance économique, le bien-être social et la préservation de l’environnement ne sont pas antagonistes. Elles peuvent être réconciliées au sein du développement durable. Cette conception est traduite par l’approche triple P : Profit, People et Planet, ou People, Planet et Prosperity (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2004) .

La question de la durabilité est aussi présente dans toutes les interprétations de développement durable. Le développement durable nécessite en effet une vision à long terme. Clé de voûte du concept, la notion de réponse aux besoins vitaux est récurrente. La prise en compte des besoins dans le concept de développement durable est spatio-temporelle, elle intègre la réponse aux besoins de toutes les populations de la planète, et anticipe ceux des générations futures. Il est donc question de solidarité intergénérationnelle.

De manière synthétique, on peut formuler six principes fondamentaux du développement durable :

-le principe de précaution, à savoir que « l’absence de certitudes compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable » (loi n°95-101 du 2 février 0995 (dite loi Barnier) relative au renforcement de la protection de l’environnement.

-le principe de prévention qui consiste à prévenir les dommages liés à des accidents et dont les risques sont existants.

-le principe de gestion sobre et économe des ressources naturelles.

-le principe de responsabilité : les auteurs de dommages à la société doivent être aussi les payeurs.

-le principe de participation, ce qui signifie que chacun doit faire entendre sa voix sur des sujets qui le concernent.

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C) L’éthique

Indubitablement, le concept d’éthique est lié aux questions de développement durable, ainsi que de RSE comme nous y reviendrons. « L’éthique traite des principes régulateurs de

l’action et de la conduite morale » (Dictionnaire du CDTL). On retrouve dans le concept de

développement durable l’idée centrale « d’une justice transgénérationnelle avec son

corollaire écologique, ainsi que dans la priorité absolue à accorder aux plus démunis »

(Camerini, 2003).

Cependant nous considérons que le développement durable traite davantage des politiques et des logiques d’actions organisationnelles, alors que l’éthique se positionne dans une interprétation individuelle. Néanmoins les deux concepts sont intimement liés, notamment dans l’optique normative partagée par l’éthique et par certains courants théoriques du développement durable et de la RSE, comme nous le développerons dans les chapitres à venir.

D) Une vision critique du développement durable

Concept rassembleur et créateur d’espoir, le développement durable est cependant loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique mais aussi chez les « acteurs » du développement durable.

Comme nous l’avons déjà souligné, le caractère polymorphe du concept entraîne non seulement une difficulté à s’accorder sur le contenu, mais aussi une facilité pour les acteurs de s’en réclamer et de s’approprier cette problématique.

Par ailleurs, nous avons déjà parlé du courant d’écologie profonde, et de la tendance à la décroissance. Les adeptes de cette tendance affichent un scepticisme certain quant au développement durable. Au regard des constats les plus alarmistes sur l’état de la planète, seule la décroissance durable permettrait d’éviter les grandes catastrophes annoncées au niveau climatique, écologique et humain.

Aux yeux de ses détracteurs, le développement durable apparaît comme insuffisant, voire nuisible (Georgescu-Roegen, 1971). Par ailleurs si l’on reprend les apports de cet auteur, le développement durable prônant la poursuite d’une croissance qualitative n’a pas lieu d’être et ne représente pas une solution aux problèmes démographiques, sociaux et écologiques du monde. En effet selon le second principe de thermodynamique appliqué à l’économie, l’hypothèse de croissance infinie est contredite par la loi d’entropie (Boiral & Croteau, 2004)

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