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CHAPITRE 5 – LA SAILLANCE MÉDIATIQUE DES SCANDALES DE SNC ET DES

5.3 Analyse des principaux discours dans les médias canadiens

5.3.1 SNC-Lavalin

Sans surprise, SNC a été l’acteur le plus médiatisé par le nombre d’occurrences de ses discours en faveur des APS, mais aussi par les opinions bien assumées que l’entreprise a véhiculées. 36 citations de SNC ont été relayées dans les médias sélectionnés et 31 de celles-ci (86%) contiennent des messages venant directement du président et chef de la direction (CEO). Par exemple, peu après le moment où la GRC déposait ses accusations en février 2015, Robert Card confiait au Globe and Mail que SNC avait échoué à convaincre les autorités de ne pas déposer d’accusation contre la firme et d’adopter une alternative administrative comme un APS, tout en ajoutant qu’il travaillerait « jour et nuit » pour atteindre cet objectif (Van Praet 2015a). Moins d’un mois plus tard, la possibilité de restructuration pour SNC, préalablement mentionnée, était déjà évoquée dans les médias suivant une assemblée des actionnaires (Van Praet 2015b). M. Card était dès lors pleinement transparent dans sa volonté d’obtenir un changement au Code criminel et d’éviter un long processus judiciaire :

“I'm told by our lawyers that it's three to five years to get through this process. We don't intend for it to go that long […] We want to get something changed in advance. I can't imagine a happy ending to a guilty plea or being found guilty." (Van Praet 2015)

La menace de restructuration peut légitimement être perçue comme une pression pour que le gouvernement agisse rapidement dans son dossier, mais ce type de discours n’a pas pour autant dominé les communications de l’entreprise. Pour atteindre son objectif, SNC allait surtout habilement passer des messages positifs auprès de la population, certes pour redorer

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son image, mais aussi pour cadrer le débat des APS le plus favorablement possible. Pendant plusieurs mois, SNC diffuse des publicités invoquant ses réformes éthiques, et surtout, l’essentiel rôle de bâtisseur que SNC joue pour l’économie nationale. Ces publicités font l’objet d’un article du Calgary Herald le 7 août 2015 :

“Not only do they capture viewers' attention, the featured company also looks like a really cool place to work. At the ads' conclusion viewers discover the company helping to keep the country moving – SNC-Lavalin. […] The campaign clearly targets all of the company's stakeholders - employees, clients and investors. […] SNC chief executive Robert Card, who was in Calgary last month over Stampede Week, said the campaign signals that much has changed in the years since the company was rocked by a fraud and corruption scandal.” (Yedlin 2015)

L’auteure ajoute qu’à la « lumière des rumeurs selon lesquelles l’entreprise pourrait être restructurée […], ou vendue, c’est aussi un moyen d’envoyer un message à tous les Canadiens sur le rôle que SNC a joué dans la construction d’infrastructures d’un océan à l’autre » (Yedlin 2015 [tr.]). Cette notion de l’intérêt canadien revient d’ailleurs fréquemment dans les déclarations des dirigeants de SNC. Lorsque l’entreprise obtient son entente administrative pour maintenir des contrats publics, au moins jusqu’à l’issue de son procès, le CEO Robert Card déclare :

“This agreement is a milestone that allows us to continue to be an important contributor to the Canadian economy. It protects the public, and is good for our employees, clients, investors and all of Canada.” (Marowits 2015)

SNC multiplie les invocations des intérêts économiques canadiens, et plus particulièrement ceux de ses nombreux employés ou des parties prenantes dans l’entourage de l’entreprise. Elle cadre également le débat des APS comme un enjeu de compétitivité internationale :

« Nous croyons vraiment que, d'un point de vue de compétitivité, SNC-Lavalin ou toute autre compagnie canadienne qui s'est retrouvée dans la même position que nous, est sérieusement désavantagée sur le plan concurrentiel par rapport aux autres compagnies américaines et européennes » (Saint-Arnaud 2016).

La dynamique de compétitivité permet d’orienter le débat des APS tant sur le point de l’efficacité économique que des principes « d’équité ». SNC se positionne aussi sur le plan des idées quand elle répète à maintes reprises que ses 40 000 employés n’ont pas à payer le prix

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des erreurs de quelques dirigeants qui ont été licenciés depuis (voir par ex. Der Linde 2015a, 2015b et 2015c). Même si l’argument est controversé et sans preuve empirique, SNC invoque également l’idée que des APS favoriseraient l’autodivulgation des crimes et la transparence :

"It's about levelling the playing field, about Canada's international competitiveness, about improving transparency and encouraging self-reporting" [Daniela Pizzuto, directrice des relations externes, nos soulignements] (Marowits 2018)

Cette réaction du 23 février 2018 suivait l’annonce par le gouvernement qu’il comptait effectivement modifier le Code criminel comme le souhaitait SNC. Il est intéressant de noter au passage que même si une consultation publique avait été annoncée en septembre 2017, SNC estimait déjà un an plus tôt qu’elle saurait en arriver à une entente permanente avec les autorités fédérales et que la poursuite pour corruption ne constituait pas « un risque majeur » :

« Les accusations criminelles qui pèsent sur SNC-Lavalin au Canada ne représentent pas un risque majeur pour la firme d'ingénierie québécoise, croit son président et chef de la direction, Neil Bruce. Au cours d'une conférence destinée aux investisseurs organisée par la Banque CIBC, jeudi, ce dernier a minimisé les risques que l'entreprise puisse à terme se retrouver sur une liste noire l'empêchant de soumissionner pour des contrats fédéraux. […]« Nous estimons que cela pourrait se conclure, si le dossier suit son cours normalement, en 2020 ou 2021, a-t-il affirmé. Si nous devions être reconnus coupables, nous irions en appel de toute façon. Nous ne voyons pas (cette cause) comme un risque. » […] M. Bruce s'est dit plus optimiste « qu'il y a un ou deux ans » d'en arriver à une entente avec les autorités fédérales d'ici là. » (Arsenault 2016)

SNC tenait donc un discours plus rassurant face à ses investisseurs qu’aux journalistes, eux qui ont souvent relégué l’idée qu’un régime d’APS bénéficierait aux intérêts économiques des employés, propriétaires et partenaires du champion national. Cette variation dans les discours démontre un effort de cadrage des enjeux lorsque SNC invoque auprès de la presse, de façon stratégique et plus alarmiste, le besoin d’APS. À l’inverse, la majorité des analystes économiques se montraient eux aussi rassurants quant à l’impact de la poursuite sur l’avenir de SNC.