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CHAPITRE 2 –LE CONTEXTE INTERNATIONAL FAVORISANT L’ADOPTION DES

2.4 La LCAPE et sa piètre application

Le Canada a également internalisé la Convention de l’OCDE avec l’adoption en 1998 de la LCPAE. Comme le montre le tableau 3 ci-dessous, toutefois, la LCAPE n’a pas donné lieu à des mesures d’application ou à des sanctions importantes, surtout lorsqu’on la compare au FCPA :

Tableau 3

Décisions sur les affaires de corruption transnationale criminelle (OCDE 2017) - 1999 à décembre 2016 - États-Unis et Canada

Nombre de personnes physiques et morales qui ont été sanctionnées ou acquittées Parties à la Convention de l’OCDE % des exportations mondiales Sanctionnés Acquittés Individu Personne morale Individu Personne morale États-Unis 9.51 81 (+1 APS) 42 (+ 67 APS ) 4 0 Canada 2.45 1 3 0 0

Source : compilation à partir des données de l’OCDE (2017)

Le Canada a été critiqué par les comités de surveillance de l’OCDE pour ses faibles taux de poursuites en vertu de la LCAPE, résultat du manque de ressources consacrées aux enquêtes et aux procureurs. L'OCDE et le Canada ont reconnu que:

“On a very practical level, there is a direct relationship between the amount of resources – human and financial – being dedicated to an issue and concrete results. It is clear that fewer specialized prosecutors and investigators will mean fewer successful cases (Canada and Mexico; OECD, 2011 […]). Countries must ensure that sufficient numbers of staff are dedicated to foreign bribery cases and that they have the necessary expertise or access to relevant training and guidance to handle foreign bribery cases, which are often technically complex”. (OECD, 2014b voir aussi OECD, 2014a)

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Il aura fallu attendre jusqu’à 2008 pour qu’une unité internationale anticorruption de la GRC soit créée à Ottawa et à Calgary (Gouv. du Canada 2014). Cependant, encore aujourd’hui, il est difficile d'estimer combien de ressources sont consacrées aux enquêtes et aux poursuites anticorruption, encore moins à l'application de la LCAPE. Du côté de la GRC, la planification budgétaire la plus récente comprend des enquêtes anticorruption dans la catégorie « police fédérale », avec environ 750 millions de dollars et 5 000 personnes travaillant pour la sécurité nationale, pour l’application de toutes les lois fédérales et la lutte contre le crime organisé (Gouv. du Canada 2016). Du côté des procureurs, environ 50 millions de dollars et 160 personnes sont disponibles pour superviser toutes les infractions réglementaires et les poursuites pénales économiques, sans indicateur de performance précis (Gouv. du Canada 2015). Il n’y a pas de données précises pour la LCAPE. On ne sait pas quelles sont les ressources humaines disponibles pour les enquêtes ni pour les poursuites. Le Canada dit mener de nombreuses campagnes de lutte contre la corruption, mais nous n’avons répertorié aucune donnée publique sur leur efficacité et leur financement (Gouv. du Canada 2017).

Si la portée de la LCAPE a été récemment étendue avec l'inclusion des paiements de facilitation aux fonctionnaires étrangers, les problèmes d’application de la loi ont déjà été critiqués. Le processus d'examen par les pairs de l'OCDE et TI Canada a notamment souligné le manque d'efforts déployés par le Canada pour appliquer la LCAPE et son manque de sanctions dans l’ensemble (OCDE 2011a, 2011b, Barutciski et Bandali 2016 : 15). Le faible taux d’application serait avant tout lié au manque de ressources pour les inspecteurs, enquêteurs et procureurs sur les dossiers de crimes corporatifs, déjà en soi plus complexes à monter et prouver. Cette faible application de la LCAPE a aussi été utilisée comme argument pour justifier l’introduction d’APS en droit criminel canadien.

Le fait d’ajouter plus de « flexibilité » aux procureurs par l’introduction des APS est également controversé au regard de la culture juridique canadienne. Le droit criminel canadien est déjà plus restrictif que le droit criminel américain. Comme le rappelle le professeur Mike Koehler, pour accuser une entité corporative canadienne en droit criminel, la preuve doit

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employé, même dans l’exercice de ses fonctions, ne suffit pas en soi (Koehler 2015). Le droit criminel américain autorise l’accusation contre l’entité dans ces derniers cas, ce qui justifiait pour des auteurs favorables aux APS américains une plus grande flexibilité dans les instruments anticorruption. Au Canada, le professeur de droit Amissi Manirabona ne se formalise pas de cette objection basée sur la culture juridique (2016). Il voit les APS comme étant compatibles avec l’esprit d’autres instruments de négociation, notamment le programme de remboursement volontaire civil au Québec. Surtout, Manirabona fait écho à la nécessité de « mondialiser » le droit criminel canadien et de l’harmoniser aux pratiques du Royaume-Uni et des États-Unis (2016 : 651). Il remarque qu’au Canada « rien n’a encore été fait malgré les multiples appels du monde des affaires », nommément SNC-Lavalin (2016 : 659). Manirabona estime que dans « un monde interconnecté où les entreprises opèrent de plus en plus à l’échelle planétaire, l’absence d’APS au Canada met les entreprises d’ici dans une situation défavorable » (2016 : 659-660).

Cette logique d’harmonisation démontre la source du pouvoir structurel de SNC-Lavalin en l’espèce : d’autres entreprises après elle pourraient considérer d’autres juridictions plus clémentes si elles soupçonnent que le droit criminel corporatif du Canada les mènera au même sort qu’Arthur Andersen. À défaut de pouvoir quitter le Canada pour régler ses problèmes juridiques, SNC invoque les principes d’équité et demande à ne pas être défavorisée par rapport à ses concurrents. Cet argument structurel aura été mobilisé avec succès par SNC, comme nous le voyons ci-dessous, mais il est aussi anticipé par le gouvernement canadien qui n’a pas intérêt à désavantager ses champions nationaux.