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L’Étude d’opinion publique du Conseil et d’Ipsos – mai 2016

CHAPITRE 4 – LE LOBBYING DE SNC ET DES LOBBYS CORPORATIFS

4.3 Rapports et études produits par différents acteurs sur les APS

4.3.2 L’Étude d’opinion publique du Conseil et d’Ipsos – mai 2016

Peu après la publication du rapport de l’IRPP, le Conseil canadien des affaires mandate Ipsos Affaires publiques pour sonder 1004 Canadiens sur les APS (Ipsos 2016). Une présentation PowerPoint regroupe « quelques-uns » des résultats du sondage réalisé entre le 20 et le 24 mai 2016. Vu sa connexité avec nos recherches, cette présentation est jointe comme Annexe 2 avec

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une critique partielle de la méthodologie et surtout, de l’interprétation des résultats. Ceux-ci indiquent que « les Canadiens conviennent que les accords de poursuite suspendue devraient être ajoutés à la liste des outils mis à la disposition des procureurs » à hauteur de 80 % […] » (Ipsos 2016 : 3 [tr.]). Cette estimation est très orientée : on constate que le lobby d’affaires cadre le débat favorablement pour montrer aux décideurs publics qu’ils ont la population derrière eux.

D’autres résultats du sondage contrastent les raisons du support des répondants aux APS. Dans une série de questions, on teste l’effet sur l’économie nationale, la protection des tiers et l’importance de cibler les dirigeants fautifs en sondant :

« [l’] importance que la législation [concernant la criminalité en col blanc] soit structurée pour…

• ...tenir compte des répercussions que l’application de la loi pourrait avoir sur l’emploi, les actionnaires d’entreprise et l’économie au Canada [78% en accord (37% très important, 41% assez important)];

• ...permettre aux entreprises de se manifester et de coopérer avec les organismes chargés de l’application de la loi plus facilement [89% en accord (52% très important, 37% assez important)];

• ….éviter que des gens innocents perdent leur emploi, leur pension ou leurs placements en raison d’actes d'autres personnes au sein de l’entreprise [90% (68% très important vs. 22% assez important)];

• cibler les dirigeants d’entreprise qui pourraient avoir personnellement enfreint la loi. » [91% en accord (67% très important, 24% assez important) [nos soulignements] (Ipsos 2016 : 12)

Ces résultats sont intéressants en ce qu’ils démontrent que les répondants acceptent, à première vue, de mitiger les lois anticorruption avec les impératifs économiques. Leur accord à 78% sur ce point (37% le jugent « très important ») est cependant beaucoup moins prononcé que leur accord envers l’énoncé qui comporte une notion d’équité envers des gens « innocents » qui perdraient leur emploi. Ce troisième énoncé obtient un taux d’appui à 90% (68% le jugent « très important »). L’énoncé qui cible les dirigeants fautifs récolte aussi un plus grand appui, de sorte qu’on peut estimer que les répondants soient surtout préoccupés par les enjeux de justice et d’équité. 88% des répondants pensent d’ailleurs qu’un système d’APS qui inclut la surveillance d’un juge « est plus efficace » (Ipsos 2016, 11). Il est dommage que

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le sondage Ipsos ne soit pas allé plus loin dans sa description des APS pour avoir des réponses éclairées, notamment sur leurs avantages et désavantages allégués. En revanche, le sondage insinue qu’un APS favoriserait plus d’accusations contre des dirigeants ou plus d’autodivulgation, alors que rien n’est moins certain empiriquement.

D’autres résultats du sondage Ipsos laissent également présager des réserves des répondants à l’égard des APS, ce dont ni le Conseil et ni M. Manley ne font état dans leurs publications respectives lorsqu’ils se réfèrent aux chiffres de IPSOS. Une question démontre un appui de 92% des répondants à « des conséquences sérieuses » pour les dirigeants et pour l’entreprise, sans préciser s’il s’agit de pénalités financières, de suspension de contrats ou d’une reconnaissance criminelle :

• Lorsque des entreprises et des dirigeants d'entreprise canadiens sont impliqués dans des pratiques d’entreprise contraires à l'éthique ou malhonnêtes, comme le versement de pots de vin, ils devraient être exposés à des conséquences sérieuses. [92% en accord (73% tout à fait d’accord, 19% plutôt en accord, 3% plutôt en désaccord, 3% je ne sais pas)] [nos soulignements] (Ipsos 2016, 5)

D’autres questions passées sous silence indiquent que plus de 60% des répondants veulent que l’entité corporative soit tenue imputable en matière de crimes économiques, selon les circonstances, ou encore doute de l’aspect dissuasif des APS :

• « Les accords de poursuite suspendue ne devraient pas être utilisés lorsque les pratiques contraires à l’éthique ou illégales reflètent une culture d’entreprise malhonnête à l'échelle de l’entreprise. [68% en accord (38% tout à fait d’accord, 30% plutôt d’accord, 13% plutôt en désaccord, 6% tout à fait en désaccord, 13% « je ne sais pas »)]

• Les accords de poursuite suspendue ne suffiraient pas à dissuader les entreprises d'adopter des pratiques contraires à l'éthique ou malhonnêtes. [62% en accord (26% tout à fait d’accord, 36% plutôt d’accord, 20% plutôt en désaccord, 4% tout à fait en désaccord, 15% « je ne sais pas »)] » (Ipsos 2016, 9)

Enfin, une question intéressante démontre un portrait plus représentatif que les 80% cités par le Conseil comme propension d’appui aux APS. Celui-ci aurait dû être interprété à 63% conformément à la moins imprécise et biaisée des questions de l’étude d’Ipsos. Les répondants ont reçu un énoncé sommaire des options présentement disponibles pour les procureurs de la Couronne. On leur a ensuite expliqué la possibilité d’ajouter les APS, bien qu’on leur ait

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fourni la même raison tendancieuse à l’effet que l’outil est disponible aux États-Unis et au R-U. 19% des répondants ont préféré garder le système actuel. 63% appuyaient « la possibilité supplémentaire d'établir des conditions comme une amende et de prendre des mesures pour amener une entreprise à modifier son comportement plutôt que d’intenter immédiatement des poursuites contre elle » (Ipsos 2016 : 8). Un nombre considérable de répondants (18%) ont opté pour « je ne sais pas », démontrant que la question est technique et qu’elle mérite une étude mieux construite (et plus neutre) que celle qui a été commandée par le Conseil.

Comme les répondants sont apparemment concernés par les enjeux de justice, de légitimité, d’équité, mais aussi d’efficacité économique, des scénarios mieux développés pourraient sonder leurs priorités. Il importerait aussi de tester la perception citoyenne d’un cas d’APS vis- à-vis une reconnaissance de culpabilité (à l’issue d’un procès ou d’un plaidoyer). Cette perception citoyenne pourrait avoir un impact sur l’aspect dissuasif des APS. Ipsos n’a pas non plus testé l’impact des APS sur la confiance du public envers ses institutions. Un sondage plus complet évaluerait aussi des scénarios où une entreprise peut suspendre une accusation criminelle, sans reconnaissance de culpabilité, alors que cette option n’est pas accessible pour les individus. Ces scénarios ne feraient pas seulement référence aux dirigeants d’entreprise fautifs (comme l’étude d’Ipsos), mais également à des individus de tous les niveaux économiques accusés pour des crimes sans victimes apparentes et qui pourraient bénéficier de tels programmes de réhabilitation (vols, dommages à la propriété, consommation de drogue, etc.).

4.3.3 Le rapport de Transparency International Canada sur les APS –