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SKIN IN THE GAME : LA RESPONSABILISATION DE L’INITIATEUR DE LA TITRISATION

194. « To have or not to have skin in the game: that is the question ». La célèbre citation de William Shakespeare dans Hamlet peut être transposée à la titrisation pour illustrer le débat sur le transfert de risque dans les transactions : retenir ou ne pas retenir le risque, telle est la question. Ainsi, il convient d’analyser la célébrissime expression « Skin in the game ». Skin est une synecdoque pour désigner un être, une entité. Game représente l’investissement d’une autre entité. L’application de l’idiome à ce mémoire permet d’affirmer que les investisseurs dans une opération de titrisation seront plus à l’aise, ou plutôt « mieux dans leur peau », s’ils savent que l’initiateur de la transaction est personnellement investi également, c’est-à-dire qu’il partage un risque et a l’intention de partager des bénéfices191

.

195. La crise des subprimes donne des raisons solides pour les droits de réformer le marché de la titrisation. Ainsi, les législateurs américains et européens ont cherché des solutions à un risque particulièrement accentué par la crise : celui de la divergence des intérêts entre les parties d’une opération de titrisation et plus généralement entre les participants du marché. Les deux législateurs se sont alors tourné vers un domaine relativement peu affecté par le droit : la rétention de risque dans l’opération de titrisation.

196. Dans l’Union Européenne, la rétention de risque a d’abord été réglementée par l’Article 122 bis de la directive 2006/48/CE du 14 juin 2006 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice. Pour mettre en application cet article, le comité européen des contrôleurs bancaires a publié des lignes directrices en décembre 2010 suivies d’un document de questions-réponses de l’Autorité Bancaire Européenne en septembre 2011. Ce sont désormais le règlement délégué (UE) n° 625/2014 de la Commission du 13 mars 2014, transposant les normes techniques de

                                                                                                               

réglementation précisant les exigences pour les investisseurs, sponsors, prêteurs initiaux et initiateurs eu égard à l’exposition au risque de crédit transféré, et le règlement (UE) n° 575/2013 (depuis le 1er

janvier 2014) du Parlement européen et du Conseil qui régissent les règles de rétention de risque en Europe.

197. Pour la première fois aux Etats-Unis, les législations présentées par le Dodd-Frank

Wall Street Reform and Consumer Protection Act (ci-après « Dodd-Frank Act »)192

et par les nouvelles règles de la Federal Deposit Insurance Corporation (ci-après « FDIC ») allaient réguler en substance les opérations de titrisation et notamment la rétention de risque193

. Ainsi, selon l’opinion générale, la difficulté majeure venant de la crise des subprimes était le manque de considération et d’exposition économiques par les initiateurs et les sponsors dans leurs transactions de titrisation. Le Dodd-Frank

Act, image juridique de ces revendications, a chargé plusieurs agences – l’Office of the Comptroller of the Currency, le Board of Governors of the Federal System, la Federal Deposit Insurance Corporation, la Securities and Exchange Commission, la Federal Housing Financing Agency, et le Department of Housing and Urban Development. – d’écrire les nouvelles règles de rétention de risque qui devaient (1)

exiger que l’initiateur d’une opération de titrisation retienne au moins cinq pourcent du risque de crédit de tout actif qu’il, par l’émission d’ABS, transfère, vend ou cède à une partie tierce et (2) interdire l’initiateur de se couvrir ou de transférer le risque de crédit qu’il lui est demandé de retenir en conformité avec la Section 15G et les règles de mise en œuvre des agences194

. Les règles furent établies en mars 2011 et s’opposèrent à une vague de critiques concernant le manque de remède et de flexibilité. Ainsi, les agences ont pris l’initiative inhabituelle de reproposer des règles le 28 août 2013 (ci-après « revised proposed retention risk rule »).

198. Par conséquent, bien que poursuivant le même objectif, les approches utilisées par les Etats-Unis et par l’Europe sont différentes. Le droit européen se focalise davantage

                                                                                                               

192 Hester Peirce, James Broughel, Dodd-Frank : What It Does and Why It’s Flawed, 2013, p. 103 et

suivantes.

193 John Arnholz, Edward E. Gainor, Offerings of Asset-Backed Securities, Second Edition, 2014, p. 1-3

et suivantes.

sur les institutions de crédit qui agissent en tant qu’investisseurs dans les opérations de titrisation. Le droit américain, quant à lui, se concentre sur le sponsor.

199. La raison de ces deux approches est très pragmatique. En Europe, les institutions financières investissaient dans des ABS émis par des entités américaines et s’exposaient donc directement ou indirectement aux risques de la crise des subprimes. L’inconvénient de ce schéma, pour le législateur européen, est qu’il lui était impossible d’imposer des règles aux initiateurs américains des opérations. Il a fallu trouver un stratagème pour indirectement toucher les initiateurs des opérations de titrisation aux Etats-Unis. Pour ce faire, il tente de responsabiliser ses investisseurs en s’assurant qu’ils disposent d’informations suffisantes et qu’ils les comprennent. Effectivement, les initiateurs des transactions de titrisation ne se préoccupent pas du devenir des actifs sous-jacents puisqu’ils s’en débarrassent. L’objectif d’avoir « skin

in the game » est donc d’ « aligner les intérêts entre les parties qui respectivement transfèrent et assument le risque de crédit des expositions titrisées »195.

200. Aux Etats-Unis, comme la crise des subprimes l’a illustré, les établissements de crédit initiateurs se moquaient éperdument de la qualité de leurs créances196 : ils se contentaient de regrouper leurs prêts pour les titriser et ainsi transférer le risque aux investisseurs. Une autre raison rendait les banques encore plus indifférentes aux créances : les investisseurs étaient supposés pouvoir estimer eux-mêmes et par les notations des agences la qualité des titres qu’ils achetaient. Par conséquent, le législateur américain s’est focalisé sur les initiateurs en leur demandant de retenir un risque minimum dans l’opération et en élargissant leur devoir d’information vis-à-vis des investisseurs.

201. Par conséquent, en utilisant des approches très différentes, le Dodd-Frank Act et le règlement (UE) n° 575/2013 sont protecteurs des investisseurs et atteignent relativement bien leur objectif de « skin in the game » en responsabilisant les initiateurs des opérations de titrisation (Section 1). Pourtant les deux règles de                                                                                                                

195 Considérant n° 1 du règlement délégué (UE) n° 625/2014 de la Commission du 13 mars 2014

complétant le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation précisant les exigences pour les investisseurs, sponsors, prêteurs initiaux et établissements initiaux eu égard à l’exposition au risque de crédit transféré.

rétention de risque souffrent de difficultés de mise en œuvre. Effectivement, beaucoup sont assujettis aux deux lois, ce qui présente des coûts de conformité importants dont les parties se passeraient bien. Par exemple, il arrive souvent que les initiateurs de titrisation aux Etats-Unis soient des filiales des banques européennes. De plus, certains investisseurs européens risquent de ne pas pouvoir acheter certains titres exemptés de la règle de rétention de risque par le droit américain… L’harmonisation des deux droits est nécessaire (Section 2). Simultanément, il convient de se demander si ces nouvelles réglementations prises individuellement continuent à promouvoir l’intérêt des investisseurs et si l’application cumulative du Dodd-Frank Act et du règlement (UE) n° 575/2013 est propice à cet intérêt.

SECTION 1

APPROCHES DIVERGENTES, MAINTIEN D’UN OBJECTIF