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L’APPLICATION DES DROITS COMMUNS DE LA FAILLITE À LA TITRISATION

71. L’inadaptation des droits communs de la faillite américain et français face aux intérêts des investisseurs d’une opération de titrisation est criante. Ces derniers doivent être effectivement protégés des pouvoirs démesurés qui seraient octroyés à un organisme de titrisation74 mis en faillite dans le cadre des régimes de la période suspecte (ou

automatic stay) et du plan de réorganisation. En effet, l’organisme de titrisation reçoit

les actifs du cédant, les conserve, et dirige les flux financiers vers les investisseurs. Son importance est capitale et il doit laisser les actifs financiers transférés « disponibles » pour que les investisseurs puissent exercer d’éventuels recours en cas                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               71 Article L. 632-1 du Code de commerce.

72 Article L. 632-2 du Code de commerce : « Les paiements pour dettes échues effectués à compter de

la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.

Tout avis à tiers détenteur, toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulé lorsqu'il a été délivré ou pratiqué par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci. »

73 Com 16 mars 2010, pourvoi n° 09-11.430, Société Everest v. Monsieur Serrano.

74 L’organisme de titrisation est considéré comme étant le débiteur des investisseurs dans la mesure où

de défaillance des débiteurs cédés. Ainsi, l’application d’une période suspensive à cette entité provoquerait de dangereuses perturbations dans l’acheminement des flux financiers aux investisseurs. De plus, la proximité du véhicule de titrisation avec le cédant rend nécessaire une certaine prudence dans sa constitution75. En définitive, il est dit qu’il doit être bankruptcy remote (ou à l’abri de la faillite) et cette protection doit être construite de toutes pièces.

72. Les agences de notation prêteront une attention particulière aux documents de constitution des organismes de titrisation. Par exemple, s’il est restreint dans son activité et n’a pas de credit history (ou historique de crédit), il sera considéré comme mieux à même de remplir ses objectifs de financements structurés. Le risque que ses créanciers exercent un recours en recouvrement ou une demande de faillite contre lui sera alors peu probable. Cependant, afin de prendre toutes les précautions nécessaires, il convient de limiter contractuellement les droits de recours des créanciers contre le pool d’actifs tenu par l’organisme de titrisation76.

73. Les difficultés propres au droit français à établir une entité protégée de la

faillite. – L’élaboration de l’organisme de titrisation en droit français est le fruit d’une

évolution lente mais sûre vers un palliatif à l’absence du trust anglo-saxon. Aux Etats- Unis, l’utilisation exponentielle des opérations de titrisation tire son origine dans la praticité du trust qui existait avant que des transactions de ce type n’aient eu lieu. Le

trust apparaît comme le trait d’union entre l’entreprise financée et les investisseurs77 : « il reçoit des actifs de la part de l’entreprise financée puis émet des titres financiers,

garantis par ces actifs, auprès des investisseurs ». L’intérêt du trust est donc

« d’isoler les actifs dans une masse patrimoniale affectée dans l’intérêt des

investisseurs. ».

74. Malgré lui, le législateur français a été progressivement contraint de se rapprocher de la structure juridique du trust anglo-saxon, telle était sa perfection. Le régime français                                                                                                                

75 V. n° 79 et suivants.

76 FitchRatings, Criteria for Special-Purpose Vehicles in Structured Finance Transactions, Mai 2012,

p. 2.

77 Valerio Forti, La titrisation des créances en droit comparé. Contribution à l’étude de la propriété,

de la titrisation se caractérise par une évolution constante qui témoigne de la pingrerie du législateur à établir un cadre satisfaisant. En définitive, ce qu’il manquait en droit français était une entité capable de gérer les actifs d’une autre entité, sans les menacer de sa propre faillite et des éventuelles actions de ses créanciers.

75. L’exclusion de la société de droit commun. – D’emblée, il faut noter que le législateur a délibérément renoncé à la forme sociale en tant qu’organisme de titrisation. Effectivement, par la loi du 23 décembre 1988, il introduit le fonds commun de créances (ci-après « FCC ») comme premier véhicule de titrisation. Si le législateur a opté pour une entité sans personnalité morale, c’est qu’il voulait notamment transposer le concept de copropriété dans le FCC et éviter l’impôt sur les sociétés. Ensuite, il a également créé le FCC pour permettre uniquement les cessions de créances provenant d’établissements de crédit, lesquels sont soumis à son contrôle. Cela n’aurait pas été possible dans une société classique. Néanmoins, certains paradoxes apparaissent. Contrairement au régime de copropriété, toute application des règles de l’indivision au FCC est expressément exclue. De plus, certaines caractéristiques inhérentes à la personnalité morale s’appliquent au FCC comme l’acquisition de créances, l’émission de parts, l’autonomie patrimoniale, la dénomination ou encore la domiciliation78.

76. Un régime dérogatoire toujours inadapté. – Entre la loi du 23 décembre 1988 et l’ordonnance du 13 juin 2008, un grand nombre de mesures législatives ont amendé progressivement le régime imposé originairement par le législateur français. Il a fallu, en effet, pallier à différentes contraintes : l’interdiction d’émissions de parts qui représentent les créances postérieurement à la première émission, l’exigence d’homogénéité des créances acquises en élargissant la nature des créances titrisables, la durée minimale de deux ans des créances transmissibles, l’exclusion des créances immobilisées, douteuses et litigieuses, l’autorisation de la titrisation aux seuls établissements de crédit, etc79.

                                                                                                               

78 Valerio Forti, La titrisation des créances en droit comparé. Contribution à l’étude de la propriété,

Fondation Varenne Collection des Thèses, 2012, n° 48 et suivants.

77. La libéralisation du cadre français de la titrisation par l’ordonnance de 2008. – L’ordonnance de 2008 marque le début de la libéralisation80 du cadre légal de la titrisation en France. Elle a notamment autorisé les organismes de titrisation à céder les créances précédemment acquises, à organiser le transfert des risques d’assurance, à avoir recours à l’emprunt, etc. Principalement, la loi dispose désormais que les organismes de titrisation prennent la forme « soit de fonds communs de titrisation, soit de société de titrisation »81.

78. Conclusion. – En définitive, la création d’une entité protégée contre le droit commun de la faillite est primordiale dans un droit comme dans l’autre. Si la société de droit commun en France ne correspond pas aux exigences de la titrisation, c’est précisément pour cette raison : elle est menacée par le droit des procédures collectives. Malgré ses prédispositions, le droit américain n’est pas épargné de tout effort : certains éléments doivent être construits afin de pallier au risque inhérent au droit de la faillite.

SECTION 2

LA CONSTRUCTION D’UNE ENTITÉ BANKRUPTCY REMOTE :