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LA CONSTRUCTION DE LA BANKRUPTCY REMOTENESS

97. Des architectures antagonistes contre la faillite. – Sur un plan macro-comparatif, les acteurs de la titrisation en droits américain et français ne se sont pas protégés de la faillite de la même manière. Tandis que les américains ont plutôt opté pour une réduction101 des risques de faillite du SPV dans ses statuts et dans les documents de la transaction, les français ont préféré la protection légale qui balaye artificiellement mais efficacement l’application du droit des procédures collectives en matière de titrisation.

                                                                                                               

98. L’exclusion de l’application du droit des procédures collectives. – En France, ce ne sont pas les parties qui ont construit leur propre protection : le législateur a pris cette initiative. En effet, l’article L. 214-48, III, alinéa 1er, dispose que « les

dispositions du livre VI du Code de commerce ne sont pas applicables aux organismes de titrisation »102 de droit français103. De façon artificielle mais radicale, le législateur a rendu le droit des procédures collectives inapplicable aux FCT et SDT. En outre, cette éviction est répétée à l’article L. 214-49-3 II dans les dispositions particulières applicables aux sociétés de titrisation.

99. Néanmoins, la structuration de l’opération n’est pas complètement dépourvue d’intérêt en droit français. Par exemple, le règlement du FCT ou les statuts de la SDT prévoient que l’activité de l’organisme est limitée à la titrisation, que ce dernier ne risque pas de voir sa responsabilité contractuelle engagée pour des faits étrangers à la titrisation et que le recours des investisseurs et des créanciers est limité aux actifs titrisés.

100. Aux Etats-Unis, les protections contre la faillite, exclusivement contractuelles, sont du même acabit mais comportent plus de détails. Ainsi, les parties prévoient, par exemple, que les statuts du SPV limitent ses pouvoirs et activités (prohibition de devenir une société), exigent le vote d’administrateurs indépendants pour déposer une demande volontaire de dépôt de bilan. Ces derniers doivent agir, en conformité avec leur devoir fiduciaire, c’est-à-dire à la fois dans l’intérêt des créanciers et dans celui des actionnaires. Les parties peuvent également conclure des accords les empêchant d’émettre des requêtes de faillite involontaires (quand la cause n’est pas rejetée dans un certain laps de temps). Elles peuvent aussi limiter contractuellement leurs recours contre les actifs du SPV. Enfin, un autre moyen de construire une protection contre la faillite serait d’utiliser un SPV indépendant du cédant104.

                                                                                                               

102 Article L. 214-48 III alinéa 1er du Code monétaire et financier : « Les dispositions du livre VI du

code de commerce ne sont pas applicables aux organismes de titrisation. »

103 Article L. 214-42-1 alinéa 4 du Code monétaire et financier : « Ils prennent la forme soit de fonds

communs de titrisation, soit de sociétés de titrisation. »

101. Les statuts du SPV comme support matériel de la protection contre la faillite. – En droit américain, la conception du SPV, dont les statuts témoignent, doit traduire de la façon la plus forte et fidèle possible la bankruptcy remoteness de cette entité. En effet, l’objectif premier qui doit être poursuivi par le SPV est d’amoindrir le plus possible le risque inhérent à sa propre faillite105. Pour ce faire, il faut généralement réduire le nombre de ses créanciers et des événements financiers pour lesquels il pourrait y avoir un dépôt de bilan du SPV. Deux catégories de restrictions communes peuvent être dégagées des statuts d’un SPV en droit américain : celles relatives à ses activités et celles amoindrissant le risque de procéder à une demande de sa propre faillite.

102. Concernant les restrictions sur ses activités, il faut s’assurer que le SPV n’agisse que dans sa fonction de financement des titres aux investisseurs. Ainsi, les statuts du SPV comporteront régulièrement des restrictions qui limitent ses activités à celles qui concernent uniquement le financement. Ensuite, il faut que les statuts interdisent le SPV de se transformer en société. Il est également judicieux de restreindre l’octroi de privilèges ou de garanties sur les actifs cédés en dehors des cas prévus par le financement. Puis, il faut aussi interdire toute fin, dissolution, liquidation, consolidation, fusion, vente d’actifs ou transfert de participations tant que les ABS sont en circulation. Enfin, l’interdiction de modification des documents constitutifs du SPV permet d’entériner et de sécuriser la protection mise en place106.

103. Ensuite, afin de réduire le risque de faillite per se du SPV, il est important de prévoir certaines exigences comme celle du vote d’administrateurs indépendants pour déposer une requête volontaire de mise en faillite, bien que ceux-ci doivent respecter des devoirs fiduciaires et pourraient ne pas agir uniquement dans l’intérêt des créanciers, comme l’illustre le cas Kingston Square Associates107. Ensuite, il faut exiger un consentement unanime du conseil d’administration du SPV pour toute décision relative à (1) une faillite volontaire, (2) un changement dans les documents                                                                                                                

105 Jason H.P. Kravitt, Mayer Brown LLP, Securitization of Financial Assets, Second Edition, Aspen

Publishers 2011, Chapter 5, pages 5-166.

106 Patrick D. Dolan, Securitizations: Legal and Regulatory Issues (Securities Law Series), 2014,

Chapter 2 p. 2-8.

constitutifs et (3) des transactions avec des affiliés. Enfin, pour les SPV cotés en bourse, il est opportun d’exiger l’émission d’une catégorie séparée d’actions donnant droit à certains types d’actionnaires d’autoriser une faillite. Par ailleurs, certains créanciers peuvent voir restreindre contractuellement leur capacité à procéder à un dépôt de demande de mise en faillite contre le SPV à moins qu’ils ne remplissent certaines conditions spécifiques108.

104. Enfin, les contrats de la transaction peuvent également contribuer à amoindrir le risque de faillite du SPV. Ainsi, il est important d’exiger des parties de l’opération qu’elles renoncent contractuellement à déposer une requête involontaire de mise en faillite du SPV. Par ailleurs, les contrats peuvent limiter les recours des parties aux actifs du SPV pour empêcher que le SPV ne soit insolvable au sens du droit de la faillite109.

105. Conclusion. – En définitive, pour pouvoir être mise en œuvre, la titrisation doit être attrayante. Pour ce faire, les législateurs américain et français utilisent tous les deux une approche clientéliste à l’égard des investisseurs qu’ils protègent contre les règles des deux droits commun de la faillite. Pourtant, s’il convient de se protéger contre le droit commun per se, ce n’est pas l’unique risque. En effet, le cédant en difficulté financière aurait tout intérêt à voir les actifs transférés revenir dans son patrimoine pour pallier à son insolvabilité. De plus, les créanciers du cédant défaillant pourraient également contester la cession des actifs qui correspond pour eux, à une diminution de la capacité du cédant à les rembourser. Par conséquent, le deuxième risque majeur de l’opération de titrisation est celui de la contestation du transfert des actifs, risque exacerbé par la faillite du cédant.

                                                                                                               

108 Committee on Bankruptcy and Corporate Reorganization of the Association of the Bar of the City

of New York, « Structured Financing Techniques », 50 Bus. Law. 527, 554 (1995).

109 Patrick D. Dolan, Securitizations: Legal and Regulatory Issues (Securities Law Series), 2014,

CHAPITRE 2

LE TRANSFERT ET L’ISOLEMENT DES ACTIFS