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La skewness des dérivées de vitesse

6.5 Les transferts d’énergie

6.5.3 La skewness des dérivées de vitesse

Afin de caractériser l’influence des nombres de Reynolds et de Rossby sur les transferts d’énergie, nous allons nous intéresser au coefficient d’asymétrie des dérivées de vitesses longitudinales,

S = h(∂u/∂r)3i

h(∂u/∂r)2i3/2 , (6.11)

qui correspond à l’expression (6.7) dans la limite où r → 0.

Il existe dans la littérature un consensus important comme quoi la rotation inhibe la cascade d’énergie des grandes vers les petites échelles [11, 65, 67]. Cette inhibition peut être prédite par une simple analyse dimensionnelle sans tenir compte de l’anisotropie de l’écoulement. Pour une turbulence homogène et isotrope, l’expression de la skewness

S = − 3 √ 30 7 ν R 0 k4E(k)dk ¡R 0 k2E(k)dk¢3/2 (6.12)

est exacte [4]. S’il existe un régime inertiel suffisamment étendu, dans lequel l’énergie se transfère à un taux constant ǫ, et si on appelle kd,Ω la limite supérieure de cette région, on obtient, en remplaçant E(k) par son expression (4.10) en rotation rapide, que

S ∼ ǫ1/2ν−1/2−1 . (6.13)

En utilisant le fait que la vorticité rms vaut ω ∼ ǫ1/2ν−1/2, on trouve finalement

S ∼ Roω , (6.14)

où Roω = ω

/2Ω est le nombre de Rossby microscopique. Ce résultat a été obtenu par Canuto et Dubovikov [14] et montre que la skewness des dérivées de vitesse devient négligeable dans la limite Roω → 0. Ce résultat montre alors que la rotation tend à inhiber la cascade d’énergie des grandes vers les petites échelles. Ce résultat a également été retrouvé par Cambon et al. [11] par un autre raisonnement (cf. équation (6.15)). Cependant, cette diminution qui reflète l’atténuation des transferts d’énergie, est due à la dynamique des ondes d’inertie et n’implique

pas forcément que l’écoulement soit bidimensionnel. Expérimentalement, les travaux de Simand et al. [64, 65] sur l’étude d’une turbulence inhomogène ont montré une réduction de la skewness au voisinage d’un vortex intense.

La skewness des dérivées de vitesse est tracée sur la figure 6.13 en fonction du nombre de Rossby microscopique instantané Roω, pour cinq expériences avec des vitesses de rotation différentes. Toutes les mesures de S sont négatives. Comme nous l’avons mentionné auparavant, l’incer-titude sur la mesure de S est de l’ordre de 20% et semble être du même ordre de grandeur avec la dispersion des mesures pour chaque expérience. Pour les grandes valeurs de Roω, pour lesquelles l’écoulement est essentiellement 3D et n’est pas dominé par la rotation, on constate que la skewness est approximativement constante, S ≃ −0.40 ± 0.05, alors que pour des valeurs plus petites de Roω, lorsque l’influence de la rotation devient de plus en plus significative, la skewness des dérivées de vitesse décroît approximativement comme |S| ∝ Roω. Il est important de remarquer que la frontière entre ces deux régimes, lorsque Roω ∼ 1 - 2, coïncide très bien avec la frontière mesurée pour l’exposant p des lois de puissance des spectres, Roω ≃ 1.5 ± 0.5, sur la figure 4.7. Comme nous l’avions annoncé précédemment, le nombre de Reynolds instan-tané, à la frontière entre ces deux régimes, couvre une gamme de valeur allant de 200 à 2000 pour ces cinq expériences, ce qui rejette la possibilité d’un effet de faible nombre de Reynolds à cette transition. De même, il est important de rappeler que cette transition intervient bien avant que le régime de dissipation de l’énergie dans les couches d’Ekman ne devienne dominant. Ces observations nous indiquent que le spectre d’énergie commence à ne plus présenter de loi de puissance analogue au k−5/3 de Kolmogorov au moment où la rotation d’ensemble commence à inhiber les transferts d’énergie à travers les échelles. Il s’agit d’un résultat non trivial étant donné que S est une quantité à petite échelle, tandis que l’exposant p des spectres d’énergie décrit l’ensemble du domaine inertiel. Cependant, ce résultat peut probablement s’expliquer par le fait que la gamme de temps, pour laquelle les conditions Roω > 1 et RoM < 1 sont simultanément vérifiées, est trop petite.

Par ailleurs, nos résultats expérimentaux sont en très bon accord avec le modèle,

S = −0.49

(1 + 2Ro−2

ω )1/2 , (6.15)

proposé par Cambon et al. [11] pour ajuster leurs résultats obtenus par DNS et EDQNM. Il est intéressant de remarquer que cette équation ne contient aucun paramètre ajustable. Dans leur analyse, ils ont déduit le dénominateur de l’expression (6.15) à partir d’un modèle de fermeture EDQNM, dans lequel l’influence de la rotation est prise en compte en remplaçant simplement le temps de retournement basé sur l’enstrophie des gros tourbillons, hω2i1/2, du modèle EDQNM isotrope, par celui de l’enstrophie absolue, [hω2i + (2Ω)2]1/2, dans le coefficient de viscosité turbulente. En revanche, la valeur −0.49, qui correspond à la valeur de S lorsque le nombre de Rossby microscopique Roω tend vers l’infini, a été extraite à partir du modèle de fermeture EDQNM isotrope sans effet de la rotation et à nombre de Reynolds infini [53]. On remarque à partir de la figure 6.13 que les valeurs expérimentales mesurées, |S| ≃ 0.40±0.05, sous-estiment légèrement l’équation (6.15) pour les grandes valeurs de Roω, |S| = 0.49. Cet écart systématique sur la mesure de S est probablement dû à une insuffisance dans la résolution des petites échelles,

10−2 10−1 100 101 102 10−2 10−1 100 Roω − S

Fig. 6.13: Coefficient d’asymétrie des dérivées de vitesse longitudinales en fonction de Roω, pour 5 expériences à des vitesses de rotation différentes. ¤, Ω = 4.3 rad.s−1 et Vg = 0.69 m.s−1; •, Ω = 1.5 rad.s−1 et Vg = 0.95 m.s−1; ◦, Ω = 1.5 rad.s−1 et Vg = 0.69 m.s−1; ⋄, Ω = 0.5 rad.s−1 et Vg = 0.69 m.s−1; ∗, Ω = 0.13 rad.s−1 et Vg= 0.69 m.s−1. Le trait plein correspond à l’équation (6.15) proposé par Cambon et al. [11].

lors du calcul par PIV, qui est d’autant plus prononcée pour des valeurs importantes du nombre de Reynolds.

6.6 Résumé

Dans ce chapitre, nous avons étudié expérimentalement l’influence d’une rotation d’ensemble sur les fonctions densité de probabilité des incréments de vitesse. La rotation tend à augmenter l’exposant des lois de puissance des fonctions de structure d’ordre 2, en accord avec les résultats obtenus pour les spectres d’énergie.

Des mesures de la skewness des incréments de vitesse ont été faites au cours du déclin de l’énergie. Bien que nous n’ayons pas été capable de mesurer ­[δ//u]3®

moyennés selon les trois directions, nous avons observé une inhibition de S(r) à petite échelle tandis que les échelles inertielles les plus grandes se caractérisent par une skewness S(r) positive. Ces résultats peuvent caractériser l’inhibition de la cascade directe d’énergie à petite échelle et l’apparition d’une cascade inverse d’énergie à grande échelle. Cependant, notre manque de statistiques à grande échelle ne nous a pas permis de faire une étude plus systématique sur les changements de signe de S(r).

Les mesures du coefficient d’asymétrie des dérivées de vitesse ont mis en évidence, en très bon accord avec les résultats numériques obtenus pas Cambon et al. [11], une inhibition des transferts d’énergie en fonction du nombre de Rossby microscopique.

déclin :

(i) Juste après le passage de la grille, l’écoulement turbulent est approximativement 3D ho-mogène et isotrope. L’écoulement n’est pas encore dominé par la rotation, le nombre de Rossby est dans la gamme Roω ≃ 1 − 100, les spectres d’énergie et le coefficient d’asymé-trie des dérivées de vitesse S conservent leurs propriétés de la turbulence 3D en l’absence de rotation, E(k) ≃ k−5/3 et S ≃ −0.4.

(ii) Plus tard au cours du déclin, à mesure que le nombre de Rossby diminue, l’influence relative de la rotation augmente et en dessous d’une limite Roω ≃ 1.5, les spectres d’énergie deviennent de plus en plus raides et le coefficient d’asymétrie commence à diminuer comme |S| ∝ Roω, reflétant la diminution des transferts d’énergie vers les petites échelles. Aux grandes échelles, une cascade inverse d’énergie, caractérisée par un coefficient d’asymétrie positif, prend place.

Asymétrie cyclone - anticyclone

Dans ce chapitre nous allons étudier l’asymétrie cyclone-anticyclone présente dans les écoule-ments turbulents en rotation. Pour ce faire, nous allons caractériser l’évolution de l’asymétrie des fonctions de distribution de la vorticité, en mesurant la décroissance, au cours du temps, des ailes de vorticité positive et négative. Nous quantifierons l’évolution de l’asymétrie en mesurant le coefficient d’asymétrie de la vorticité, Sω = hω3i/hω2i3/2, au cours du déclin de l’énergie, pour les expériences du FAST et de Coriolis. Le comportement de Sω sera comparé à des résultats numériques récents, motivés par nos observations expérimentales.

7.1 Introduction

L’asymétrie entre la vorticité cyclonique et anticyclonique est une propriété générique des sys-tèmes en rotation. La vorticité est définie comme le rotationnel du champ de vitesse, ~ω = rot ~u, et caractérise la rotation locale des éléments de fluide. L’équation de transport de la vorticité dans un référentiel tournant à la vitesse angulaire Ω s’obtient en prenant le rotationnel de l’équation de Navier-Stokes dans un repère en rotation (1.19),

∂ ∂t ~ω +

³

~u · ~∇´ ~ω =³(~ω + 2~Ω) · ~∇´ ~u + ν△~ω . (7.1) La seule différence entre cette équation et celle obtenue dans un référentiel non tournant est l’apparition du terme de vorticité planétaire 2~Ω. Le terme ~ω + 2~Ω est appelé vorticité absolue. En l’absence de rotation, le terme (~ω · ~∇)~u fait intervenir les variations de vitesse dans la direction de la vorticité et représente l’étirement et le basculement des lignes de vorticité. La rotation ajoute alors une contribution supplémentaire au terme de variation de la vorticité, dont les effets sont décrits dans ce qui suit.