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A ce stade du manuscrit, nous allons temporairement abandonner la turbulence pour aborder les écoulements en rotation. Dans cette section, nous allons nous focaliser sur quelques propriétés de la force de Coriolis. En particulier, nous nous intéresserons au théorème de Taylor-Proudman et sur le fait que la rotation favorise l’apparition d’ondes, appelées ondes d’inertie.

1.3.1 La force de Coriolis et nombres sans dimension

Le mouvement d’un fluide dans un repère en rotation est décrit par l’équation de Navier-Stokes écrite dans le référentiel tournant,

∂~u

∂t + (~u.~∇)~u = −1ρ∇p − ~Ω × (~Ω × ~r) − 2~Ω × ~u + ν△~u + ~~ f , (1.19) où p est la pression, ~Ω est le vecteur rotation et ~f est une éventuelle force extérieure. Le terme ~

Ω×(~Ω×~r) correspond à la force centrifuge. Cette force ne joue pas de rôle significatif dans notre étude puisqu’elle se contente d’induire un gradient de pression supplémentaire, uniquement fonction de la distance à l’axe de rotation. Par conséquent, on peut l’injecter dans le terme de pression, et nous n’en tiendrons pas compte par la suite.

Le terme 2~Ω ×~u, en revanche, correspond à la force de Coriolis. Cette force est normale au vec-teur rotation et tend à dévier une particule fluide perpendiculairement à sa vitesse instantanée. Par conséquent, pour une particule voyageant radialement vers l’extérieur, la force de Coriolis va lui imposer une rotation dans le sens opposé à la rotation du référentiel, telle que sa vitesse angulaire mesurée dans un référentiel non tournant soit plus petite, tandis qu’une particule se déplaçant radialement vers l’intérieur va se mettre à tourner dans le même sens de rotation que ~Ω (c’est une conséquence de la conservation du moment cinétique dans le référentiel non tournant).

L’équation de Navier-Stokes (1.19) dans un repère tournant met en jeu la compétition entre plusieurs termes : le terme non-linéaire, (~u.~∇)~u, le terme linéaire de diffusion visqueuse, ν△~u, et le terme de la force de Coriolis. Il nous est alors possible de construire, en plus du nombre

de Reynolds, deux nouveaux nombres sans dimension, le nombre de Rossby, Ro = U/2Ωl, qui compare les effets inertiels à la force de Coriolis, et le nombre d’Ekman, Ek = ν/ΩL2, qui compare les effets de diffusion visqueuse à la force de Coriolis.

1.3.2 Le théorème de Taylor-Proudman

Les écoulements quasi stationnaires (k∂~u/∂tk ≪ k~Ω×~uk) qui se caractérisent par de très petits nombres de Rossby (Ro ≪ 1) et d’Ekman (Ek ≪ 1) sont dominés par la rotation puisque les termes de diffusion visqueuse et de transport convectif sont négligeables. On appelle de tels écoulements, les écoulements géostrophiques.

L’équation du mouvement des écoulements géostrophiques, en supposant qu’aucune force exté-rieure n’est présente, se réduit alors à

2~Ω × ~u = −1ρ∇p.~ (1.20)

La force de Coriolis équilibre le gradient de pression : c’est l’équilibre géostrophique. La consé-quence de l’équilibre géostrophique (1.20) est que l’écoulement est normal au gradient de pres-sion, c’est-à-dire que les lignes de courant coïncident avec les isobares. On peut éliminer le terme de pression en prenant le rotationnel de cette équation (1.20). On obtient finalement,

(~Ω.~∇) ~u = 0. (1.21)

Il s’agit du résultat du théorème de Taylor-Proudman. Cette équation implique que les gradients de vitesse disparaissent dans la direction du vecteur rotation ~Ω. Supposons que ~Ω = Ω~ez, alors ∂uz/∂z = ∂ux/∂z = ∂uy/∂z = 0. L’équation (1.21) est remarquable puisqu’elle induit que la déformation axiale de tous les éléments de fluide est strictement nulle. Par exemple, si on place un objet oscillant lentement dans un fluide infini, la colonne de fluide selon un cylindre au dessus et au dessous de l’objet va alors se mettre en mouvement à la vitesse axiale de l’objet, comme si la colonne était solidaire de l’objet.

En combinant ce résultat avec la condition d’incompressibilité, ~∇.~u = 0, on obtient alors

∂uz ∂z = ∂ux ∂x + ∂uy ∂y = 0. (1.22)

Par conséquent, dans le régime asymptotique où Ro ≪ 1, l’écoulement est alors 3C2D avec pour composantes de la vitesse ux(x, y), uy(x, y) et uz(x, y).

Cependant, l’application du théorème de Taylor-Proudman aux écoulements turbulents n’est pas pertinente dans la mesure où nous avons ignoré l’instationnarité de l’écoulement et le terme non-linéaire de l’équation de Navier-Stokes. Par conséquent, l’équilibre géostrophique ne peut pas décrire l’évolution de l’écoulement au cours du temps ou la cascade d’énergie turbulente qui est due au terme non-linéaire.

z A A' B B'

Fig. 1.7: Écoulement poloidal dans un fluide en rotation. La force de Coriolis tend à ramener les particules fluides à leur positions initiales respectives.

1.3.3 “Élasticité” des fluides en rotation

L’un des effets surprenant de la force de Coriolis sur un écoulement en rotation est d’imposer une certaine élasticité au fluide, qui lui permet de propager des ondes, les ondes d’inertie. Pour tenter de caractériser l’élasticité des fluides tournants, nous allons utiliser les coordonnées cylindriques (r,θ,z) dans un référentiel tournant, avec le vecteur rotation ~Ω = Ω~ez.

Considérons, pour simplifier, un écoulement poloïdal axisymétrique dans le plan (r,z), comme le montre la figure 1.7, sans aucune vitesse azimutale à l’instant initial, uθ = 0. Supposons que le fluide en A soit entraîné vers l’intérieur en A

, tandis que le fluide en B est porté vers l’extérieur en B

. Ce mouvement radial des particules fluides donne alors naissance à une force de Coriolis, −2urΩ~eθ. Cette force de Coriolis va alors induire une rotation, autour de l’axe z, positive en A

, uθ > 0, et négative en B

, uθ < 0. L’écoulement se met alors à tourner dans le plan (x,y) dans un sens ou dans l’autre selon le signe de la vitesse radiale.

Ce mouvement de rotation induit par la force de Coriolis, va alors induire une nouvelle force de Coriolis, 2uθΩ~er. Cette force s’oppose alors à l’écoulement initial, puisque la particule fluide en A

va se déplacer radialement vers l’extérieur et retourne à sa position initiale A, tandis que la particule fluide en B

va se déplacer radialement vers l’intérieur pour retourner en B. L’ensemble de ce processus recommence une nouvelle fois. Étant donné que l’énergie est conservée dans un fluide parfait, on en déduit que les particules fluides vont continûment osciller.

Les écoulements en rotation se caractérisent donc par une force de rappel qui ramène les parti-cules fluides à leur position d’équilibre, ce qui peut s’interpréter comme une certaine élasticité de l’écoulement. Ces oscillations qui sont la marque des écoulements en rotation rapide est la manifestation des ondes d’inertie.

1.3.4 La dynamique des ondes d’inertie

Dans cette partie, nous allons présenter les propriétés des ondes d’inertie. Supposons, pour commencer, que l’écoulement se caractérise par de très petits nombres de Rossby et d’Ekman de telle sorte que les termes convectif et diffusif soient négligeables. En prenant son rotationnel, l’équation du mouvement du fluide devient

∂~ω

∂t = 2 (~Ω.~∇) ~u. (1.23)

En dérivant l’équation (1.23) par rapport au temps et en prenant son rotationnel, on obtient une équation d’onde

2

∂t2(∇2~u) + 4 (~Ω.~∇)2 ~u = 0. (1.24) En injectant une solution d’onde plane de la forme

~u = ~U exp [i(~k.~x − ωt)], (1.25)

dans l’équation (1.24), on obtient la relation de dispersion des ondes d’inertie

ω = ± 2Ω kk// = ± 2Ω cos θ , (1.26)

où ω est la pulsation, k// désigne la composante du vecteur d’onde ~k selon l’axe de rotation, tandis que θ correspond à l’angle que forme le vecteur d’onde par rapport à l’axe de rotation (cf figure 1.8). On remarque que cette relation de dispersion est anisotrope et dispersive. Cette équation ne fixe pas la norme de ~k, mais seulement sa direction par rapport à l’axe de rotation. La vitesse de phase de ces ondes, qui est colinéaire au vecteur d’onde ~k, vaut

~ Cφ = ω

k = 2(~k.~Ω) ~k

|~k|3, (1.27)

tandis que la vitesse de groupe, c’est-à-dire la vitesse à laquelle se propage l’énergie, est donnée par

~

Cg = ~∇kω = 2~k ×(~× ~k)

|~k|3 . (1.28)

On voit alors que ~Cg. ~Cφ = 0 : ces ondes présentent alors un caractère assez inhabituel dans la mesure où l’énergie se propage perpendiculairement à la phase.

L’énergie se propage, à partir de la source, selon un cône de demi-angle au sommet θs = π/2−θ, comme le montre la figure 1.8. La condition d’incompressibilité, ~∇ · ~u = 0, implique que le vecteur vitesse doit être perpendiculaire au vecteur d’onde ~k. On en déduit que la polarisation de ces ondes est circulaire et tourne dans le sens opposé au sens de rotation du référentiel.

a, ω << 2Ω

z

θs θ k Cg Cg

r

u

Fig. 1.8: Une onde d’inertie excitée par l’oscillation d’un objet dans un fluide en milieu tournant.

Par conséquent, les particules fluides font des cercles selon un plan perpendiculaire au vecteur d’onde ~k.

La relation de dispersion de ces ondes (1.26) nous apprend que l’angle θsest directement fonction du nombre de Rossby Ro = ω/2Ω. On peut alors distinguer 3 cas :

(i) Pour des nombres de Rossby, tels que Ro > 1, le vecteur d’onde n’existe pas et aucune onde ne peut se propager. Dans ce cas, l’écoulement se comporte comme en l’absence de rotation.

(ii) Lorsque le nombre de Rossby est égal à l’unité, tel que la fréquence d’excitation vaut ω = 2Ω, le vecteur d’onde ~k est aligné avec l’axe de rotation ~Ω. Le demi-angle au sommet θs vaut π/2 et les ondes ont une vitesse de groupe nulle.

(iii) Dans la limite où Ro ≪ 1, le vecteur d’onde tend à être perpendiculaire à l’axe de rotation et le demi-angle au sommet est nul. La vitesse de groupe, qui vaut 2Ω/|~k|, est alors alignée avec l’axe de rotation et on retrouve les colonnes de Taylor, décrites dans la section 1.3.2. Par conséquent, l’énergie se propage plus rapidement des ondes de petite fréquence. Dans les écoulements turbulents en rotation, on verra que ce mécanisme est à l’origine de l’anisotropie de l’écoulement.