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Une situation agricole, industrielle et commerciale influencée par la nature du gouvernement

Chapitre 3 Une lutte continuelle entre le pouvoir autrichien et la noblesse lombarde pour le contrôle

3.1. Une situation agricole, industrielle et commerciale influencée par la nature du gouvernement

Lors de son séjour à Milan, Giuseppe Gorani a l’occasion d’observer et de faire l’éloge de la situation agricole, industrielle et commerciale de l’État de Milan : « Sous l’archiduc Ferdinand, la Lombardie autrichienne s’enrichit, elle gagna très considérablement en population, en richesse, en commerce, en industrie et dans son agriculture. »1 Il se montre persuadé du rôle majeur joué par le régime politique qui est à la tête de l’État et qui œuvre autant qu’il le peut pour sa prospérité.

a. L’agriculture, un domaine se détachant de plus en plus de la domination nobiliaire et ecclésiastique ?

À la fin du XVIIIe siècle, l’économie agraire reste prépondérante en Lombardie, comme dans le reste de l’Italie.2 Elle est dirigée par sa capitale, Milan, ville demeurée riche malgré la domination autrichienne et le fléau des pestes. Sa capacité de reprise économique est due avant tout à la fertilité de ses campagnes, où vivent les 4/5 des habitants de l’État. En effet, malgré les sommes tirées par le pouvoir autrichien, le Milanais demeure florissant économiquement.3 D’après G. Gorani, l’agriculture est une des forces qui permet la puissance d’un État car elle lui offre « des richesse abondantes et perpétuelles. »4 La noblesse milanaise, détentrice de la richesse, se trouve à la tête de la plupart des terres et donc de la production agricole, qui constitue son patrimoine principal.5 C’est le cas de la famille Gorani,

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Giuseppe GORANI, op. cit. Storia d’Italia…, p. 166.

2 Jacques GODECHOT, Histoire de l’Italie moderne, Tome 1, Le Risorgimento (1770-1870), 1971, p. 22. 3 Albane COGNE, op. cit. p. 130-132.

4 Giuseppe GORANI, op. cit. Recherches sur la science…, p. 6. 5

qui possède de vastes propriétés acquises entre le XIVe et le XVIe siècle, comme l’indique l’auteur: « Mais il est aussi bien prouvé que ces véritables aïeux, […] possédaient dès lors, dans la province d’Oltrepo et dans celle de la Lomelline, des terres et des fiefs nobles. »1 La famille possède également de vastes terres à Lucernate, sur lesquelles elle exerce ses privilèges, comme l’indique l’auteur lorsqu’il en fait la description :

« C’est un assez grand château et un village assez considérable avec des cassines séparées du village, dont toutes les maisons étaient à mon père. Le territoire est assez étendu et très fertile en blés, en vins, en foin, en mûriers, en lin et en autres denrées. Il n’y a aucun autre maître que le propriétaire de la terre, qui jouissait alors de droits seigneuriaux, de ceux de chasse et de pêche dans l’Olone, petite rivière qui augmente la fertilité. »2

Réduite dans ses droits par la centralisation opérée par Vienne, la noblesse ne peut qu’exploiter son potentiel économique.3 En effet, les nobles, pour justifier encore leur position sociale qui s’effrite peu à peu, se retranchent vers leurs possessions foncières.4 L’abbé Richard explique également que cette noblesse n’est pas attirée par la cour de Vienne et préfère rester à Milan afin d’exercer ses derniers pouvoirs.5 Il faut savoir que la propriété foncière reste le symbole même de la condition du noble car la possession de la terre est une exigence impérative pour l’obtention d’un titre.6

Toutefois, les membres de la noblesse vivent la plupart du temps à la ville alors que la campagne est seulement le lieu d’où ils titrent leurs revenus. Les terres possédées par les nobles forment leur domaine, qu’ils peuvent exploiter directement, louer ou aliéner. G. Gorani déplore les abus qui sont souvent perpétrés par la noblesse et qui ont pour but de « perpétuer la servitude de la glèbe » c'est-à-dire des paysans.7 D’après lui « l’agriculture, pour prospérer, ne demande que l’inviolabilité du droit de propriété, et qu’on abolisse toutes les servitudes et contributions féodales qui ruinent autant les seigneurs que les vassaux. Le droit de propriété foncière doit être plein et entier. »8

1 Giuseppe GORANI, op. cit. Mémoires de jeunesse… p. 8-9. 2 Giuseppe GORANI, op. cit. Du despotisme éclairé… p. 108. 3 Mario APOLLONIO, op. cit. p. 13-14.

4

Mario APOLLONIO, ibid. p. 20.

5 Guido BONARELLI, op. cit. p. 25. 6 Norbert JONARD, op. cit. p. 28.

7 Giuseppe GORANI, op. cit. Recherches sur la science… p. 93. 8

De même, l’autonomie du clergé milanais se réduit peu à peu en raison de l’affaiblissement de son indépendance économique. Les propriétés foncières possédées par les communautés religieuses ou par l’archevêque sont d’un rendement général de plus en plus médiocre tant à cause de l’absentéisme des bénéficiaires que de leur mauvaise exploitation. Elle n’en constitue pas moins une richesse considérable qui, protégée par des exemptions fiscales et par le système de la mainmorte, rassemble de nombreux patrimoines.1

b. Un contrôle étroit de l’industrie et du commerce par le pouvoir autrichien

Giuseppe Gorani explique, dans ses œuvres, que l’industrie et le commerce font l’objet d’un contrôle étroit de la part du pouvoir autrichien. L’auteur critique le despotisme autrichien car d’après lui « pour faciliter les découvertes et les moyens de perfectionner les arts et métiers, il faut que l’industrie soit libre, et cependant presque partout on est forcé d’acheter le droit de travailler ; c’est vendre le droit de vivre pour ceux qui n’ont pas d’autre ressource que leurs travaux, et vendre le droit de vivre est certainement un crime. »2 Des voyageurs étrangers, comme Roland De La Platière, constatent une dégradation générale qui concerne les arts et métiers :

« L’état de langueur dans lequel cet art et tous les autres se trouvent ici, pourrait bien avoir son principe dans les impôts, qui enchérissent les matières premières et la main d’œuvre. Lorsqu’on en est venu au point de lutter pour la concurrence, c’est cela qui la détermine ; il faut alors que les ouvriers baissent les qualités pour rétablir l’équilibre sur les prix. »3

C’est dans un climat de rivalités et de luttes d’influence que se développent certaines industries comme celle de la soie, dont les ateliers de filage sont présents dans la Lombardie autrichienne.4 L’exiguïté du capital fixe requis et la possibilité de recruter une main d’œuvre féminine à bas prix dans les campagnes favorise la dispersion des lieux de production. En 1779 encore, le contrôleur royal Alberto Besozzi découvre que sur les 303 ateliers qui existent dans l’État, seulement 10 ont plus de 25 fourneaux, alors que la moyenne est autour

1 Franco VALSECCHI, op. cit. L’Italia nel Seicento… p. 217.

2 Giuseppe GORANI, op. cit. Recherches sur la science…vol. 2, p. 110. 3 Roland DE LA PLATIERE, op. cit. p. 448.

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de six.1 Nombre de ces fabriques ont été installées grâce aux subventions gouvernementales. Déjà en 1760, Carlo Morelli, avec un prêt de 40000 livres, a pu mettre sur pied une manufacture de rubans de soie qu’il a cédée en 1766 à Antonio Latuada. Jérôme de Lalande la décrit ainsi :

« Il y a plus de cent métiers de toutes sortes d’étoffes en soie et dorure : on en estime surtout les velours qu’on affirme être supérieurs à ceux de France. On occupe dans cette manufacture plus de 600 ouvriers, tant hommes que femmes, environ 350 hommes et 150 femmes, et l’on y exécute des travaux de toute espèce ; on y file la soie, on la teint ; il y a des instruments pour tirer l’or et pour le réduire en feuilles, pour lustrer et pour calandrer les étoffes ; on y fait aussi des mouchoirs de soie, des satins, des gros de Tours et des bas de soie au métier ».

Une autre industrie qui enregistre des développements prometteurs est l’industrie cotonnière, qui est traditionnelle en Lombardie. La majeure partie de cette production se trouve concentrée dans la zone de Busto Arsizio, où travaillent près de 600 fileurs. Des industries mineures s’ajoutent, comme celle de la laine ou du lin.2 En dehors du textile, toutes les autres industries sont moins exploitées, qu’il s’agisse de la papeterie, de la fabrication des carrosses ou des meubles. D’après l’abbé Richard il y a « quantité d’orfèvres qui paraissent fort occupés, mais qui travaillent avec peu de goût ; il s’en faut beaucoup que leurs ouvrages soient aussi fins et aussi élégants que ceux des orfèvres de Turin. »3 Il en est de même de l’industrie sidérurgique qui, bien que localisée à Valsassina et à Valcavargna, est presque inexistante. La raison en est la rareté des mines de fer en exploitation qui ne servent qu’à alimenter 55 forges à Lecco et n’emploient que 246 ouvriers au total.4 Giuseppe Gorani déplore l’abandon quasi-total auquel est voué ce secteur car il le considère comme indispensable pour la prospérité des autres domaines : « Presque tous les travaux de l’agriculture, du commerce et des arts et métiers, seraient impraticables sans les métaux ; aussi la nature a-t-elle rendu très communs, très abondants, d’une extraction et d’une fabrication facile ceux qui sont les plus nécessaires, tels que le fer, le cuivre, l’étain et le plomb. »5 L’auteur considère comme essentielle l’ouverture et l’exploitation des mines et

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Carlo CAPRA, op. cit. La Lombardia austriaca…, p. 425.

2 Norbert JONARD, op. cit. p. 115.

3 RICHARD, Description historique et critique de l’Italie t. 1, p. 271. 4 Norbert JONARD, op. cit. p. 116.

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critique fortement le désintérêt de Joseph II pour ce secteur ainsi que son manque de discernement envers les hommes de mérite.1

Giuseppe Gorani démontre que le commerce ne bénéficie pas également d’une activité importante. Or, il se montre persuadé de l’importance de ce secteur pour la prospérité d’un État comme il le montre dans la définition qu’il donne du commerce :

« Le commerce consiste dans l’échange que font entre elles les familles, les provinces et les nations, de ce qui leur reste de leurs productions respectives après leur consommation ; le commerce adoucit les mœurs, il est ennemi de l’oisiveté, il inspire l’amour du travail par l’appétit du gain, il rapproche les diverses productions des différents climats ; il évite aux cultivateurs les pertes qu’ils feraient, si leurs productions restaient invendues ; il favorise également l’industrie ; il procure aux uns et aux autres le bon prix de leurs marchandises, lorsqu’il est libre et immune ; enfin, il leur donne une émulation dont il profite lui-même : ainsi le commerce est, après l’agriculture, l’objet qui mérite la plus grande protection d’un gouvernement sage. »2

D’après l’auteur, les possibilités d’investissement sont réduites en raison des monopoles détenus par certains. C’est le cas de l’archiduc Ferdinand qui « désirant faire ce commerce pour son propre profit, publiait souvent des prohibitions sévères d’exporter les grains et en faisait des accaparements énormes, ce qui produisait maintes fois une grande cherté de cette denrée et quelquefois des véritables disettes »3

c. Un gouvernement gérant avec plus ou moins de soin les finances publiques

Selon Giuseppe Gorani, les finances publiques de l’État de Milan sont gérées avec plus ou moins de soin par le gouvernement qui se plie aux ordres du pouvoir autrichien. L’auteur s’intéresse aux finances et à l’économie qu’il considère comme « une branche très important de la science du gouvernement ; elles sont pour lui ce que sont les ailes pour les oiseaux. »4 Pour cela, il observe les revenus de la province et remarque que cette dernière connaît une crise en raison des politiques réformatrices menées par l’Empire. Les principaux

1 Giuseppe GORANI, op. cit. Mémoires secrets… vol. 1, p. 446. 2 Giuseppe GORANI, op. cit. Recherches sur la science… vol. 2, p. 100. 3 Giuseppe GORANI, op. cit. Storia d’Italia… p. 152.

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revenus proviennent des impôts, qui sont prélevés difficilement en raison des résistances de la noblesse et des abus perpétré par le système de recouvrement :

« Les impôts sur les marchandises, sur leur fabrication, leur vente et leur consommation, en renchérissant ces marchandises, créent nécessairement la fraude et la contrebande. Ces impôts étant infiniment variés, compliqués et multipliés, la fraude et la contrebande qu’ils occasionnent, nécessitent des armées de gardes, de commis, et des frais immenses de régie et de perception qui souvent font plus que doubler le produit de ces impôts. La régie et la perception de ces impôts, sont toujours accompagnées d’exactions, de vexations, de procès, saisies, amendes, confiscations, de corruption, d’espionnage, de délations, d’inquisitions, d’emprisonnements, de supplices, de perte de temps et de crédit, et d’une guerre perpétuelle entre le gouvernement et la nation. »1

Gorani fait l’éloge de certains ministres comme Pallavicini, qui a contribué, en opérant une réorganisation financière, à enrichir Milan et la Lombardie.2 Cette réorganisation est complétée dans les années 1770 par le ministre Firmian, qui reçoit l’ordre d’apporter des modifications à la Banque Nationale afin de réduire les pouvoirs de la noblesse :

« À l’occasion de ces réformes nouvelles, le comte de Firmian fit une opération sur la grande Banque nationale, formée en grande partie de capitaux appartenant aux nobles et substitués en fidéicommis. Il réduisit arbitrairement les intérêts de cinq à quatre pour cent avec défense aux propriétaires légitimes de retirer ces capitaux pour les placer ailleurs, ce qui était d’une injustice frappante. Ces changements produisirent un grand profit pour les finances souveraines et des avantages marquants pour les ministres régisseurs, ce qui ne saurait pas être approuvé […] Il n’en est pas moins résulté un gros bénéfice pour les ministres et leurs commis et un très grand dérangement pour un très grand nombre de familles. »3

Toutefois, les revenus gagnés par l’État de Milan ne suffisent pas à palier ses dettes. L’État se voit obligé de subir des dépenses obligatoires et qui concernent principalement la

1 Giuseppe GORANI, ibid. p. 133.

2 Giuseppe GORANI, op. cit. Storia di Milano… p. 74 3

solde des troupes, l’entretien du palais du gouverneur, ainsi que les besoins d’argent sans cesse renaissant de la cour pour l’entretien de son faste.1

Ainsi, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la situation agricole, industrielle et commerciale de la Lombardie est plus ou moins prospère. Cette situation contrastée touche également les finances publiques.

3.2. Un gouvernement tentant de réformer l’économie et les finances

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