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Des considérations essentielles sur la nécessité de dénoncer à l’opinion publique le despotisme

Chapitre 9 La naissance des idées majeures de la pensée politique de Giuseppe Gorani

9.1. Des considérations essentielles sur la nécessité de dénoncer à l’opinion publique le despotisme

Pendant la période de son séjour milanais, Giuseppe Gorani répudie les idées qu’il a avancées quelques années auparavant dans Il Vero Dispotismo (1771) car son objectif n’est plus de livrer des considérations ou des conseils aux princes sur l’art de régner mais d’opérer une critique des faiblesses du gouvernement autrichien, et plus généralement, des régimes politiques autoritaires.

a. Une critique virulente du despotisme monarchique

Les observations politiques auxquelles se livre Giuseppe Gorani durant les années de procès qui l’opposent à son frère aîné lui permettent de donner naissance à ses idées majeures concernant la science du gouvernement. Ses expériences personnelles, qui l’obligent à s’intéresser de près aux mécanismes du gouvernement milanais, le conduisent à développer une aversion pour le régime politique autrichien, qu’il qualifie de despotique. Ainsi par exemple, il explique que sa déception et celle du peuple milanais sont de taille lors de la découverte des intentions de Joseph II : « La plupart de Milanais applaudirent à la disgrâce des archiducs, car ils étaient très loin d’imaginer que l’empereur se conduirait bientôt d’une manière à les faire regretter. Les Milanais connaissaient si peu leur nouveau maître qu’ils en attendaient presque tous une administration accomplie. »2 G. Gorani commence à formuler une critique virulente du despotisme royal, critique qui devient la base de ses réflexions tout au long de sa carrière d’homme de lettres.

1 ADEMOLLO, op. cit. p. 73. 2

D’après l’auteur, l’exercice du pouvoir devrait être soumis au jugement de l’opinion publique, sans distinction de condition sociale. Ses recherches le conduisent à formuler des théories selon lesquelles tout Prince doit régner avec vertu :

« Il n’est qu’un moyen pour un prince de régner avec gloire, c’est d’observer en tout les règles de la vertu ; s’il respecte les droits de l’homme, si dans le choix de ceux auxquels il confie les fonctions du gouvernement, il a plus d’égards au vrai mérité qu’à tout autre motif, il méritera le titre et les récompenses d’un prince vertueux. »1

D’après G. Gorani, la vertu est le seul moyen pour les princes d’acquérir le plus grand pouvoir ainsi que la renommée. D’après lui, il est inutile d’opérer des dépenses afin de construire des monuments pour la gloire car « il n’y a que des monarques doués d’activité, de génie, de talents et de vertus, qui aient acquis et qui puissent acquérir des droits à l’immortalité par leurs actions grandes et utiles. »2 De même, un Prince vertueux n’a pas besoin d’offrir des récompenses pécuniaires à ceux qui réalisent des services pour leur État : « Ce qu’il y a de vrai, c’est que les bons princes n’eurent jamais besoin d’épuiser le trésor pour récompenser les actions utiles à la patrie, il n’appartient qu’aux tyrans de s’appauvrir par toutes sortes de profusions. »3

b. La nécessité de limiter les pouvoirs abusifs des Grands et de la noblesse

Lors de son séjour à Milan, Giuseppe Gorani développe l’idée de l’importance de limiter le pouvoir des Grands. D’après lui, les souverains sont bons de nature mais deviennent mauvais sous l’influence de ces derniers : « Pourquoi y a-t-il moins de mauvais rois que de mauvais ministres ? C’est que l’intérêt des rois est toujours le même que celui des peuples, qu’ils ne peuvent être riches que de leurs richesses, et heureux que de leur bonheur. »4 Les Grands ne se préoccupent pas de l’intérêt général et du bon gouvernement de leur États, ils ne sont intéressés que par les profits personnels qu’ils peuvent réaliser :

1 Giuseppe GORANI, op. cit. Recherches sut la science…vol. 1, p. 6. 2 Giuseppe GORANI, op. cit. Recherches sut la science…vol. 2, p. 13. 3 Giuseppe GORANI, ibid. p. 18.

4

« Les ministres, au contraire, et les courtisans ne peuvent s’enrichir eux, leurs familles, leurs protecteurs et leurs amis, qu’en ruinant les peuples et les rois. Ainsi toujours les intérêts des ministres sont absolument contraires à l’intérêt public ; on doit donc les surveiller toujours, les contenir par le frein de l’opinion publique, auquel on doit les soumettre par la liberté de la presse sur toutes leurs opérations ; on doit les rendre responsables de leur conduite et de celle de leurs subordonnés ; on doit les obliger à rendre, chaque année, un compte public de la recette, de la dépense de leur département ; enfin leurs délits doivent être punis avec la plus grande sévérité, parce que les délits des fonctionnaires publics sont presque toujours des crimes de lèze-nation. »1

D’après Giuseppe Gorani, le despotisme le plus virulent est celui des ministres qui bénéficient d’un pouvoir plénipotentiaire : « Le despotisme des ministres est le plus désastreux pour les nations, parce que c’est sur elles directement qu’il s’exerce, au lieu que le despotisme du prince ne peut guère s’exercer que sur ceux qui l’environnent. »2 Par conséquent il explique que si un monarque veut faire en sorte de permettre la prospérité de son État ou de son Empire, il doit prendre des mesures pour limiter le pouvoir de ses ministres.

C’est également durant son séjour à Milan que Giuseppe Gorani devient de plus en plus persuadé de la nécessité de limiter les pouvoirs de la noblesse milanaise tout entière afin d’atteindre le bonheur public. Les expériences familiales de Giuseppe Gorani, ses désaccords avec son frère aîné, sont la raison principale de la naissance de ces pensées. En effet, l’injustice ressentie face à sa position de cadet et face à la distribution inégale des richesses parmi les membres d’une même famille lui donne envie de « pulvériser les lois et les gouvernements qui ne corrigeaient point ces inégalités extrêmes et je présageai que tôt ou tard il se formerait quelque révolution pour corriger des législations si contraires aux lois de la nature […] »3 D’après l’auteur, la noblesse est un ordre parasitaire qui coûte cher au peuple en raison des droits exclusifs qui lui sont accordés. Il est primordial de supprimer les inégalités créées par la hiérarchie qui sévit au sien de cet ordre :

1 Giuseppe GORANI, ibid. p. 35. 2 Giuseppe GORANI, ibid. p. 36. 3

« Je suis bien persuadé qu’une grande nation serait plus heureuse, s’il n’existait chez elle aucune hérédité de noblesse, mais comme les esprits en général ne sont point encore assez mûrs pour cette vérité, au moins dois-je conseiller aux princes qui voudront régner avec gloire et prospérité, s’ils laissent aux Grands leurs titres et leurs décorations, de les priver entièrement de tout pouvoir qui ne serait pas absolument nécessaire à l’exercice de leurs emplois, dont aucun ne doit leur être exclusivement réservé, et auxquels tous les citoyens doivent pouvoir aspirer selon leur mérite. »1

Afin de conserver cet ordre sans qu’il soit un poids pour l’État, G. Gorani pense qu’il est nécessaire d’éliminer les distinctions de « race » et de laisser subsister uniquement les distinctions dues à la vertu. Il explique comment faire pour conserver noblesse sans qu’elle coûte et qu’elle importune :

« Ainsi, en dépouillant la noblesse de toutes ces distinctions et droits onéreux et anti-sociaux, on pourrait la conserver dans les monarchies sans inconvénients. La noblesse de race ainsi réduite à ce qu’elle doit être, ne serait plus qu’une chimère, et l’on pourrait tirer de cette classe une pépinière de bons officiers de terre et de mer, mais à condition que les simples soldats pourront parvenir comme eux, par leur mérite aux différents grades militaires. »2

Ainsi, il combat l’idée d’une patrie fondée sur les privilèges.3 Il se place aux côtés de nombreux hommes de lettres qui prônent l’égalité du peuple et la disparition des distinctions sociales. Son modèle est Giuseppe Parini, qui, dans Il dialogo sopra la nobiltà (1757), dénonce l’existence d’une hiérarchie sociale et se moque de la prétendue supériorité de la naissance et du sang des aristocrates.4

1 Giuseppe GORANI, ibid. p. 357.

2 Giuseppe GORANI, op. cit. Recherches sut la science…vol. 1. p. 364. 3 G. NATALI, op. cit. p. 86.

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c. Le soutien envers un gouvernement désireux d’éliminer les pouvoirs abusifs de l’Église

Enfin, Giuseppe Gorani développe une forte critique face aux pouvoirs de l’Église, qu’il juge abusifs, voire même despotiques. En effet, le clergé constitue un véritable État dans l’État, car il dispose d’une juridiction particulière avec ses propres tribunaux et ne relève que de lui-même. L’auteur assiste avec satisfaction à la crise qui ébranle le clergé milanais et qui remet en cause les fondements mêmes de la société ecclésiastique, voire l’existence de quelques ordres. Ce clergé est notamment menacé de l’extérieur par la politique anti-curiale des souverains éclairés.1 En effet, G. Gorani soutient le pouvoir autrichien dans les réformes que celui-ci entreprend afin de diminuer la puissance ecclésiastique. Il loue Marie-Thérèse d’Autriche qui, bien que soucieuse de ne pas heurter de front l’Église, dont elle se déclare respectueuse, entreprend tout de même une série de changements.2 L’impératrice, qui constate que les prêtres sont trop nombreux et ont une conduite souvent peu édifiante vis-à- vis de la discipline ecclésiastique, fait supprimer nombre de bénéfices et interdit aux religieux de gérer le bien d’autrui et de s’occuper de négoce.3 De plus, elle fait ôter aux couvents et à toutes les églises leurs immunités et leurs privilèges sans s’embarrasser des protestations de la cour de Rome.4 G. Gorani éprouve une grande admiration pour les actions de l’impératrice qui, d’après lui, fait tout pour libérer le milanais du joug ecclésiastique :

« Elle fut la première parmi les monarques autrichiens à faire main basse sur un grand nombre de momeries et de préjugés, à assujettir le clergé milanais, lui ôter les privilèges, les exemptions, les immunités qu’il avait obtenu des rois d’Espagne, et l’obliger à payer les impositions comme tous les autres sujets. »5

Dans la Lombardie autrichienne, l’impératrice est secondée dans son action réformatrice par ses ministres. Le premier d’entre eux à œuvrer pour l’application de ses décisions et le comte de Firmian, dont G. Gorani rapporte le zèle :

1

Norbert JONARD, op. cit. Milan… p. 42.

2 ADEMOLLO, op. cit. p. 69.

3 Franco VALESCCHI, op. cit. L’Italia nel Seicento… p. 250. 4 Giuseppe GORANI, op. cit. Storia di Milano… p. 240. 5

« Il ne cessa de veiller pour empêcher les abus de la puissance et du crédit des prêtres, des moines et des dévots et dévotes. Il inspectait de près toutes leurs actions. Il soumit tous les gens d’Église à l’autorité civile, au paiement de toutes les impositions, selon leurs facultés […] Firmian mettait toujours beaucoup d’empressement lorsqu’il s’agissait de démasquer la superstition et l’hypocrisie, de découvrir et de punir les tricheries sacerdotales et dans les affaires de cette espèce il ne se rapportait jamais à ses ministres subalternes, ni a ses favoris, et voulait tout examiner et décider par lui-même. »1

Toutefois, il faut savoir quela politique menée par Marie-Thérèse est une politique d’équilibre tendant à des solutions de compromis et de conciliation plus qu’une politique offensive visant à renverser brusquement le rapport de forces entre l’Église et l’État.2 Joseph II quant à lui, guidé par des principes philosophiques, veut aller plus loin dans les réformes entreprises et réussit à convaincre sa mère de supprimer un grand nombre de couvents et d’ordres religieux. Méprisant le pouvoir pontifical, il veut s’ériger lui-même en souverain pontife dans ses États et œuvre pour la diminution du pouvoir de l’archevêque de Milan. Ainsi par exemple, il déclenche les hostilités avec Rome lorsqu’il fait diminuer de moitié le nombre des couvents.

Les réformes ecclésiastiques mises en place par Joseph II permettent peu à peu le développement de la tolérance, si chère aux hommes des Lumières. Pour qu’elle soit mieux assurée, l’empereur délivre l’État de Milan du tribunal de l’Inquisition, portant ainsi un coup violent au pouvoir pontifical, qui, sous le règne de Pie VI (1775-1799) commence à s’affaiblir de plus en plus.3

9.2. La dénonciation du cadre de vie misérable du peuple milanais dans

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