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L A CONSTRUCTION NARRATIVE AU SERVICE DE L’HISTOIRE

1. La situation événementielle

Cette situation englobe, en elle, la phase romanesque renvoyant aux chamboulements survenus depuis l’intervention de la force transformatrice mais également les nombreuses péripéties qui s’en ont suivies.

a. La force transformatrice

L’arrivée des colons représente indéniablement la force transformatrice du roman, la force ayant chamboulé la paix qui régnait dans le village de l’enfant. Le roman témoigne de cette bouleversante arrivée dont l’Histoire se souviendrait pour toujours. Pierre, sang, papier ou cendre rend acompte de cet événement historique, à travers le regard ininterrompu de l’enfant, sentinelle de la mémoire, assistant à cet impressionnant débarquement qui l’a totalement subjugué. L’armée

77 française a débarqué sur les terres algériennes par voie maritime avec un nombre important de bateaux, prêts à accoster et à poser pied sur la terre qu’ils ont décidé de conquérir :

Ce sont des dizaines, des centaines de bateaux, mâts et cordages dressés contre le ciel, pavillons hissés haut. Là, tout près, à portée de canon. Une sourde menace semble planer sur les lieux. C’est là. Sombre et pesant. À la fois précis et encore indéfinissable. La clarté se fait maintenant plus vive, et se répand telle une coulée de lave sur les eaux soudain parcourues de reflets sanglants. Debout face à la mer, l’enfant attend que se dissipe le mirage. Des bateaux sont là, tout proches, et toujours immobiles. (PSPC, p. 10)

Le roman témoigne de cet épisode de l’Histoire d’Algérie, en dévoilant certains détails importants, à savoir la date inscrite dans les annales historiques, où la flotte française a abordé la terre algérienne, à savoir la date du quatorze juin mil huit cent trente. Ainsi que la ville française d’où elle est survenue, il s’agit de Toulon en date du vingt-cinq mai mille huit cent trente. Il apparait que les colonisateurs voyaient cette nouvelle terre « quasi-vierge » comme une « nouvelle Amérique » où ils pourraient bâtir un nouvel empire européen, qu’ils façonneraient, selon leurs idéaux français, telle une extension de la France :

En ce matin du quatorze juin mil huit cent trente, la flotte française, partie de Toulon vingt-cinq mai, aborde une terre inconnue. Cette terre, c’est l’Algérie, une vaste et nouvelle Amérique, peuplée, leur a-t-on dit, de moustiques mal armés, inconstants, lâches et malpropres. (PSPC, p. 18)

En effet, « L’histoire de la France en Algérie devient, dans la mythologie du colon, l’histoire de la « naissance d’une nation » algérienne. Une nouvelle communauté s’est créée, à l’américaine, comme les États-Unis. »1

. De ce fait, le lecteur replonge dans les annales de l’Histoire et visionne en lisant le roman, des scènes prêtées à l’Histoire. L’élément déclencheur est indéniablement l’arrivée de l’escadre française qui depuis a donné lieu à de nombreuses péripéties.

b. Les péripéties ou les malheurs et souffrances subis par les Algériens

Les péripéties ayant marqué la trame romanesque en bouleversant son équilibre, sont l’ensemble des poignantes actions menées par les colonisateurs à l’encontre des « indigènes ». En effet, le roman surplombe le lecteur

78 d’informations historiques, et notamment celles relatives au mauvais traitement réservé aux Algériens. Ces derniers se retrouvaient bannis de leurs propres terres, traités tels que des êtres inférieurs qu’on torturait et tuait sans la moindre pitié.

Pierre, sang, papier ou cendre, raconte ce douloureux épisode de l’Histoire

algérienne, certainement pour raviver les esprits. Et ne jamais oublier le prix payé par l’Algérie pour décrocher la liberté. Comme dans l’extrait ci-dessous, où Maïssa Bey raconte comment l’armée française a-t-elle forcé les villageois à détruire eux-mêmes leurs propres champs, en coupant les arbres desquels ils se nourrissaient autrefois: leurs figuiers, leurs oliviers, leurs orangers ou encore l’injustice qui leur a été réservée en leur confisquant tous le bétail qui représentait la richesse de la tribu :

Quand ordre leur a été donné de couper eux-mêmes leurs oliviers, leurs figuiers et leurs orangers, quand on a confisqué toutes les têtes de bétail de la tribu accusée d’avoir osé se soulever contre l’autorité de madame Lafrance. Quand on a, sous ses yeux, égorgé son agneau pour en faire ripaille, l’enfant s’est réfugié tout en haut de la colline. Le cœur fou et les yeux secs, il a simplement attendu jusqu’à la tombée de la nuit que le bataillon de tirailleurs s’en aille. (PSPC, p.55)

De nombreuses péripéties ont survenu dans l’évolution de la trame qui reflète ainsi les bouleversements qu’a eus à vivre la société algérienne, durant la période de la colonisation. En s’inspirant principalement de l’Histoire d’Algérie,

Pierre, sang, papier ou cendre, relate des faits qui ont réellement eu lieu. À

l’image de la mémoire des ancêtres qui a été bafouée, par le fait que les colons ont eu à construire une route sur le cimetière du village, provoquant chez les gens de la tribu un profond sentiment de désarroi et une vive émotion:

Quand il a entendu les femmes se lamenter, parce que la troupe, suprême outrage, a fait passer, à l’orée de la ville, des routes sur les deux cimetières où reposaient leurs ancêtres sans se soucier de déplacer les ossements des morts, l’enfant n’a pas pleuré. (PSPC, p. 55)

Ou encore, les atrocités pusillanimes commises par l’armée française sans aucune retenue. Les tueries, les mauvais traitements, les tortures qui ont ébranlé les Algériens de l’époque du colonialisme. Le roman s’étale longtemps sur tous ces tristes épisodes que la mémoire française a tendance à oublier, et rend compte

79 de chaque événements ayant secoué et marqué l’esprit de l’enfant et par là-même ceux des villageois meurtris et bafoués sur leurs propres terres:

Quand, sur la place du village, des soldats français ont exhibé des dizaines d’oreilles coupées, celles des victimes arabes tombées au combat, l’enfant pris de nausées s’est éloigné, a longtemps couru dans la plaine, mais il n’a pas pleuré. (PSPC, pp. 55-56)

Les péripéties du roman se composent presque dans leurs totalité des événements ayant ébranlé la tranquillité, la paix et la sérénité algérienne. La voix narratrice du roman, comme une voix de la mémoire revient sur les faits les plus marquants survenus lors de la longue colonisation française. Elle relate les hostilités et répressions longtemps commises à l’encontre des Algériens mais également la détermination de certains à libérer le pays de cette sanglante dictature coloniale. C’est ce qui nous conduit à étudier dans le point suivant la « force rééquilibrante ».

c. La force « rééquilibrante »

À la fin du roman selon le dénouement de la longue colonisation française qu’a subie l’Algérie, paradoxalement que cela puisse paraître, l’élément qui rétablit l’équilibre est la guerre de l’indépendance qui a été menée par les combattants algériens ainsi que tout ce qui s’en est suivi comme événements, menant la France à s’affaiblir jusqu’à ébranler ses certitudes. En effet, après plus d’un siècle de colonisation, l’équilibre a commencé à se rétablir grâce à la persévérance de la lutte anti-coloniale, bousculant et désemparant la France, jusqu’à la pousser à lâcher prise :

Madame Lafrance est ébranlée. Il lui faut défendre son honneur. En terre d’Algérie, des drapeaux tricolores sont brûlés par ceux-là mêmes qui, peu de temps auparavant, en pavoisaient fenêtres et balcons. L’honneur de madame Lafrance, en ses symboles les plus sacrés, est foulé aux pieds. Madame Lafrance sait désormais qu’ici, ses jours sont comptés. (PSPC, p. 142)

Ainsi ce qui permet de rétablir l’équilibre dans l’évolution de la trame est l’action anticolonialiste que des activistes Algériens ont eu à mener : directe ou indirecte soit-elle. En effet, il y avait des défenseurs de l’indépendance Algérienne sur le terrain de guerre, à savoir au maquis, mais également d’autres sur la scène politique. Le courage, le sacrifice et la détermination des activistes de

80 la lutte anticolonialiste a considérablement fait reculer les violences coloniales jusqu’à les abolir totalement. C’est ce qui nous amène à voir à présent la situation finale de l’intrigue du roman étudié.