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Le construction actancielle de Pierre sang papier ou cendre ou l’indéniable quête d’une Algérie libre

CHEZ M AÏSSA B EY

III. Le construction actancielle de Pierre sang papier ou cendre ou l’indéniable quête d’une Algérie libre

La déconstruction actancielle de Pierre sang papier ou cendre, est évocatrice de nombreux faits d’histoire, avec une quête surplombant la trame puisqu’il s’agit de celle de l’ensemble des Algériens de l’époque coloniale. Le schéma actanciel du roman se présente donc comme suit :

108 Le sujet : (L’enfant)

L’enfant représente le héros ou le protagoniste de ce roman. Il est omniprésent

tout le long du récit, d’ailleurs l’histoire est racontée toujours en faisant référence à sa présence et à son regard. Il s’agit d’un personnage emblématique, dans la mesure où il symbolise beaucoup plus qu’un personnage ordinaire, puisqu’il a une connotation irréelle, voire surréaliste. En effet, il surplombe tout le roman. Il est présent dans toutes les péripéties et événements historiques que décrit la voix

L’axe de communication L’axe du désir L’axe de lutte Objet : Retrouver la paix Destinateur : La douleur, la souffrance et la misère

Les souffrances subies par l’armée française

Destinataire :

L’enfant et sa tribu et à

travers eux, tout le pays

Opposants :

Mme Lafrance

Si Laloi

Adjuvants :

Les combattants

Les sympathisants de la cause algérienne

Les martyrs

Sujet :

L’enfant

109 narratrice du roman, depuis mille-huit-cent-trente jusqu’au jour de l’Indépendance, autrement-dit, il est présent pendant les cent-trente-deux-ans de colonisation. Dans Pierre, sang, papier ou cendre le lecteur perçoit toujours les faits en les associant au regard omniprésent de l’enfant et ce jusqu’à la fin du roman :

À présent, il compte. Il nomme un à un tous ceux qui désormais n’entendront plus ses appels, ne prononceront plus son nom et bientôt ne seront plus que des ombres peuplant sa mémoire. Il doit, il doit invoquer un à un les suppliciés. Et en les nommant, les forcer à exister encore un peu, car bientôt ils seront oubliés par l’histoire. Mais en ce moment leurs cendres sont encore chaudes. Encore frémissantes (PSPC, p. 28)

Telle une sentinelle de la mémoire de l’Algérie, l’enfant est omniprésent devant le poignant chamboulement que subit sa patrie, il guette et observe tout ce qui a eu lieu en un siècle et demi de colonisation. Ainsi, il assiste aux plus forts événements coloniaux de l’Histoire algéro-française. C’est donc lui le premier personnage plutôt énigmatique, surréaliste, auquel se frotte le lecteur. Selon les différentes lectures et interprétations qui peuvent être faites du roman, l’enfant pourrait symboliser l’Algérie. Ce pays resté « enfant » et sous tutelle pendant une longue période, durant laquelle les colonisateurs se sont succédés sur ses terres, l’empêchant d’avancer, de grandir, de mûrir tel un pays indépendant. N’ayant pas eu le temps ni les conditions favorables à faire sa croissance et à se développer en un pays libre, l’Algérie est donc restée longtemps cette patrie, éternellement jeune, tel un enfant.

Ainsi l’enfant représente-t-il le héros ou le sujet du roman, souhaitant inlassablement voir sa vie redevenir comme avant. Le lecteur découvre comment cet emblématique personnage se retrouve-t-il piégé dans un cauchemar duquel il n’arrive plus à se réveiller. En exprimant, à travers son triste et innocent regard, tout le désarroi qu’il ressent, à la vue de l’épouvantable spectacle de la colonisation.

110 Ce que souhaite le plus l’enfant est de retrouver la vie paisible dans laquelle baignaient, sa tribu et lui, avant l’arrivée de la France. Il s’agit du projet qu’il sommeille en lui, et que le lecteur décrypte à travers le regard haineux qu’il porte sur les colonisateurs. Il représente à lui-seul, toute la conscience des Algériens, les habitants du village, les rebelles, les martyrs, les combattants du Front national, etc. L’enfant, sentinelle de la mémoire algérienne, aspire à ce que cette histoire douloureuse se termine afin qu’il puisse enfin reprendre sa croissance et grandir en garantissant un avenir tout en espoir :

L’enfant marche dans les rues du village. Partout, partout la mort a laissé son empreinte. L’enfant court. L’enfant retourne aux champs. Il se cache au milieu des herbes. Rouges. Rouge, le sang des coquelicots. Jaune. Or des jonquilles… Ne plus voir. Ne plus entendre. Il enfonce son visage dans la terre. Il voudrait que la terre l’engloutisse. Qu’elle s’ouvre sous le poids conjugué de toutes les violences. De tous ces cadavres encerclés. Qu’elle s’ouvre pour engloutir les cris, absorber les peurs ; ensevelir la haine, et avec elle l’insupportable mensonge de la lumière.1

(PMEM, pp. 108-109)

Il n’en peut plus de voir les siens périr les uns après les autres. Il aspire de toutes ses forces à ce que la vie redevienne comme avant tellement il ne supporte plus de voir les massacres que continue à commettre la France au nom d’une prétendue civilisation qu’elle souhaiterait assigner au pays qu’elle occupe de force.

Le destinataire :

Le bénéficiaire de cette paix recherchée n’est nul autre que l’enfant-lui-même, et à travers lui, sa famille, sa tribu, son village ainsi que tout le pays. La paix ne pourra être retrouvée qu’à la seule condition que les colons quittent les terres algériennes. L’Algérie pourra enfin voler de ses propres ailes, évoluer, se développer dans toute liberté. Que ses habitants retrouvent les petits plaisirs d’autrefois, leur liberté d’agissement, qu’ils parlent leur langue maternelle sans risque d’être punis, que leurs femmes, leurs enfant puissent vivre en sécurité et sérénité. Ainsi le destinataire de la paix recherchée est l’Algérie entière.

Le destinateur :

111 Ce qui pousse l’enfant à vouloir tant que la vie redevienne comme avant n’est rien d’autre que la douleur, la souffrance et la misère dans lesquelles est submergé son pays depuis l’arrivée des colonisateurs français. Au fil des pages, le lecteur est de plus en plus frappé par la violence des faits et événements relatifs à la colonisation, que le roman reprend fidèlement. Ainsi, il devient clair, que les souffrances occasionnées par l’armée française aient suscité en l’enfant et par ricochet dans toute l’Algérie, cette envie de révolte et de lutte pour retrouver la sérénité d’autrefois.

En effet, nous assistons, tout le long du roman, aux misères, aux malheurs et aux afflictions ayant été causés par la présence des colons. Maïssa Bey s’inscrit dans le souci de reconstituer la mémoire et lutter contre l’oubli. Elle bâtit sa trame narrative sur des faits historiques, pour la plupart bouleversants, voire parfois « choquants » :

Où sont les hommes ? Impitoyable, la lumière dessine le contour de chaque visage de chaque gisant, et les angles des corps disloqués de chaque supplicié. Et l’odeur. L’odeur déjà. Où sont les hommes ? À terre. Leurs cadavres mutilés gisent à terre, dans la splendeur ordinaire d’un jour de printemps. (PSPC, p. 107-108).

Des événements que, malheureusement, la conscience collective a tendance à oublier et l’opinion française à vouloir, à tous prix, faire taire.

Les opposants :

Les opposants au désir de paix de l’enfant ne sont nuls autres que les colonisateurs. Dans le roman, les opposants prennent la forme de personnages moraux et métaphoriques à l’image de Mme Lafrance et de Si Laloi, ces deux personnages qui, en réalité évoquent toute une idéologie, toute une position défendue par la France colonisatrice. Le lecteur découvre au fil des pages, que tous les malheurs et souffrances vécus par les siens sont orchestrés par Madame

Lafrance avec le soutien de Si Laloi, « ce personnage qu’ils invoquent dans toutes

leurs discussions avec une méfiance mêlée de crainte, n’a même pas besoin de se montrer pour être obéi. Seule son ombre plane sur chaque geste de chaque jour. » (PSPC, p. 78). Il s’agit, en effet, d’un personnage imaginaire, créé de toute pièce à

112 partir des peurs et craintes de l’enfant terrorisé ainsi que toute sa tribu déphasée par tous les dépassements qu’elle subit au quotidien :

À présent, réunis chaque soir à l’entrée de la mosquée ou dans un coin de la place su marché, ces hommes sages et vénérables égrènent une à une, à voix basse, toutes leurs défaites, toutes leurs humiliation. Et pour conclure, ils hochent douloureusement la tête en répétant dans un murmure résigné : « Nous n’y pouvons rien, Si Laloi ! » (PSPC, p. 77).

Ainsi, il apparait clairement, que la France composée de toute son armée et ses pions, est rassemblée dans ces personnages métaphoriques. Ces personnages représentent la force opposante à la paix et la sérénité que cherche à retrouver

l’enfant et le peuple algérien avec lui. Comme il est possible de le voir à travers

ce passage parlant de la cruauté de Mme Lafrance :

Sûre d’elle, impavide, elle avance sur des terres brûlées, sur des chemins jonchés de corps suppliciés, de cadavres mutilés. Elle ne les voit pas. Elle ne voit pas les larmes des mères et les mains tendues des enfants. Elle avance, impérieuse et impériale. Laissant derrière elle des nuages de cendre et de poussière, des odeurs de poudre et de fumée. Elle est la liberté guidant le peuple. Elle est la mère des arts, des armes et des lois. (PSPC, p. 20).

Les opposants sont ainsi perceptibles à travers la présence coloniale désignée en grande partie dans le roman, par les deux personnages cités-supra.

Les adjuvants :

Les adjuvants du désir d’indépendance et de paix de l’enfant sont multiples. En effet, on découvre dans le roman que les opposants à la colonisation sont nombreux, à l’image des combattants, des martyrs, mais aussi des simples villageoises et villageois ayant fait preuve de bravoure et de courage contre le colonialisme. Mais il y a aussi les membres extérieurs à la guerre qui ont sympathisé avec la cause Algérienne. À l’image des français qui ont pris le parti de l’Algérie. Et bien sûr, l’ensemble des martyrs ayant sacrifié leur vie pour l’indépendance de leur pays et pour offrir la paix et la sérénité à leurs compatriotes.

Certains sont morts. Souvent, très souvent, de mort violente. Ne subside plus de leur présence que le souvenir d’un youyou lancé à la face du malheur par l’une de leurs proches après la visite d’une femme envoyée par les « frères » pour annoncer la disparition. Un long cri modulé, triomphant. Un cri que reprennent des dizaines de femmes dans les maisons voisines et qui déferle comme une vague montante au-dessus des toits pour accompagner l’âme du défunt dans son ascension vers l’éternité du paradis. Car il est interdit de pleurer un martyr. (PSPC, p. 130-131).

113 Il semble ainsi que la construction actancielle de Pierre sang papier ou cendre soit, elle aussi, totalement ancrée dans la réalité. Il s’agit d’une réalité historique, puisque la quête du personnage emblématique du roman est intrinsèquement mêlée avec l’Histoire algérienne. De ce fait, il est possible de conclure ce chapitre en avançant que Maïssa Bey se sert de sa construction actancielle pour faire ses romans dans une dimension socio-historique réelle, donnant à son œuvre son aspect particulier qui est celui de la vraisemblance de l’évolution actancielle. Dans la mesure où le lecteur arrive à facilement s’identifier aux différents personnages autour desquels sont assemblées ses trames. La schématisation actancielle à l’aspect réel fait alors intrinsèquement partie des stratégies d’écriture de l’auteure.

114 Conclusion

En guise de conclusion à cette première partie de notre travail, il est possible de dire que les trois romans étudiés constituent des fictions bâties sur les « piliers » de l’Histoire. Puisque celle-ci est présente dans la décomposition narrative et actancielle de chaque roman. En effet, Bleu blanc vert nous plonge dans l’ère post-coloniale et notamment avec les premières années de l’avènement du terrorisme et ce à travers ses péripéties représentatives du contexte socio-politique du roman. Puisque mon cœur est mort installe sa fiction dans un contexte socio-politique plus que réaliste, dans la mesure où il est totalement inspiré de la réalité meurtrière des années quatre-vingt-dix. Il s’agit d’un véritable cri émanant de voix sincères, celles de ses personnages et notamment Aïda, la mère meurtrie, représentative de toutes les mères endeuillées de l’époque de la décennie noire. Pour ce qui est de Pierre sang papier ou cendre, ce dernier roman reflète de part son schéma narratif le panorama ou le sommaire de l’Histoire de la colonisation française en Algérie. Des péripéties renvoyant à l’Histoire conventionnelle mais avec des « relents» poétiques, notamment à travers les personnages symboliques et remplis de sens qu’a placés Maïssa Bey dans l’évolution de la trame historique préposée à travers ce roman, à l’image de Mme

Lafrance, L’enfant, ou Si Lalois. De ce fait, il est possible d’avancer que l’œuvre

étudiée s’inspire grandement de la vraie vie. Le chantier d’écriture de l’auteure n’est nul autre que sa société d’avant et de maintenant. Ses trames sont indéniablement construites dans un chantier, composé d’éléments renvoyant profondément à la réalité, historique, politique ou sociale de l’Algérie à une époque donnée.

Quant au paratexte, il ressort de son étude, que cet élément qui compose toute production littéraire n’est pas du tout anodin chez Maïssa Bey, puisque cette dernière s’est appuyée également sur les composantes externes au texte pour imbriquer ses œuvres avec une dimension réelle ou authentique à forte charge sémantique. Et pour cela, elle recourt, en particulier, à la stratégie d’écriture ou le procédé stylistique de l’intertextualité. En effet, il s’est avéré, au terme de l’étude

115 en question, que deux de ses romans renvoient à des poèmes évocateurs de l’atmosphère véhiculée dans leurs récits respectifs, et ce, à travers leurs titres.

Il apparait, dès lors, que Maïssa Bey ait construit ses trames sur des structures narratives qui sont incontestablement représentatives d’une situation ou d’une époque inspirée de la réalité algérienne et notamment de son Histoire. L’instance narrative au service de l’Histoire agrémentée à l’écriture analogique ou intertextuelle sert de réelles stratégies adoptées par l’auteure dans les trois romans étudiés. Ceci nous conduit à nous interroger, plus en profondeur, sur la caractéristique et les différents reflets construisant la dimension narrative, proprement dite, mais également sur l’instance intertextuelle, présente dans le paratexte du corpus étudié. Notre étude sera, alors, orientée par les questionnements suivants : cette dimension intertextuelle s’étend-elle sur l’ensemble de chaque produit littéraire étudié, si oui de quelle manière et avec quelle intensité ? Nous essaierons, dans cette optique, d’analyser, dans la partie qui suit, la profondeur de la narration sous tous ses aspects mais également celle de l’intertextualité.

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