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2. La conscience de soi : une habileté conceptuelle ou perceptive ?

2.3. Les manifestations de la conscience écologique de soi chez les bébés :

2.3.4. Soi situé

Le sens du soi situé se réfère à la capacité du bébé à « situer son corps par rapport aux choses qui l’entourent et à percevoir ce qu’il peut ou ne peut pas faire par rapport à elles » (Rochat, 2010, p. 62)

Cette perception de son corps comme une entité située se construit d'une part en relation avec le monde des objets et autrui, et d'autre part en relation avec l'espace environnant le bébé.

Perception située face à autrui/aux objets

A partir du deuxième mois, les bébés montrent des signes clairs qu'ils ont un sens de la manière dont leur propre corps est situé en relation avec les autres entités de l’environnement. Ils sont par exemple capables de se percevoir de manière située en relation avec un modèle perçu (imitation), mais aussi en relation avec le monde des objets qu'ils passent leur temps à toucher et à regarder. A partir du moment où les bébés cherchent à atteindre les objets, ils sont sensibles à la distance qui les sépare de l’objet, ils calibrent leur décision de tenter d’atteindre l’objet en fonction du degré de liberté posturale qu'ils ont (Bloch, 1990; Rochat, 2009, 2014). Des recherches ont révélé que les bébés de cinq mois régulent leurs tentatives d’atteinte de l’objet en fonction de la distance à laquelle il est présenté (Yonas & Hartman, 1993), en fonction de son goût (amer/doux) lorsqu'il s'agit d'un objet comestible (Rader & Vaughn, 2000), ou chez les bébés de six à sept mois en fonction de la vitesse de déplacement de l’objet mobile (« capturabilité ») (van Hof, van der Kamp, & Savelsbergh, 2008) ou du volume des objets (Ferreira Rocha, Pereira dos Santos Silva, & Tudella, 2006).

L’activité de fixation visuelle (existante dès les premiers jours de vie) contribue à la stabilité de l’espace perceptif. Le maintien de la fixation donne une image continue de l’objet-cible et permet l'orientation vers ce dernier. Les constances perceptives, quelle que soit la situation spatiale des objets par rapport à soi, sont toujours liées à l’activité de fixation (Bloch, 2000, p. 44). Dans l'espace de préhension, c'est :

Essentiellement la fonction focale résiduelle qui est sollicitée, l'exploration visuelle d'un objet après sa capture manuelle se fait à un ou deux centimètres de l'oeil. Le relais tactile que constituent le visage et la zone péribuccale et la proprioception manuelle semblent être organisateurs du déplacement de l'objet devant l'oeil. (Bullinger, 1985, p. 160)

Les bébés construisent une représentation de l'objet dans l'espace, en comprenant que les objets obéissent à des lois physiques. Ils sont sensibles à ces contraintes et manifestent de la surprise lorsque l’une de ces lois physiques est « violée » durant l’expérimentation. Dès deux ou trois mois, ils peuvent apprendre rapidement différentes relations spatiales entre les objets. « L’enfant détecte des contraintes de plus en plus fines qui sont à la base de ces relations spatiales » (Streri, 2002, p. 130).

Perception située du corps propre dans l'espace

De multiples représentations se construisent conjointement à celle de l’espace : ... Les représentations de l’organisme, les représentations de l’objet atteint par les moyens sensorimoteurs, et les représentations de l’espace qui les

contient. Ainsi, à la permanence de l’objet décrite par Piaget correspondent la permanence d’un sujet et la permanence de l’espace concerné. Ces espaces représentés sont orientés par les moyens sensorimoteurs mis en jeu pour habiter cet espace. Dans cette perspective, l’espace n’est pas un objet du milieu, c’est le fruit de coordinations. (Bullinger, 2015, pp. 20–21)

L’information que le bébé tire de ses propres mouvements l’aide à situer la source de stimulation par rapport à lui; en s'orientant vers elle, il en optimise la réception (Bloch, 2000). Berthoz (2013, pp. 206–207) décrit le processus d'orientation de la manière suivante :

La réaction d'orientation inclut, d'abord, l'arrêt de tout mouvement en cours avec un accroissement du tonus musculaire... Elle inclut aussi une diminution des seuils sensoriels, liées sans doute à la nature de la source et à la redistribution sélective du tonus, pour préparer le mouvement. Le réflexe d'orientation ne doit pas être considéré comme une simple réaction motrice dirigeant le regard ou l'attention vers une cible, mais comme un mécanisme qui établit une transition d'un état de l'organisme vers un autre.

Bullinger (2004, p. 25) explique qu'en fait le bébé est soumis à des flux sensoriels variés, qui sont constitués par des "sources qui émettent de manière continue et orientée un agent susceptible d’irriter une surface, le capteur". Il est amené à traiter ces flux soit de manière passive si c'est la source qui est en mouvement, soit de manière active si ce sont les mouvements du bébé qui créent des variations. La capture de ces flux fonctionne toujours selon la même séquence : alerte, localisation spatiale de la stimulation, déplacement du capteur vers la cible et stabilisation pour traiter l'information sensorielle. Une fois de plus, la proprioception joue un rôle important; elle est associée aux flux sensoriels (Jouen & Molina, 2007). Le système sensoriel vestibulaire est capable d'ajuster dès la naissance les activités oculomotrices et posturales impliquées notamment dans la coordination oeil-main avec l'orientation spatiale du corps liée à la gravité (Jouen & Gapenne, 1995)

La ségrégation entre la forme (mieux perçue) et le fond est une étape supplémentaire, car elle instaure une organisation de l’espace : la forme est perçue devant le fond, en premier plan. Cette première répartition spatiale est à l’origine des relations de proximité et d’éloignement (Bloch, 2000, p. 46).

Quelques exemples de manifestations d'un sens du soi situé chez les bébés :

• la capacité à reconnaître l'envers des objets, la compréhension de la relation contenant-contenu et la capacité à faire des détours pour atteindre un objet partiellement caché derrière un obstacle (Nader-Grosbois, 2008; Uzgiris & Hunt, 1980)

• l'orientation préférentielle du bébé en direction du côté où lui a été délivrée en première phase une stimulation agréable (Bloch, 2000)

• la préférence pour l'objet le plus proche (Scania de Schonen & Bresson, 1985) • l'augmentation de la durée de regard envers un objet quand celui-ci a changé de

place dans l'espace

• la capacité d’ajuster l’orientation de la main à l’orientation de l’objet avant le contact avec celui-ci (von Hofsten, 1990)

• la sensibilité à des changements dans la calibration spatiale du feedback visuel et proprioceptif (par exemple à un renversement gauche-droite de leurs jambes sur un écran en direct) (Rochat & Morgan, 1995a)

• l’adaptation du geste d’atteinte en fonction des propriétés spatiales des objets (Rochat, 1992)

La manière dont le bébé explore et anime son corps constitue une autre catégorie d’indicateurs, de la dernière dimension du modèle de Rochat.