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Chapitre I. Radiations de protections au titre des monuments historiques

I.4. Singularité ou indice révélateur

Comme cela a été esquissé précédemment, près de sept-cent-cinquante radiations de protec- tion au titre des monuments historiques ont été inventoriées, entre 1846 et 2014, partielles ou totales. Cette donnée paraît donc bien faible, au regard de plus de quarante-quatre-mille édi- fices classés ou inscrits. Cependant, cet épiphénomène pourrait renseigner l’évolution des protections au titre des monuments historiques, comme l’indice révélateur du précieux723. L’étude de l’évolution du nombre de radiations de protections au titre des monuments histo- riques met en évidence une hausse significative sur certaines périodes (Graphique 25).

Quatre événements majeurs, circonscrits ou prolongés, ont alors pu être identifiés, tels que les destructions causées lors des deux guerres mondiales, par des actes de sabotage, incendies et bombardements. De plus, tel qu’évoqué précédemment, l’instauration d’une procédure spéci- fique de déclassement en 1887, simplifiant la demande pour les propriétaires privés, constitue la cause initiale de dix-huit radiations de protection.

719 T.L.F.I., op.cit., http://www.cnrtl.fr/antonymie/inscription. 720 Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500).

721 Ce terme peut également évoquer un phénomène physique homonyme de propagation d’énergie, défini alors

comme une « Émission ou reflet de rayons lumineux »,

722 Depuis le reclassement de l’église de Coutances (Manche), le 4 janvier 1901, ces re-protections, partielles ou

totales, concernent 159 édifices, soit 21,9 % des monuments préalablement radiés ou déclassés.

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Par exemple, les immeubles et maisons d’habitation de rues entières, telles que pour les villes de Caen et Lisieux (Calvados), Rouen (Seine-Maritime), Strasbourg (Bas-Rhin) et Tours (Indre-et-Loire) furent radiés entre 1946 et 1952. Les dossiers de radiation, recensés pour ces cinq villes, constituent près de 45 % des cas de dé-protection corrélés aux destructions de guerre724. Une donnée qui doit, néanmoins, être relativisée car toutes les causes de dé- protections n’ont pu être explicitées, en raison de dossiers d’inventaire parfois lacunaires, notamment au cours du deuxième quart du XXe siècle (Graphique 26).

Après les cas relatifs aux destructions de la seconde guerre mondiale, les dé-protections dimi- nuèrent significativement à la fin des années 1950, ne comptant plus que trois occurrences annuelles en moyenne, entre 1960 et 1989.

724 Les radiations de protection des villes de Caen, Lisieux, Rouen, Strasbourg et Tours représentent 83 occur-

rences, soit 44,44 % des 189 dossiers de dé-protection corrélés aux destructions de la première et seconde guerres mondiales.

Graphique 26 - Évolution des radiations de protection - dossiers lacunaires

(Créé à partir des R.A.A. préfectoraux et des publications aux J.O.R.F., 2015) 0 10 20 30 40 50 60 70 Radiations de protection Dossiers lacunaires

Graphique 25 - Analyse de l’évolution des radiations de protection

(Créé à partir des R.A.A. préfectoraux et des publications aux J.O.R.F., 2015) 0 10 20 30 40 50 60 70 Radiations de protection Loi de 1887 Destructions de guerre

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Toutefois, une recrudescence des arrêtés de dé-protection a cependant pu récemment être ob- servée (Graphique 25), constituant le quatrième événement évoqué. Entre 1990 et 2014, ces arrêtés concernent en effet cent-cinq édifices, dont sept à quinze occurrences recensées an- nuellement depuis 2010. Cette hausse soudaine s’accompagne, en outre, d’une baisse du nombre d’inscriptions et de classements au titre des monuments historiques depuis la fin des années 1990725. La période considérée correspond donc à une mutation du paysage monumen- tal, dont la complexité et l’apparente instabilité726 ont motivé la présente recherche.

Des procédures qui engagent une réflexion

Au-delà des débats présentés précédemment, et alors que s’engageait une réflexion sur une nouvelle loi patrimoine, les célébrations du centenaire de la loi de 1913 ont été propices à réinterroger la place de ces monuments sur le territoire. Des demandes spécifiques furent alors formulées à l’attention du ministère de la Culture et de la communication.

L’année précédente, M. le député P. Hetzel (2012) avait déjà alerté le ministère sur la place du petit patrimoine, sur les « nombreuses contraintes techniques et financières »727 induites par

les protections au titre des monuments historiques. Son intervention, portant dans le champ

inventaire, radiation, procédures, visait également à questionner les pouvoirs publics sur les

conditions de « radiation d'un bâtiment de la liste de l'inventaire supplémentaire », constatant la croissance de telles demandes dans les petites communes rurales de sa circonscription728. A. Filipetti, ministre en charge de la Culture, dressa alors le constat d’une procédure possible, autorisée par la législation, mais ne pouvant s’appliquer qu’à titre exceptionnel :

Le code du patrimoine prévoit, dans son article R621-59, la possibilité pour le préfet de ré- gion de radier par arrêté un immeuble de la liste des monuments inscrits, selon la même procédure que celle suivie pour l'inscription, […]. Toutefois, une telle radiation ne peut se justifier que si l'intérêt de l'édifice, qui a motivé son inscription, a irrémédiablement disparu. Elle ne peut en aucune façon intervenir pour le seul motif de supprimer le contrôle des tra- vaux aux abords de celui-ci. Le patrimoine monumental ne saurait, en tout état de causes, être perçu seulement du point de vue des contraintes qu'engendre sa protection.729

725 Tel que démontré en partie I, notamment au chapitre V.2, à partir des supports graphiques no19 à 21.

726 Réformes administratives, quête de légitimité pour de nouveaux patrimoines et création de labels se substi-

tuant progressivement aux protections juridiques sont pour partie responsables de cette fragilisation du cadre réglementaire protégeant les monuments historiques.

727 P. Hetzel (2012), p. 4545.

728 Rappelons que P. Hetzel était alors député de la septième circonscription du Bas-Rhin. 729 M.C.C. (2012), p. 5545.

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Ces propos, minimisant les risques de radiation, font cependant écho à « l’instrumentalisation

du patrimoine » dénoncée par F. Benhamou (2000), qui insistait sur le fait que :

On a trop souvent voulu justifier la dépense par les effets économiques positifs qu’elle en- gendre. Il serait sans doute plus simple, et même plus honnête, de reconnaître que l’entretien du patrimoine est coûteux pour la collectivité, mais que la dépense se justifie pleinement. Que le patrimoine puisse être source de prestige et de revenus n’enlève rien à ce constat.730

Ces questions furent pourtant au cœur de journées d’études universitaires (Angers, 2013)731.

Lors du troisième cycle de conférences « Un monument dépassé ? », les chercheurs réunis s’interrogèrent, lors de la table ronde conclusive, sur « La loi du 31 décembre 1913, une cen-

tenaire à enterrer ou à opérer ? ».

Animée par A. de Lajartre, cette table ronde fut l’occasion de constater que l’entretien régu- lier du patrimoine est « complexe »732, nécessitant une vigilance constante, au-delà de simples

questionnements budgétaires.

Pour cela, en réponse à une demande du député P. Morel-A-L'Huissier devant l’Assemblée nationale (2013)733, le M.C.C. justifia la récente diminution des procédures de protections par

« une plus grande sélectivité », insistant sur le fait que :

il a également été demandé aux services de procéder à une révision progressive des protec- tions anciennes, pour mettre fin à des imprécisions ou incohérences, inévitables après 160 ans de protection au titre des monuments historiques. Le flux des nouvelles protections peut être désormais considéré comme maîtrisé 734

Cette réponse, intervenue en juillet 2013, trouve un soutien dans l’intervention, en février de la même année, de P. Planchet, lors des journées d’études citées précédemment.

Au cours d’une conférence, le professeur de droit public et membre de la C.R.P.S. Rhône- Alpes évoquait l’intensification du nombre de recours administratifs, qu’il corrélait à une

« moindre hésitation des requérants »735. Ces actions intentées furent néanmoins relativisées : leur réussite étant « rarissime », la progression du contentieux ne serait donc pas un facteur de fragilisation des outils de protection au titre des monuments historiques.

730 F. Benhamou (2000), p. 86.

731 Faculté de droit d’économie et de gestion, Journées d’études « Droit et gouvernance du patrimoine architec-

tural et paysager, La loi du 31 décembre 1913 relative aux monuments historiques et à leurs abords : 100 ans plus tard, quelle protection pour quel patrimoine ? », Université d’Angers, 7-8 février 2013.

732 Expression employée par I. Maréchal, chef du service du patrimoine au M.C.C. 733 P. Morel-A-L'Huissier (2013), p. 4 316.

734 M.C.C. (2013), p. 7 517.

735 P. Planchet « Le contentieux des monuments historiques, signe d’un malaise ou expression de la vigueur de la

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Cependant, cette progression interpelle les élus et représentants locaux de l’État, induisant, ces dernières années, l’expression de leurs inquiétudes devant les chambres parlementaires. Confrontés à une demande croissante de leurs administrés, plusieurs députés ont ainsi ques- tionné736 le rôle des A.B.F., dont l’avis déterminant fait l’objet de contestations fréquentes. Ils

ont également réclamé, à plusieurs reprises, des précisions sur les procédures de dé-protection ou, du moins, sur la mise en place de P.P.M. restreints aux abords des monuments historiques. Face à ces questions, le M.C.C. tient un discours invariant. Rappelant le rôle des acteurs en charge du patrimoine et des sites, notamment les A.B.F., le ministère ponctue régulièrement son propos par l’observation que « la décision du préfet de région prise suite à un recours

exercé contre l'avis de l'ABF peut se substituer à cet avis. Ce recours, n'est exercé que contre moins de 100 avis sur les 200 000 avis pouvant faire l'objet d'un tel recours. »737.

De tels contentieux seraient donc particulièrement secondaires, marginaux. Comment dès lors expliquer la recrudescence constatée du nombre de dé-protections ?

Un des éléments de réponse réside dans la prise en compte prioritaire des mesures relatives aux édifices classés, seules procédures passant par une décision du ministère en charge de la Culture, ou du Conseil d’État dans le cas de classements d’office.

Or, les déclassements sont effectivement très rares, seules vingt occurrences ayant été recen- sées depuis 1970, dont quatre cas de déclassements partiels. Toutefois, le contentieux relatif aux radiations d’inscription, circonscrit en région, est, sur la même période, six fois supérieur (cent-vingt-six occurrences, dont quatre-vingt-dix-sept depuis 1990).

Par ailleurs, en 2009, le M.C.C. fut à l’origine de plusieurs décrets738 et circulaires739, visant à

repréciser les rôles et priorités des services de l’État en matière de protection et de conserva- tion des monuments historiques classés ou inscrits. Ces mesures, révélatrices d’une situation devenant préoccupante, furent donc prises pour clarifier les procédures740 et limiter le déve- loppement du contentieux. Pourtant, l’étude de ce contentieux peut se révéler fort utile pour comprendre les mécanismes de protection et déterminer les critères aujourd’hui applicables de sélection des monuments historiques, devenus particulièrement indiscernables au fil des dé- cennies et de la diversification des patrimoines valorisés.

736 Citons par exemple les questions no36317 et 68462, de F. Dumas (2013), p. 8927 et J. Cresta (2014), p. 9189.

737 M.C.C. (2015), p. 368.

738 Décrets nos2009-748, 2009-749 et 2009-750 du 22 juin 2009, relatifs à l’assistance à la maîtrise d’œuvre sur

les immeubles classés, à la maîtrise d’ouvrage des services de l’État et au contrôle scientifique et technique des services de l’État sur la conservation des monuments historiques classés ou inscrits.

739 Circulaires nos2009-022, 2009-023 et 2009-024 du M.C.C., prises le 1er décembre 2009 et adressées à MM.

les préfets de région et D.R.A.C. pour la mise en application des décrets cités précédemment.

740 Les procédures applicables s’étaient en effet complexifiées depuis la réorganisation induite par les mesures de

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Chapitre II. Détermination de critères de radiation