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Chapitre I. Radiations de protections au titre des monuments historiques

I.1. Une législation spécifique dès 1887

L’instauration d’un cadre légal, pour la protection des monuments historiques, est le fruit d’une longue période de gestation, des premiers débats parlementaires, au lendemain de la Révolution française, jusqu’à la Troisième république.

Néanmoins, cette préparation ne fut pas suffisante pour que ce texte fasse l’unanimité, entre condamnation du cadre normatif imposé par une réglementation spécifique et critique d’une portée limitée. La subordination de la présente loi au « droit inviolable et sacré de propriété

privée »671 constitue dès lors un des principaux éléments à charge. En effet, conformément

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aux dispositions énoncées dès 1887, tout propriétaire privé conserve des droits imprescrip- tibles sur son bien, le classement ne pouvant être arrêté qu’avec son « consentement »672.

J. Challamel, docteur en droit et avocat à la Cour d’appel de Paris, proposa une étude (1887)673 dressant l’examen comparatif de la présente loi au regard des travaux législatifs me- nés dans les pays voisins (notamment en Suède, Finlande, Hongrie, Grèce et Grande- Bretagne). Ce faisant, il mit en évidence les carences du droit français :

Quant aux effets que la loi pourra produire, ils seront ce que voudront les mœurs publiques et la Commission des monuments historiques. Il serait puéril de croire que l’État peut, à lui seul, assurer la conservation de tant de monuments répandus sur la surface d’un pays comme la France ; s’il fallait une preuve de cette impuissance, […] l’action du gouverne- ment s’exerce surtout par l’exemple et par le conseil : il peut encourager l’initiative privée, la diriger quelquefois, mais non se substituer à elle.

[…] Le législateur a bien ajouté quelques sanctions, plus ou moins rigoureuses […] mais la

principale sauvegarde de notre patrimoine artistique sera toujours l’autorité morale dont elle jouira près du public lettré, près des historiens et des artistes.674

En outre, au-delà d’éventuelles déficiences, comblées par les législations de 1889675 et 1913676, cette première loi pour la conservation des monuments et objets d'art ayant un intérêt

historique et artistique, comporte deux clauses dédiées à la question du « déclassement, total ou partiel » et ses conditions d’exercice677.

Ainsi, dès la promulgation de cette législation, une possibilité de révocation678 est instaurée. Il s’agit pourtant de l’unique législation propre à protéger, même partiellement, les édifices contre la destruction, la dégradation (à l’image des servitudes d’alignement) ou tous travaux

« de restauration, de réparation ou de modification quelconque ». Une telle mesure, ayant

lieu « dans les mêmes formes et sous les mêmes distinctions que le classement »679, est néan- moins récurrente dans le droit français, bien que celle-ci dépasse le cadre spécifique de l’annulation pour vice de forme ou de procédure.

672 Loi du 30 mars 1887, J.O.R.F. no89 (1887), op.cit., articles 3, 5, 6 et 7. 673 J. Challamel (1888), op.cit.

674 Ibid., p. 26.

675 Décret portant règlement d'administration publique pour l'exécution de la loi du 30 mars 1887, J.O.R.F.

(1889), op.cit.

676 Loi du 31 décembre 1913, J.O.R.F. no3 (1914), op.cit.

677 Loi du 30 mars 1887, J.O.R.F. no89 (1887), op.cit., articles 6 et 7. 678 Ibid., article 4.

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Le déclassement est alors prononcé par M. le ministre de l’Instruction publique et des Beaux- arts, sur simple demande de l’ayant droit, qu’il s’agisse du « département, la commune, la

fabrique, l’établissement public [ou] le particulier propriétaire »680. De plus, comme indiqué

précédemment (partie I, chapitre III.1.), le mode de financement, par subventionnement mi- nistériel681, conditionne le maintien de la protection. À défaut, le propriétaire privé possède toute légitimité pour entamer une procédure de déclassement de son bien.

Or, cette mesure, fondée sur le sacrosaint droit de propriété, entraîna rapidement une demande conséquente de radiation (vingt-quatre cas recensés en 1888, correspondant à un centième des édifices alors sous protection). La législation fut par conséquent réévaluée, puis régulièrement questionnée au regard de la législation sur la propriété privée.

En 1889, un décret682 fixa certaines limites au droit de retrait proposé par la radiation de pro- tection. Une clause particulière précise que « Le classement d'un immeuble n'implique pas

nécessairement la participation de l'État aux travaux de restauration ou de réparation »683, les budgets alloués étant corrélés à son « intérêt […] son état actuel et des sacrifices consentis

par le département, la commune, l'établissement public ou le particulier propriétaire »684. De

même, à travers ce décret, l’État se désengage des travaux de simple entretien.

Toutefois, cette réforme peut être directement corrélée à une baisse significative du nombre de déclassements (Graphique 23), ceux-ci étant réduits à sept occurrences l’année de parution du décret, et rendus presque inexistants les années suivantes.

680 Id.

681 Ibid., article 7.

682 Décret portant règlement d'administration publique pour l'exécution de la loi du 30 mars 1887, J.O.R.F.

(1889), op.cit.

683 Ibid., article 8. 684 Ibid., article 9.

Graphique 23 - Nombre annuel de monuments historiques déclassés (1840-1913)

(Créé à partir des données de la base Architecture-Mérimée et des fonds d’archives départementales, 2015) 0 5 10 15 20 25

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À partir des quatre-vingt-treize occurrences recensées685 avant la parution de la loi de 1913,

trois critères majeurs semblent avoir motivé des demandes de déclassement des cas identifiés : le droit de propriété, l’absence d’entretien et, au contraire, la réalisation de travaux dénaturant l’édifice originel. Or, si les deux premiers motifs ont déjà fait l’objet d’un éclaircissement, ce dernier cas dénote d’une potentielle atteinte aux monuments, par des interventions irrespec- tueuses du cadre bâti.

La loi de 1887 précise que la demande de classement induit une surveillance particulière, et l’obligation, pour tous travaux de modification ou de démolition, d’un « consentement »686 de

M. le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts après avis de la Commission des monuments historiques. Néanmoins, cette mesure fut relativement peu suivie d’effets.

La loi de 1889, en revanche, énonce clairement les travaux soumis à autorisation :

les peintures murales, la restauration des peintures anciennes, l'exécution des vitraux neufs et la restauration de vitraux anciens, les travaux qui ont pour objet d'agrandir, dégager iso- ler et protéger un monument classé, et aussi les travaux tels qu'installation de chauffage, d'éclairage, de distribution d'eau et autres qui pourraient soit modifier une partie quel- conque du monument, soit en compromettre la conservation.

Est également comprise parmi ces travaux la construction de bâtiments annexes à élever contre un monument classé 687

La liste ainsi détaillée permet de marquer davantage les esprits. Paru en janvier 1889, ce dé- cret conduit à une diminution drastique du nombre d’atteintes portées aux édifices protégés, circonscrivant le nombre de déclassements. Ceux-ci demeureront très faibles jusqu’au début des années 1920, moins de huit occurrences étant alors dénombrées par décennie.