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Chapitre V. Quelles limites à la patrimonialisation ?

V.4. Développement des labels

Enfin, ce chapitre sur les différentes formes de protection et de mise en valeur du patrimoine ne serait pas complet sans évoquer les différents labels qui complètent les dispositifs de mise en valeur des patrimoines architecturaux, urbains et paysagers.

En effet, ceux-ci s’appliquent généralement à un patrimoine plus large que les seules protec- tions applicables à l’architecture, l’urbanisme ou le paysage. Par conséquent, si ces derniers ne constituent pas à proprement dit des formes de protection, leur application, les crédits et subventions qu'ils représentent ainsi que leur impact sur le développement des territoires sont susceptibles d’améliorer les connaissances et la reconnaissance des patrimoines. Ils peuvent donc être une étape, vers une mise sous protection.

S’il existe pléthore d’outils promotionnels, parsemant le territoire national649, ceux-ci n’ont

pas nécessairement les mêmes objectifs de sensibilisation ou valorisation650 du patrimoine.

Tout d’abord, les labels ne font pas tous l’objet d’une légitimation et d’une diffusion natio- nale. Par exemple, le M.C.C. ne reconnaît651 que six d’entre eux, à savoir l’appellation Musée de France et les labels Jardin remarquable, Patrimoine du XXe siècle, Villes et pays d’art et d’histoire, Maison des illustres et Patrimoine européen.

Loin d’être exhaustive, cette liste compte cependant les principaux dispositifs recensés par le Département des études de la prospective et des statistiques (2016), pour la mise en valeur de

648 Voir pour cela le mémoire de master - mention recherche, mené par A. Agosto à l’E.N.S.A. de Lyon (2016). 649 Un numéro de la revue La pierre d’angle, intitulé Labels en folie, porte spécifiquement sur ce point :

F. Auclair (dir.) no63 (2013), op.cit.

650 Reprenant les catégorisations identifiées par M. Roux-Durand, attachée de conservation du patrimoine.

M. Roux-Durand (2012), p. 28-37.

651 Site officiel du M.C.C., mis à jour le 12 février 2015 :

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« l’architecture ancienne et récente »652. À partir des données recueillies en fin d’année 2014,

étaient alors dénombrés :

près de 2 900 édifices labellisés « Patrimoine du XXe siècle, dont un tiers sont uniquement labellisés et non protégés au titre des monuments historiques.

[…] 201 édifices portent désormais ce label […] « Maison des illustres » […], 181 villes

portent le label « Villes et pays d’art et d’histoire ». Plus de 400 sites sont labellisés « Jar- dins remarquables »653

Le D.E.P.S. recense également quarante-et-un biens français inscrits au patrimoine de

l’Unesco, sur mille-trente-et-un biens labellisés de par le monde. En revanche, ni le M.C.C. ni

le D.E.P.S. ne mentionnent, par exemple, les Petites cités de caractère, le Port d’intérêt patri- monial ou les Plus beaux villages de France.

Une telle sélection est toutefois liée au fait que seuls les premiers exemples cités ont été créés spécifiquement à l’initiative du ministère de la Culture, non par des associations citoyennes. Pourtant, le rôle et l’activité de ce tissu associatif, local ou national, est considérable. De plus, de nombreux groupements se sont formés afin de militer, non pour une labellisation, mais pour une réelle protection de sites ou édifices, tels que l’association des Villes à secteurs sau- vegardés et protégés. Afin de rendre compte de cet impact, une étude fut menée à la demande de la D.A.Pa. et publiée par H. Glevarec et G. Saez (2002)654, directeurs de recherche au C.N.R.S., spécialisés en sociologie et en analyse des politiques publiques.

Cette enquête, menée sous la responsabilité du D.E.P.S., visait à définir la place des associa- tions dans le cadre patrimonial, un secteur fortement marqué par les politiques publiques. Dans un chapitre intitulé Entre mémoire et territoire, H. Glevarec et G. Saez insistent sur le rôle mobilisateur des tissus associatifs, qui « invitent donc à accepter la multiplicité des inter-

prétations et, partant, leurs conflits. […] Le passéisme semble marginal face à la revendica- tion du maintien d’une continuité signifiante. Le patrimoine est le lieu d’une appropriation ».

Cette étude révèle655 alors l’intérêt grandissant de ces associations pour les « ‘‘nouveaux pa-

trimoines’’ […] traduction d’enjeux sociaux, culturels et politiques »656.

652 D.E.P.S. - M.C.C. (2016), p. 141. 653 Id.

654 H. Glevarec & G. Saez (2002).

655 Étude publiée dans le Bulletin du D.E.P.S. (2001), no136, p. 1-11. 656 Ibid., p. 261-263.

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Analysant notamment la récurrence des termes employés dans l’intitulé de ces organisations, elle démontre le rôle qui peut être tenu pour la sauvegarde, la défense, la promotion et la valo-

risation des patrimoines « non-protégés ». Le label, sans offrir un réel cadre protecteur, per-

met donc une valorisation, en légitimant la sauvegarde de l’objet patrimonialisé et de son cadre environnant :

La désignation de ce qui fait patrimoine pour ces amateurs ne peut se trouver dans l’application des catégories actuelles ou héritées […].

Ce qui fait patrimoine est un surgissement en cours qui dépasse et excède le processus de catégorisation auquel les stratégies politiques, scientifiques et administratives institutionna- lisées ont soumis le patrimoine.657

Par conséquent, la portée symbolique de ces actions associatives peut être concrétisée par une forme de reconnaissance, tel qu’un label patrimonial. Certains d’entre eux ont même pu faire l’objet de protections juridiques, à l’image d’édifices du XXe siècle. Néanmoins, cette légiti- mation demeure marginale658, tout édifice labellisé n’ayant pas nécessairement vocation à être introduit dans l’inventaire des monuments historiques. Toutefois, le développement considé- rable de décorations patrimoniales, ces dernières décennies, peut également être source d’une

« expansion culturelle » désorganisée, tel qu’en témoignent H.-P. Jeudy et J.-P. Curnier

(2015), dénonçant une « contagion »659.

En effet, considérer que les labels patrimoniaux ne présentent nulle contrainte ou impact, n’ayant qu’une finalité touristique, est une méprise fréquente. Certes, ils ne participent pas de la réglementation spécifique sur les espaces urbains ou paysagers, ni sur les édifices ou objets mobiliers, néanmoins, appuyé par les tissus associatifs, ils sont susceptibles d’infléchir des projets publics de développement.

Pour cela, l’exemple récent du site du Mont-Saint-Michel (Manche) offre un cas manifeste de la place de certains labels dans les décisions prises par les politiques publiques. Faisant l’objet de multiples protections, aux échelles urbaines, paysagères et de plusieurs édifices classés au titre des monuments historiques, un projet de centrale éolienne au large de la baie montoise fut néanmoins proposé, sans que celui-ci ne puisse, en l’état actuel des réglementations, être formellement rejeté. Plusieurs pétitions furent déposées, par des associations, sans entraver le

657 Id.

658 La base Architecture-Mérimée recensait, au 1er juin 2016, 345 édifices bénéficiant conjointement d’un label

et d’un titre de monument historique. Cependant, la plupart d’entre eux ont été labellisés postérieurement à la mise sous protection.

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dépôt d’un permis de construire par arrêté préfectoral. Pourtant, en 2010, il suffît que le Co- mité du patrimoine mondial, porteur du label U.N.E.S.C.O., se « déclare préoccupé par

l’impact potentiel des éoliennes sur le cadre paysager du bien »660, pour que le projet soit

rejeté par le tribunal administratif661.

Cette pression ne fut cependant pas toujours d’une telle efficacité. En juin 2009, la vallée de l’Elbe à Dresde (Allemagne) fut en effet retirée de la liste du patrimoine mondial, suite au

« projet de construction du pont de Waldschlösschen […] préjudiciable à la valeur univer- selle exceptionnelle et à l’intégrité du bien »662. Dans ce cas, les demandes appuyées, voire les

menaces de radiation formulées par l’I.Co.Mo.S. dès 2006, n’ont pu que retarder le processus. Le sujet faisant particulièrement débat, les pouvoirs publics ont invité la population à voter, par voie de référendum, ce qui eût pour effet le maintien du projet d’infrastructure de trans- port, condamnant la ville à la perte du label culturel, cinq ans seulement après son obtention. D’autres sites, notamment concernés par des zones de conflits armés, sont placés en situation

de « mise en péril », sur une liste spécifique du patrimoine mondial. Néanmoins, cette liste

peut, à l’image des cas précédemment évoqués, également concerner des biens soumis à des tensions d’ordre politique ou économique, tels que le port marchand de Liverpool (2012),

« en raison du projet de construction de Liverpool Waters, un aménagement à grande échelle des quais historiques au nord du centre-ville »663.

Par conséquent, la patrimonialisation sans protection n’est pas exempte d’une portée symbo- lique. Les labels sont parfois susceptibles d’offrir des garanties de préservation, pour l’objet mis en valeur et son environnement. Il convient alors de bien hiérarchiser ces outils de valori- sation. Or, comme indiqué précédemment, la reconnaissance de six d’entre eux par le M.C.C. est un facteur important de leur légitimation.

Ces enjeux, particulièrement d’actualité, sont au cœur de la loi L.C.A.P. (2016), visant no- tamment, pour la France, un renforcement du label U.N.E.S.C.O. En effet, le projet, tel qu’il a été validé en seconde lecture par les deux chambres parlementaires, intègre des :

Dispositions relatives aux biens inscrits au patrimoine mondial […] Pour assurer la protec- tion du bien, une zone, dite « zone tampon », […] délimitée autour de celui-ci en concerta- tion avec les collectivités territoriales concernées puis arrêtée par l'autorité administrative.

[…] Le périmètre de la zone tampon et le plan de gestion sont pris en compte, pour ce qui

les concerne, dans les documents d'urbanisme des collectivités territoriales concernées.664

660 Comité du patrimoine mondial (2010), décision no34 COM 7B.83, p. 129.

661 Ce rapport de l’U.N.E.S.C.O. parut en 2010, soit six ans avant la mise en place de la loi L.C.A.P. (2016),

reconnaissant et protégeant les biens inscrits au patrimoine mondial.

662 Comité du patrimoine mondial (2009), décision no33 COM 7A.26, p. 39.

663 Comité du patrimoine mondial (2012), décision no36 COM 7B.93, p. 195-199.

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En définitive, au-delà d’une vision rudimentaire, ne considérant strictement que les biens pro- tégés par les autorités publiques, le, ou plus exactement les patrimoines ont atteint un seuil, vers une reconnaissance et une mise en valeur qui accroît leur préservation.

Ces labels, tant décriés en raison du fait qu’ils « ne sont pas mené[s] par des professionnels,

des politiques ou des institutions publiques relevant du secteur patrimonial officiel, mais des pratiques patrimoniales que l’on peut nommer ordinaires, sauvages, bricolées ou mo- destes »665, forment aujourd’hui un complément, voire un pan entier du processus de défini-

tion, de légitimation et de valorisation des biens culturels.

Néanmoins, plusieurs spécialistes mettent en garde les autorités contre ce qui pourrait consti- tuer une dérive. En effet, si ces labels offrent une mise en valeur moins onéreuse pour les pouvoirs publics, ils ne peuvent, la plupart du temps, constituer une garantie de surveillance et de protection suffisante. De plus, le développement de labels, pour des patrimoines multiples voire ineffables et éphémères666 risque, selon N. Heinich (2009), de faire naître :

sinon une incompatibilité, du moins une tension constitutive, qui fait du patrimoine culturel immatériel un passage à la limite dans le processus international d’extension conceptuelle de la notion de patrimoine.667

Ainsi, ce n’est pas tant le fait de protéger ou de valoriser des biens en grand nombre et d’une grande diversité qui interroge, mais plutôt la perte de repère des éléments susceptibles, ou non, d’être plébiscités et subventionnés.

665 E. Hertz & S. Chappaz-Wirthner (2012), op.cit. 666 J.-M. Pérouse de Montclos (1993), op.cit. 667 N. Heinich (2009), op.cit., p. 24.

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Conclusion

Au cours de cette première partie, nous nous sommes attachés à retracer la construction de la notion de monument historique, les ambitions et les valeurs qui lui sont associées, ainsi que les différentes formes de protection ou de distinction des patrimoines architecturaux, urbains et paysagers.

Or, il a été établi que la législation actuellement en vigueur ne donne pas explicitement de critères objectivables définissant les éléments susceptibles d’être préservés.

Le titre de monument historique apparaît donc particulièrement équivoque, et fortement dé- pendant des acteurs, locaux et nationaux, chargés de l’identification, la reconnaissance du patrimoine bâti et de sa mise sous protection.

Ce constat conduit à questionner la valeur intrinsèque des monuments, et par extension, de quelles typologies architecturales peut-on affirmer qu’elles ne présentent, et ne présenteront jamais, aucun intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation ?

À l’image de la législation britannique668, par laquelle un certificat peut être délivré par

M. le secrétaire d’État, « attestant que le bâtiment n’a pas vocation à être inventorié »669, une

telle procédure est-elle envisageable en France ? Quels édifices pourraient, dès lors, faire l’objet d’un tel procès ? S’agirait-il de constructions sans geste architectural, ne satisfaisant pas au premier article de la loi no77-2 sur l'architecture670 ? Ce sont ces questionnements qui

ont fondé les prémisses de la problématique de la présente thèse, développée ci-après.

668 Section six du Planning (Listed buildings and conservation areas) Act 1990, traduit dans M. Cornu et alii

(2012), op.cit., p. 67-68.

669 “Issue of certificate that building not intended to be listed”, ibid. 670 Loi n°77-2 du 3 janvier 1977, J.O.R.F. (1977), article 1er.

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Deuxième partie.

Caractériser la perte

d’« intérêt » monumental

Chapitre I. Radiations de protections au titre des