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Chapitre III. D’un système de valeurs à l’émergence d’une réglementation

III.1. Mise en place d’un cadre juridique et institutionnel

Il ne s’agit pas ici de dresser un inventaire des protections, applicables aux édifices ou à des périmètres plus vastes, aux échelles urbaine ou territoriale218. Ce sujet a déjà fait l’objet d’examens exhaustifs ; le récent centenaire de la loi de 1913 sur les monuments historiques ayant eu pour effet de dresser le bilan de cette législation spécifique, jusqu’à son intégration dans le Code du patrimoine (2004).

De nombreux ouvrages ont ainsi été publiés219 et plusieurs colloques, conférences ou exposi-

tions temporaires220 furent organisés pour l’occasion, aux échelles régionale, nationale et in-

ternationale. Par ailleurs, une loi, visant à rassembler les différentes formes de protection à échelle urbaine sous une même bannière, a fait l’objet d’une préparation minutieuse221.

Néanmoins, concernant les outils juridiques propres aux monuments historiques, la reconnais- sance des seules valeurs d’histoire et d’art, en faveur d’édifices très hétérogènes, questionne le bien-fondé des processus de protections monumentales.

218 Tels que les sites inscrits ou classés (1930), les anciens secteurs sauvegardés (1962), Z.P.P.A.U.P. (1983-

1993) et A.V.A.P. (2010) récemment réorganisés sous le titre de sites patrimoniaux remarquables (S.P.R.), etc. Ces protections, applicables aux échelles urbaine ou territoriale, font par ailleurs l’objet d’un examen minutieux dans l’ouvrage de P. Planchet (2009), et seront détaillé au chapitre V.3.

219 Parmi les parutions autour du centenaire de la loi de 1913, retenons :

J.-P. Bady et alii (2013) ; A.J.D.A. (2013) ; S. Faye (dir.) (2013) ; P. Aldrovandi (dir.) (2013). Ce centenaire fut également l’occasion de rééditer l’ouvrage d’A. Riegl (1903), complété d’un propos introductif de F. Choay. Plusieurs publications régionales furent également éditées par les directions régionales des affaires culturelles, telles que D.R.A.C. Centre (2013) ; D.R.A.C. P.A.C.A (2013).

220 Citons, par exemple :

̶ Journées d'études Protection des monuments historiques et leurs abords : cent ans plus tard, quelle protec- tion pour le patrimoine ?, Angers : Faculté de droit (févr. 2013) ;

̶ Exposition Un siècle de monuments historiques, Rouen : Hangar 108 (juin-sept. 2013) ;

̶ Colloque international Un siècle de protection des monuments historiques, pour quel avenir ?, Paris : Maison de l'U.N.E.S.C.O. (juin 2013) ;

̶ Séminaire La protection du patrimoine en France et en Italie 1909-1913 : regards croisés, Paris : I.N.P. (sept. 2013) ;

̶ Journée d'étude Histoire et actualité des politiques patrimoniales en Alsace, Strasbourg : T.N.S. (sept. 2013) ;

̶ 30e journées européennes du patrimoine : cent ans de protection, M.C.C. (sept. 2013) ;

̶ Conférence La protection et la restauration du patrimoine…, J.E.P. Auvergne (sept. 2013) ;

̶ Exposition Centenaire de la loi de 1913 – Les monuments historiques entre Allemagne et France de 1871 à 1930, D.R.A.C. Alsace : Palais du Rhin (sept.-oct. 2013) ;

̶ Exposition 1913-2013 Monuments historiques d'Auvergne, hier et aujourd'hui, D.R.A.C. Auvergne (sept.- nov. 2013) ;

̶ Débat historiographique radiodiffusé La fabrique de l'Histoire, Paris : France Culture (oct. 2013) ; ̶ Exposition La protection des monuments historiques…, D.R.A.C. Basse-Normandie (nov. 2013) ;

̶ Entretiens du patrimoine et de l’architecture Des monuments historiques aux patrimoines : le centenaire de la loi de 1913, Paris : B.N.F. (nov. 2013).

221 F. Pellerin, Projet de loi no2954 (2015), op.cit. Celui-ci a pour but de remplacer les secteurs sauvegardés, les

Z.P.P.A.U.P. et les A.V.A.P. en cités historiques. En définitive, l’appellation de sites patrimoniaux remarquables fut retenue dans le cadre de cette réforme, promulguée en juillet 2016 (création des articles L631-1 à L633-1 du Code du patrimoine). Les apports de cette législation seront détaillés au cours des prochains chapitres.

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En effet, si le patrimoine peut être aujourd’hui considéré De la cathédrale à la petite cuillère (Heinich, 2009), les textes, régissant les protections d’édifices ou d’objets au titre des monu- ments historiques, ont relativement peu évolué depuis plus d’un siècle.

Initialement conçue à visée économique, pour les édifices « susceptibles de recevoir une aide

de l’État pour leur restauration »222, la liste des monuments pour lesquels des secours sont

demandés (1840)223 répondait pourtant à l’impérieuse nécessité d’identification des biens cul-

turels à préserver, face au vandalisme ou l’absence d’entretien, ainsi qu’à la demande pres- sante des Romantiques, tels que V. Hugo224.

Peu après son investiture au poste d’inspecteur des monuments historiques, en 1830, L. Vitet avait réclamé à M. le ministre de l’Instruction publique une loi pour la protection des biens nationaux : « Si vous ne m'armez d'un bout de loi, d'ici dix ans il n'y aura plus un monument

en France, ils seront tous ou détruits ou badigeonnés. »225.

Néanmoins, l’allocation d’un budget spécifique implique une sélection, ou du moins un ques- tionnement sur les édifices bénéficiaires. En cela, l’inventaire des monuments pour lesquels

des secours ont été demandés et que la Commission a jugés dignes d’intérêt (1840) est remar-

quable puisque celui-ci distingue plusieurs catégories d’édifices, priorisant les crédits à al- louer. Ainsi, avant la création d’un inventaire supplémentaire, les secours demandés et l’intérêt portés à ces édifices étaient hiérarchisés, selon deux principaux critères :

Les capitales indiquent les monuments désignés par la commission comme devant être l’objet de travaux urgents et considérables. L’astérisque indique les monuments d’un mérite remarquable, mais dont les réparations exigent des sommes moins importantes 226

Si cette première liste ne s’inscrit pas dans un processus de protection juridique, sauvegardant les édifices remarquables, celle-ci constitue néanmoins une étape, vers la constitution d’un corpus de monuments dont la préservation nécessite « des mesures qui mettent enfin en har-

monie avec les besoins de nos monuments les secours qui leur seront destinés »227. Par consé- quent, l’émergence d’une législation propre fut corrélée à une première quête de légitimation et à la définition des conditions indispensables à l’octroi du titre de monument historique.

222 J.-D. Pariset, préface de l’Édition électronique des Procès-verbaux… (2014), op.cit.

http://elec.enc.sorbonne.fr/monumentshistoriques/index.html.

223 P. Mérimée (1840), op.cit. 224 V. Hugo (1825-1832), op.cit.

225 Lettre de L. Vitet à F. Guizot en 1833, dans M. Parturier (1998), Introduction, p. XLIX. 226 P. Mérimée (1840), op.cit., Incipit, p. 13.

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Dans un Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel européen (2012), les cher- cheurs M. Cornu, J. Fromageau et C. Wallaert, membres du Centre d'études sur la coopération juridique internationale (C.E.Co.J.I.), apportent des précisions sur le critère distinctif d'intérêt

d'art et d'histoire en France :

À l'origine, le législateur entendait protéger les immeubles et édifices remarquables, pour les objets mobiliers, les chefs-d'œuvre des Beaux-arts, peintures, sculptures, tapisseries, ob- jets précieux. La référence à l'intérêt historique ou artistique signifiait qu'on s'intéressait soit aux œuvres de grande valeur esthétique, soit aux objets ou lieux prestigieux marqués par l'Histoire. Tout en conservant cette approche classique, le critère d'art et d'histoire a cepen- dant considérablement évolué. De nouvelles formes de patrimoine ont fait leur entrée dans le champ de la protection, le patrimoine ethnologique, le patrimoine scientifique et technique 228

Aujourd’hui considérées comme inextricablement liées et ayant toutes deux significativement évoluées durant la seconde moitié du XXe siècle, les notions de reconnaissance patrimoniale et de protection monumentale restent pourtant dissociées. Tous deux en croissance, le nombre de monuments historiques protégés et le nombre de biens mobiliers ou immobiliers évoluent pourtant à des échelles très différentes, comme l’illustrent les graphiques ci-dessous :

Bien que les bases de données ministérielles Mérimée et Palissy229, créées en 1987, ne réfé-

rencent pas l’ensemble des édifices labellisés et patrimonialisés, les informations ainsi re- cueillies attestent de la faible part des monuments historiques au sein du patrimoine architec- tural, urbain ou paysager français.

228 M. Cornu et alii. (2012), p. 94-95.

229 Ces graphiques ont été réalisés à partir des statistiques des bases de données du M.C.C. Architecture-Mérimée

et Mobilier-Palissy, extraites du Rapport de l’inventaire général du patrimoine culturel (2012), p. 12.

0 20 000 40 000 60 000 80 000 100 000 120 000 140 000 160 000 180 000 200 000 Mérimée Palissy 0 10 000 20 000 30 000 40 000 Inscrits Classés

Graphique 8 - Nombre cumulé de biens inventoriés dans les bases Mérimée et Palissy

(Créé à partir des données D.E.P.S. - M.C.C., 2012)

Graphique 7 - Nombre cumulé de monuments protégés par décennie

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Toutefois, la protection au titre des monuments historiques s’applique, de nos jours, à plus de quarante-mille édifices. Loin d’être inopérant et immuable, ce corpus est alors le résultat de plus de deux siècles de débats sur la prise en compte des richesses nationales, et sur les cri- tères devant prévaloir lors de la sélection des édifices à protéger.

Or, une législation spécifique sur les monuments historiques apparaît en 1887230, définissant un premier cadre juridique pour la préservation d’un héritage bâti préalablement sélectionné. Cette loi évolue, en décembre 1913 (promulguée le quatre janvier 1914)231, pour adopter la

forme que nous connaissons actuellement, intégrée dans le Code du patrimoine (2004).

À l’initiative du M.C.C., un manuel méthodologique fut élaboré en 2003232 par F. Jamot, alors

chef du Bureau de la protection des monuments historiques, et J. Marx, chargé d’études do- cumentaires principal. Ce guide pratique, à destination de « tous ceux qui élaborent ou ins-

truisent des dossiers de protection », avait pour but de clarifier :

[la] responsabilité de l’État […] le rôle des collectivités territoriales [pour des] pratiques de

conduite et d’exécution des procédures […] variées, mais il est nécessaire […] que cet ou- vrage, premier d’une série […] apporte des réponses à leurs interrogations.233

Ce manuel a ainsi révélé des différences notables entre les lois de 1887 et de 1913. Toutefois, certaines nuances peuvent également être observées entre la loi de 1913 et le Code de 2004, compte tenu notamment de la gestion déconcentrée des monuments historiques234.

Ces trois textes législatifs s’inscrivent dans une logique de préservation et de protection d’un héritage architectural, mais ils induisent des gestions et des modes de sélection divergents. Tout d’abord la protection différenciée, entre monuments historiques classés ou inscrits, n’apparaît qu’en 1913, dispositif complété par la création d’un inventaire supplémentaire, le vingt-trois juillet 1927.

Auparavant, seule l’étendue de la protection pouvait être débattue, par une protection dite « en

totalité ou en partie »235. Une information précisait alors la distinction entre objets mobiliers et immeubles classés.

230 Loi du 30 mars 1887, J.O.R.F. no89 (1887), op.cit.

231 Loi du 31 décembre 1913, J.O.R.F. no3 (1914), op.cit., p. 1521-1533. 232 F. Jamot & J. Marx (2003).

233 J.-J. Aillagon, dans F. Jamot & J. Marx (2003), ibid., p. 8, Préface.

234 Décret no84-1006 du 15 novembre 1984 relatif au classement parmi les monuments historiques et à l'inscrip-

tion sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, J.O.R.F. du 17 novembre 1984, p. 3548-3549.

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La législation sur les monuments historiques de 1913 marque la création d’un second niveau de protection. Néanmoins, d’autres modifications sont également manifestes, notam- ment concernant l’inventaire des édifices à préserver.

La loi de 1887 reconnait et propose la mise sous protection des « immeubles par nature ou

par destination dont la conservation peut avoir, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt national »236. Héritée du siècle des Lumières (Rousseau, 1762), cette notion d’intérêt

national se rapproche alors de la représentation d’un intérêt général « qui ne soit pas la somme arithmétique des intérêts particuliers et ne se réduise pas à un simple calcul d’optimum économique »237 ; par opposition à la conception anglo-saxonne.

En revanche, dès 1913, cette formulation évolue dans les textes législatifs238, la notion d’intérêt « public » remplaçant celle d’intérêt national. Certes, la sélection des édifices à pré- server dépend de leur intérêt d’histoire ou d’art, mais ce glissement sémantique, en apparence anodin, ne sera pourtant pas sans conséquences239.

Les définitions portées par le C.N.R.T.L. attestent de la polysémie du terme public, considé- rant ses acceptions d’adjectif ou de substantif. Ainsi, peut-il être défini par ce qui est « sous

contrôle de l'État, qui appartient à l'État, qui dépend de l'État, géré par l'État. Établissement public ; économie, prospérité publique ; recettes, subventions, publiques »240 ou par « L'en-

semble de la population, la masse des gens, la foule. Mettre qqc. à la disposition du public ; bureau ouvert au public ; interdit au public »241.

L’intérêt national correspond, quant à lui, à ce :

Qui est relatif à une nation ; qui appartient en propre à une nation, qui la caractérise, la dis- tingue des autres […] Drapeau, pavillon national ; chant, hymne national ; commerce, éco- nomie, industrie, marché, production, revenu, richesse national(e) ; territoire national.242

236 Id.

237 Conseil d’État, L’intérêt général (Rapport public 1999), dans P.-L. Frier & J. Petit (2012), p. 257. 238 Loi du 31 décembre 1913, J.O.R.F. no3, (1914), op.cit., article 1er.

239 Par exemple, près de 14 000 édifices sont aujourd’hui classés au titre des monuments historiques (dont

55,8 % sont la propriété de communes et 34,9 % de propriétaires privés – Source M.C.C.-D.G.P.), faisant l’objet d’une reconnaissance pour leur intérêt public. Ils doivent être distingués des monuments nationaux (au nombre de 97, appartenant à l’État). Les premiers sont gérés par la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (C.N.P.A.), placée auprès du M.C.C. (article L611-1 du Code du patrimoine), tandis que les mo- numents nationaux sont gérés par le Centre des monuments nationaux (C.M.N.), lui-même administré par des représentants de l'État, notamment membres du Conseil d'État et de la Cour des comptes, son président étant nommé par décret (article L141-1 du Code du patrimoine).

240 Trésor de la langue française informatisé (T.L.F.I.), consulté sur le site du C.N.R.T.L.,

http://www.cnrtl.fr/definition/public, adjectif.

241 T.L.F.I., ibid., http://www.cnrtl.fr/definition/public, substantif masculin. 242 T.L.F.I., ibid., http://www.cnrtl.fr/definition/national.

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Néanmoins, M. Cornu, J. Fromageau et C. Wallaert (2012) rappellent que :

Si d’une façon positive le lien avec la nation ou le territoire peut influencer une décision de protection, le critère n’est pas exclusif. L’utilisation fréquente du terme national dans le vo- cabulaire du patrimoine (musée national, trésor national, antiquités nationales, patrimoine national) n’est pas de ce point de vue significatif. Il renvoie davantage à l’idée d’une compé- tence nationale ou d’une souveraineté nationale, mais il ne caractérise pas le degré de rat- tachement à la nation.243

La distinction entre général, national et public, en matière d’urbanisme, fut précisée pour la première fois dans le cadre de la décentralisation. En 1983, de fait, l’application de décrets se trouvait conditionnée par ces trois notions, énonçant « la nature des projets d’intérêt général,

qui doivent présenter un caractère d’utilité publique, et arrêtent la liste des opérations d’intérêt national »244.

Néanmoins, il est bien souvent difficile de cerner l’intérêt dit général en raison de sa nature

« protéiforme », comme en atteste V. Coq en introduction de sa thèse :

Dans la jurisprudence administrative, l'intérêt général s'exprime en plusieurs sens. Il est multiple et contradictoire. C'est la raison pour laquelle il est justement présenté comme une notion « indéfinissable », « floue », « molle », « évolutive », « imprécise », « introuvable », « sans contenu intrinsèque », « sans consistance propre », « dénuée de sens » voire

« fuyante ». […] Multiple, […] caractère a priori contradictoire de l'intérêt général qui peut être défini comme une somme consensuelle d’intérêts particuliers, et comme le dépassement dialectique de ces mêmes intérêts […]. Cette difficulté aboutit généralement à considérer qu'il ne peut pas être définissable.245

L’intérêt public se distingue toutefois de ce dernier en se rapportant aux notions d’utilité ou de domaine publics, « auquel sont attachées les deux règles d’inaliénabilité et

d’imprescriptibilité »246.

Enfin, pour conclure cette étude de l’évolution de la notion d’intérêt national, en 1887, à la sélection des monuments présentant un intérêt public, dès 1913, M. Cornu, J. Fromageau et C. Wallaert précisent que :

243 M. Cornu et alii. (2012), op.cit., p. 95.

244 Le décret no83-1262 du 30 décembre 1983 a ainsi dressé une liste des opérations d’intérêt national, détaillés

dans les articles L121-9 et R490-5 du Code de l’urbanisme.

245 V. Coq (2015), p. 15-19.

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L’évolution de cette perception patrimoniale plus attentive aux liens de rattachement qu’aux qualités intrinsèques des biens protégés commence aussi à filtrer dans certains dispositifs […]

[L’intérêt national] motivait la protection des monuments historiques dans la loi du 30 mars

1887 mais qui fut abandonnée dans la loi de 1913 au profit de la notion d’intérêt public. Elle revient dans ce dispositif nouveau, signalant encore une possible distinction entre intérêt lo- cal et intérêt national.247

La législation de 1913 reconnaît donc deux niveaux de protection au titre des monuments his- toriques : le classement, pour les édifices présentant « au point de vue de l’histoire ou de l’art,

un intérêt public »248, et l’inscription, pour « les édifices ou parties d’édifices qui, sans justi- fier une demande de classement immédiat, présentent cependant un intérêt archéologique suffisant pour en rendre désirable la préservation »249.

L’inscription est alors considérée comme une protection de second rang, notifiée sur un in- ventaire supplémentaire (1927), distinct de la « liste générale des monuments classés »250. De plus, l’inscription au titre des monuments historiques, en 1913, devait répondre à un cri- tère différent de l’intérêt public, retenu pour les édifices proposés au classement.

Certes l’archéologie est une « science qui a pour objet l'étude des civilisations humaines pas-

sées à partir des monuments et objets qui en subsistent »251 et, en cela, elle peut être objecti-

vée et agréger les critères d’histoire et d’art retenus précédemment. Néanmoins, cette formu- lation législative est susceptible d’exclure de la protection monumentale une partie des édi- fices ne présentant qu’un caractère architectural, ou qui ne disposeraient pas d’une ancienneté suffisante pour intéresser la « science des choses antiques »252.

Or, paradoxalement, cet inventaire supplémentaire visait à compléter la procédure de classe- ment, ouvrant la protection monumentale à un patrimoine davantage diversifié et récent. Il faut alors attendre le décret no61-428 (1961), pour que la prise en compte de ce simple inté- rêt archéologique pour les édifices inscrits soit abrogée, au profit d’un « intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation »253.

Cette formulation, toujours en vigueur dans le Code du patrimoine (2004)254, se rapproche donc de la sélection des monuments classés, par la reconnaissance d’une expression de la cul- ture architecturale.

247 Ibid., p. 96-97.

248 Loi du 31 décembre 1913, J.O.R.F. no3 (1914), op.cit., article 1er. 249 Ibid., article 2.

250 Ibid., articles 1er et 2.

251 T.L.F.I., op.cit., http://www.cnrtl.fr/definition/archéologie. 252 T.L.F.I., ibid., http://www.cnrtl.fr/etymologie/archéologie.

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En tout état de cause, une hiérarchisation des protections monumentales existe encore de nos jours, bien que celle-ci ait été atténuée. En effet, une ordonnance (2005) modifie pour partie les « distinctions établies par les articles » de la loi du trente-et-un décembre 1913255 et qui

avaient été initialement reprises dans le Code du patrimoine (2004)256.

Ainsi, l’ordonnance no2005-1128257 abroge la notion d’inscription sur l'inventaire supplé-

mentaire des monuments historiques. L’intitulé de la section 2, chapitre 1er, titre II, livre VI

du Code du patrimoine (2004), ainsi que les énoncés des articles L621-25 à L621-29, sont dès lors remplacés par la simple formulation « inscription des immeubles »258. De droit, cette mo- dification ne révoque pas le système hiérarchisé de sélection monumentale, maintenant au second plan les bâtiments présentant un « intérêt […] suffisant » mais ne pouvant « justifier [d’]une demande de classement immédiat »259. Cependant, ces édifices sont alors tous proté-

gés sous une même bannière, un même titre, celui de monument historique.

De plus, le quinzième article de cette ordonnance (2004) instaure des règles partagées de pro- tection des immeubles, que ceux-ci soient inscrits ou classés.

La création d’une troisième section, intitulée « Dispositions communes aux immeubles classés

et aux immeubles inscrits », régit260 alors les rôles et responsabilités des différents acteurs liés à ces biens protégés (propriétaire, affectataire, maîtrise d’ouvrage, services de l’État, etc.). Ces dispositions communes définissent également les mesures applicables en cas de muta-

tion261, de travaux d’entretien, de réparation et de mise en sécurité262, ou d’aliénation263. Par ailleurs, dans la version initiale du Code du patrimoine (2004), tous les immeubles « si-

tués dans le champ de visibilité d'un immeuble classé […] ou proposé pour le classement »

étaient « susceptibles d'être classés au titre des monuments historiques »264. Cette disposition,

apparue avec la loi no43-92 (1943)265 a également été abrogée par l’ordonnance de 2005266.

254 Code du patrimoine, partie législative (2004), op.cit., article L621-25. 255 Loi du 31 décembre 1913, J.O.R.F. no3 (1914), op.cit., article 1er.

256 La version initiale de l’article L621-25 du Code du patrimoine (livre VI, titre II, chapitre 1er, section 2), re-

prend en effet le texte législatif de 1913, spécifiant que l’inscription au titre des monuments historiques sera ordonnée « par décision de l’autorité administrative, sur un inventaire supplémentaire ».

257 Ordonnance no2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés,

J.O.R.F. no210 du 9 septembre 2005, texte no22, p. 14 667. 258 Ibid., article 11.

259 Code du patrimoine, partie législative (2004), op.cit., article L621-25.

260 Ordonnance no2005-1128, op.cit., article 15, pour la création des articles L621-29-1 et L621-29-2.

261 Ibid., pour la création de l’article L621-29-3. 262 Ibid., pour la création de l’article L621-29-4.

263 Ibid., pour la création des articles L621-29-5 et L621-29-6.

264 Code du patrimoine, partie législative (2004), op.cit., livre VI, titre II, chapitre 1er, section 4. 265 Loi no43-92 du 25 février 1943, article 1er.

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De ce fait, si tout édifice situé à proximité d’un monument historique fait depuis cette ordon- nance (2005)267 l’objet de dispositions particulières - qu’il soit « adossé à un immeuble clas-

sé » ou « situé dans le champ de visibilité »268 d’un immeuble protégé au titre des monuments