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Chapitre I. Des notions à expliciter

I.2. Émergence de l’expression « monument historique »

Si cette expression n’apparaît dans les ouvrages encyclopédiques qu’au premier quart du XXe siècle25, celle-ci se réfère à de nombreux débats, pour la reconnaissance et la protection du patrimoine monumental, nés près d’un siècle auparavant.

Dès le dernier quart du XVIIIe siècle, dans le cadre institutionnel, la caractérisation de l’héritage architectural est essentiellement centrée sur les lieux de culte ou sur des vestiges de l’Antiquité. Ainsi, durant les débats parlementaires, il n’était pas rare d’entendre l’expression

« monuments vénérables de la piété antique »26 – formule portée par J. de Clermont-Tonnerre, évêque de Châlons-sur-Marne, le vingt-six novembre 1790 – de « monument religieux »27,

voire de « monuments de la plus haute antiquité ecclésiastique »28.

De ce fait, le premier lien direct, entre des édifices monumentaux et l’Histoire de France, est effectué devant l’Assemblée nationale constituante, lors de la séance du neuf décembre 1790. Dès l’annonce de l’ordre du jour, un rapprochement est effectué. L’accent est alors porté sur le lien essentiel entre la reconnaissance de cet héritage et des moyens à mettre en œuvre pour le sauvegarder :

Une autre députation des amis des arts et des sciences, qui supplient l'Assemblée nationale de prendre les moyens de conserver les chefs d'œuvre du génie et les monuments intéressants pour l'histoire, placée dans les abbayes, monastères et autres lieux devenus domaines natio- naux.29

Cet ordre du jour permet d’introduire l’intervention de A.-L. Millin de Grandmaison, orateur de cette députation, retranscrite ci-après :

24 Loi du 9 décembre 1905, J.O.R.F. (1905), p. 7205.

25 Dictionnaire de l’Académie française (1932-1935), op.cit., p. 2 :204. 26 J. Mavidal & E. Laurent (1885), p. 34.

27 Ibid., p. 129. Intervention de A.-M. d’Eymar, député de Forcalquier, le 29 nov. 1790. 28 Ibid., p. 92. Intervention de l’Abbé Maury, le 27 nov. 1790.

33

Messieurs, vous avez ordonné la vente des domaines nationaux, et le succès de cette vente assure pour jamais la prospérité de cet Empire régénéré par vos sages décrets. Mais les amis des lettres et des arts et les citoyens jaloux de la gloire de la nation ne peuvent voir sans peine la destruction de chefs-d’œuvre du génie ou de monuments intéressants pour l'histoire; nous avons aussi gémi de l'oubli dans lequel ces monuments allaient être plongés, et nous avons tenté de les lui arracher. […]

Nous ne sollicitons ni privilège, ni secours d'aucune espèce; nous vous demandons seule- ment, si notre ouvrage vous parait le mériter, de nous accorder la permission de vérifier tous les lieux claustraux, toutes les maisons nationales, d'y pénétrer sans difficulté, et de nous y livrer sans obstacle à l'objet de nos recherches.30

Dans ce discours, M. le député dresse le constat d’un risque, pesant sur un certain nombre d’édifices, qu’il conviendrait de mesurer. Il propose donc un recensement des « domaines

nationaux », en requérant l’autorisation de les visiter. Il n’est cependant fait nulle mention de

la protection desdits édifices. Seule leur expertise semble pour l’heure requise, afin d’éviter que le savoir lié à ces monuments ne disparaisse.

La réponse du président de l’Assemblée est sans équivoque, la proposition est adoptée et plé- biscitée :

L’entreprise que vous avez formée est grande et utile. Sauver des ravages du temps, qui con- sume tout, ces antiques et précieux monuments du génie, c'est faire des conquêtes à l’empire de la raison. […] l'ignorance est la source de leurs maux.

C'est vous dire assez l'accueil [que cette Assemblée] fait à l'ouvrage que vous lui présentez ; elle vous accorde les honneurs de la séance.31

Toutefois, contrairement à l’idée communément admise, l’expression monument historique n’est ici pas formellement employée, l’unique exception étant l’évocation de « monuments

intéressants pour l'histoire », parmi d’autres édifices constitutifs des « domaines nationaux ».

De même, dans son propre recueil32, sur lequel s’appuie le discours de M. le député A.-L.

Millin de Grandmaison, l’expression n’apparait pas distinctement.

Certes le terme de « monument » est alors cité à cinquante-six reprises, parfois adjoint des qualificatifs « remarquables »33, « éternel »34, « précieux »35, « superbe »36, etc.

30 Ibid., p. 354. Intervention de A.-L. Millin de Grandmaison, le 9 déc. 1790. 31 Ibid., p. 354, Intervention de J. Pétion, le 9 déc. 1790.

32 A.-L. Millin de Grandmaison (1790). 33 Ibid., p. 23.

34 Ibid., p. 52. 35 Ibid., p. 65. 36 Ibid., p. 82.

34

Cependant, là encore, la notion de monument historique n’est pas employée. Seul le titre de ce

recueil indique un lien entre des édifices monumentaux et l'Histoire générale et particulière de l'Empire François.

Le discours, prononcé le neuf décembre 1790, constitue néanmoins le premier jalon, vers la constitution d’une Commission des monuments historiques. Créée en 1837, sur ordre du comte de Montalivet, ministre de l'Intérieur, celle-ci succède au Comité des arts et monu- ments, précédemment créé en 1835 par F. Guizot, ministre de l’Intérieur, et réorganisé en 184837. Comme le rappelle R. Leroy, ce Comité se place :

en juge des méthodes scientifiques dans le domaine de l’archéologie et de la restauration monumentale. Son influence parmi les érudits locaux est sans équivalent avant le dévelop- pement de la Commission des monuments historiques, créée en 1837.

[…] Le Comité des arts et monuments incarne l’intervention de l’État et la centralisation

parisienne, car les monuments sont un domaine de confrontation entre l’administration cen- trale et les municipalités, jalouses de leurs pouvoirs qui s’étendent progressivement. Mais […] il en vient à critiquer l’administration elle-même, ainsi que la Commission des monuments historiques, et à se faire le relais des voix qui s’élèvent en province contre l’intrusion de l’État.38

Supplantant le Comité des arts, la Commission des monuments historiques ne doit pas cepen- dant pas être confondue avec celui-ci, ni avec la Commission des monuments, comme le sou- ligne J.-D. Pariset, conservateur général du patrimoine :

La Commission des Monuments, qui dépend de l’Académie des inscriptions et belles lettres et effectue une grande enquête sur les monuments, patronnée par Montalivet (1820). Le Co- mité des arts et monuments [relevant du ministère de l’Instruction publique], qui dépend du Comité des travaux historiques (1837) successeur du Comité pour la recherche et la publica- tion des documents inédits relatifs à l’histoire de France, créé par Guizot en 1833. […] Ces deux instances ont comme mission d’élaborer ou de susciter des études sur les monu- ments et des fiches pratiques sur la manière d’étudier les monuments.39

Il rappelle alors que la Commission des monuments historiques est, quant à elle, chargée :

37 Extraits des procès-verbaux des séances du Comité historique des monuments… (1850), p. 5-8. 38 R. Leroy (2001), p. 101-109.

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d’assister l’Inspecteur général des Monuments historiques et le bureau des Monuments his- toriques (l’Administration - sic -) dans sa politique d’inscription sur la Liste des monuments susceptibles de recevoir une aide de l’État pour leur restauration.40

Cette commission est rattachée au ministère de l’Intérieur, mais est instituée par un arrêté de chaque préfet de département. Liée aux sociétés savantes, elle est alors composée de représen- tants de l’État, dont un membre du Conseil d’État, ainsi que d’érudits et spécialistes agréés, tels que des archéologues, architectes, etc.

Les membres sont nommés par M. le préfet, mais le règlement peut varier selon les départe- ments. De ce fait, le règlement de la Commission des monuments historiques de la Gironde (1839)41 diffère de celui du département du Cantal (1841)42. Par exemple, ce dernier précise que la commission du Cantal est composée de « six membres résidents et de vingt membres

correspondants par dans les divers arrondissements du département »43, tandis qu’en Gironde « leur nombre est illimité »44.

Néanmoins, si les formulations diffèrent, ces règlements départementaux ont tous pour but :

1o- De rechercher les anciens monuments et les antiquités du département, et d’indiquer ceux auxquels il importe de faire des réparations ;

2 o- De faire la notice historique et la description de ces monuments, accompagnés de l’exposé de leurs besoins et de leur état actuel ;

3 o- D’examiner les projets des travaux de toute nature à faire à ces édifices et de surveiller, sous le rapport de l’art, l’exécution de ces travaux ;

4 o- De recueillir et de former une collection de tous les objets et documents qui intéressent l’archéologie et l’histoire locale.45

Ainsi, coordonnées par la Commission [nationale] des monuments historiques, ces commis- sions départementales examinent, à leur niveau, les édifices susceptibles d’accéder au titre de

monument historique. Identifiés, ces monuments feront dès lors l’objet d’une attention parti-

culière, seront précisément décrits, conservés, voire des travaux de réparation seront entrepris, s’ils s’avèrent nécessaires.

40 Id.

41 Arrêté du 26 mars 1839, pris par le baron J.-A.de Sers, préfet de département, portant création de la Commis-

sion départementale des monuments historiques de la Gironde.

42 Arrêté du 8 novembre 1841, pris par F. Petit de Bantel, préfet de département, portant création de la Commis-

sion départementale des monuments historiques du Cantal.

43 Ibid., article 2.

44 Arrêté du 26 mars 1839, département de la Gironde, op.cit., article 2. 45 Arrêté du 8 novembre 1841, département du Cantal, op.cit., article 5.

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Les inventaires réalisés permettent la constitution de la première liste (1840) de mille-quatre- vingt-deux édifices « pour lesquels des secours ont été demandés »46. Cependant des dispari-

tés de traitement peuvent être observées dans ce premier catalogue (Carte 1).

Seuls trois édifices sont identifiés en Ardèche47, voire un seul dans la Haute-Saône48. En revanche, vingt-neuf édifices sont recensés en Corse, quarante dans le Calvados49, et

soixante-six dans le département des Bouches- du-Rhône.

La liste, assemblée par la Commission des mo- numents historiques et son inspecteur général, P. Mérimée, est adressée à M. le ministre de l’Intérieur dans un rapport50.

Plus précisément, cette liste de mille-quatre- vingt-deux édifices fait suite au travail prépara- toire de la Commission des monuments histo- riques, qui, au sein du ministère de l’Intérieur, avait élaboré une première circulaire (1838) pour « donner aux travaux de réparation de nos

anciens édifices la direction que réclame l’intérêt des arts et des études archéolo- giques »51.

Ce document constitue un premier état des lieux, un catalogue visant à « désigner au mi-

nistre, parmi les nombreuses demandes de se- cours […], celles qui offrent le plus d’intérêt, car l’insuffisance du crédit affecté aux monu- ments historiques [alors de deux-cent-mille

francs] oblige à faire un choix malheureuse-

ment très restreint parmi ces réclamations. »52.

46 http://www.merimee.culture.fr/fr/html/mh/liste_mh.pdf. 47 Monument d'Ornano, églises de Tournon et de Vivier. 48 Mosaïque de Membrey.

49 Quarante monuments identifiés dans le Calvados, dont trente-cinq églises, deux abbayes et un prieuré. 50 P. Mérimée (1840).

51 Commission des monuments historiques (1838). 52 Id.

Carte 1 - Répartition des monuments historiques sur le territoire (1840)

(Créé à partir de l’analyse de la liste

de monuments… de 1840)

Inconnu 66

1 édifice(s)

Carte 2 - Recensement des édifices nécessitant des secours (1838)

(Créé à partir de l’analyse de la liste des édifices pour

lesquels des secours étaient demandés en 1838)

Aucune donnée 65

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Cette liste préparatoire permet d’étudier les écarts relevés entre les « monuments désignés par

MM. les préfets » (Carte 2), les édifices qui seront jugés dignes d’intérêt « en raison de leur architecture et de leur importance historique » (Carte 3) et les monuments finalement « dési- gnés pour recevoir des subventions »53 (Carte 4). Ce premier récolement révèle alors de

grandes disparités selon les départements, tant par le nombre d’édifices sélectionnés, que par la proportion des subventions accordées.

Ainsi, dans le département des Bouches-du-Rhône, la préfecture avait identifié soixante-cinq édifices, dignes d’intérêt et nécessitant des secours (cette donnée sera par ailleurs confirmée par la liste de 1840).

Or, seuls douze d’entre eux ont été retenus en 1838 par la Commission et une unique subven- tion a été attribuée, à la commune d’Arles. De même, en Corse, si la préfecture avait attiré l’attention sur quatorze édifices en péril, un seul d’entre eux fut retenu (les ruines d’Aleria) mais aucune subvention ne lui fut alors accordée. Cette considération patrimoniale et finan- cière sera cependant rétablie, en Corse, dès la liste de 1840.

À l’inverse, en Seine-Inférieure (actuel département de la Seine-Maritime), seize édifices fu- rent recensés, dont quatorze ont été retenus par la Commission et neuf monuments ont pu bé- néficier de subventions. Ce département compte ainsi le plus fort taux d’accréditation (plus de la moitié) par monuments recensés sur son territoire. Enfin, les départements du Tarn et de la Meuse sont tout-à-fait singuliers étant donné que la Commission n’a pas souhaité retenir, en 1838, d’édifices sur ces territoires, mais a tout de même consenti à leur accorder des subven- tions, certes minimes.

53 Ibid., p. 3-9.

Carte 3 - Monuments retenus par la Commission (1838)

(Créé à partir de l’analyse de la liste des monuments jugés dignes d’un intérêt en 1838)

Aucun monument 14

1 édifice(s)

Carte 4 - Répartition des monuments subventionnés (1838)

(Créé à partir de l’analyse de la liste des

monuments désignés pour recevoir des subventions en 1838)

Aucune subvention 9 monument(s)

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Néanmoins, si ces inventaires (1838 et 1840) ont permis d’identifier des édifices remar- quables, et de leur attribuer des subventions, ils ne constituent pour l’heure aucune garantie quant à la sauvegarde de ces monuments.

il n’est pas douteux que, pour être vraiment utiles, les restaurations doivent être exécutées rapidement et d’une manière complète ; que des secours lents et partiels suffisent à peine pour pallier les progrès de la destruction, en n’ont, en dernière analyse, d’autre résultat que de retarder le moment où il faut opter entre une restauration entière ou un abandon définitif.54

De fait, lorsque ce rapport paraît en 1840, il n’existe en France aucun cadre légal pour rendre obligatoire de tels travaux, à l’insu des propriétaires. En effet, avant la mise en place d’un cadre légal spécifique pour les monuments historiques, la seule alternative pour les pouvoirs publics consistait en l’expropriation, volontaire ou forcée, pour cause d’utilité publique. L’expropriation pour cause d’utilité publique existe en France depuis le XVIIe siècle55.

Ainsi, dans cet ouvrage complété et annoté56, C. de Lalleau, avocat à la Cour de Paris, indique

que, sous Louis XIV, de grands travaux – tels que le canal du Languedoc – ont pu justifier de

« prendre toutes les terres et héritages nécessaires [après dédommagements] payés aux parti- culiers propriétaires, suivant l’estimation qui en sera faite par experts qui seront nommés »57.

Néanmoins, ces expropriations n’étaient ordonnées que pour de grands travaux nationaux (« canaux […] routes […] pont à construire »58). De plus, pour procéder à de telles expropria- tions, l’intérêt public devait être démontré, argumenté, et ne pouvait être prononcé pour de simples travaux d’entretien ou de réparation de monuments existants.

En effet, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (1791) précise que « la propriété

est inviolable et sacrée ; nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité »59.

De plus, dans une précédente édition de ce Traité (1828-1836), à propos de la loi sur les ex-

propriations pour cause d’utilité publique, du huit mars 1810, les tribuns J. Grenier et T.P.

Riboud citaient plusieurs rapports faits au corps législatif, en insistant sur l’importance du respect de la propriété individuelle.

54 P. Mérimée (1840), op.cit., p. 4.

55 C. de Lalleau (1866-1892), 6e éd. http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb303132967

56 Id., cette version a été refondue et augmentée par M. Jousselin, avocat au Conseil d’État et à la cour de cassa-

tion, et annotée par J. Périn, avocat à la cour impériale de Paris et docteur en droit.

57 Ibid., p. 5-6, à propos d’un édit du Roi, en date d’octobre 1666.

58 Ibid., p. 6-8, à propos de lettres patentes, datées de 1719 et de septembre 1770 ; d’arrêts du Conseil d’État, en

date des 31 août 1728, 6 février et 5 novembre 1776, 23 juillet 1783 ; et d’un décret impérial du 19 mai 1853.

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Le respect dû au droit individuel de propriété […] est un de ces dogmes politiques que l’homme, dans quelque position qu’il soit, ne peut méconnaitre […]. Les funestes expé- riences qui nous ont été transmises par les monumens historiques [sic] de toutes les nations, établiraient seules la nécessité de le maintenir plus que ne pourraient le faire tous les rai- sonnements.60

La dégradation voire le démantèlement de certains édifices, furent-ils monumentaux, était alors justifiée, du point de vue de l’Histoire :

Il serait plus curieux qu’utile de rechercher, si chez les peuples anciens les plus distingués par leurs travaux et leurs édifices publics, les propriétaires étaient indemnisés des sacrifices nécessairement fréquens [sic] qu’exigeait l’exécution de tant d’ouvrages dont les vestiges excitent encore notre admiration. […]

on convertissait en carrières les monuments vénérables de ces routes presque indestruc- tibles, de ces aqueducs, temples, bains, théâtres, qui attestaient avec majesté de la domina- tion romaine. […]

Dictées par de très-bonnes vues, ces lois ont néanmoins dû porter l’empreinte, soit de l’habitude née de moyens faciles et simples en apparence, soit du désir d’entamer plus promptement l’exécution des travaux, soit enfin la crainte de voir l’administration lésée par des réclamations qui pouvaient être exagérées.61

Ainsi, ces extraits révèlent l’importance accordée au droit individuel de propriété. Les rares exemples d’expropriation sont alors marqués par la nécessaire justification d’une utilité pu-

blique, et contraignent l’État à indemniser les propriétaires lésés.

La Commission des monuments historiques est alors chargée de contrôler et d’expertiser les édifices, mais se trouve, de fait, soumise à ce dogme de la propriété privée.

En définitive, malgré la liste des monuments (1840)62, il faudra attendre près d’un demi-siècle

pour que soit édictée la toute première « Loi pour la conservation des monuments et objets

d'art ayant un intérêt historique et artistique » (1887)63.

Cette loi de 1887, adoptée par le Sénat et la Chambre des députés, fixe alors un cadre pour les édifices « dont la conservation peut avoir, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt

national »64. Quel que soit le statut de propriété du bien concerné, seul cet intérêt, étudié dans le cadre d’une instruction diligentée par M. le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-

60 C. de Lalleau (1828-1836), Tome second, 2e éd., p. 508-510. 61 Ibid., p. 532-534.

62 P. Mérimée (1840), op.cit.

63 Loi du 30 mars 1887, J.O.R.F. no89 (1887), p. 1521-1533. 64 Ibid., Titre Ier, chapitre Ier, article 1er.-

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arts, est désormais susceptible d’entraîner un classement au titre des monuments historiques. Les articles suivants précisent en effet que cette mesure est applicable à tout édifice, que ce- lui-ci appartienne « à l’État […] à un département, à une commune, à une fabrique ou à tout

autre établissement public, [ou à] un particulier »65. Cependant, l’article 3.- précise que dans

les cas de propriétés privées, le classement au titre des monuments historiques « ne pourra

l’être qu’avec le consentement du propriétaire ».

Dans le cadre juridique, les monuments historiques se trouvent ainsi définis par une notion héritée de la Révolution française, et maintes fois reprise66, celle de biens communs de la na-

tion. Toutefois, les critères permettant l’appréciation ou la caractérisation des monuments his- toriques sont alors peu explicités. Ceux-ci semblent définis par consensus, après l’obtention

d’un « accord avec le ministre ». Néanmoins, la législation prévoit, dès sa promulgation, une possibilité de recours, en cas de « contestation sur l’interprétation et sur l’exécution de cet

acte »67. Cette mesure est alors clairement énoncée, préfigurant des annulations de protections au titre des monuments historiques, dont les archives seront présentées en seconde partie. Si le choix des édifices à monumentaliser est soumis à interprétation, donc à débats, la loi de 1887 édicte cependant les premières règles de conservation de ces édifices. La reconnaissance d’un intérêt, au point de vue de l’histoire ou de l’art, n’est alors qu’une préoccupation de se- cond plan. Cette vision sera ensuite profondément réexaminée lors de l’élaboration, en 1913, de la loi sur les monuments historiques, comme cela sera présenté au chapitre III.1.

Après ce bref historique des prémices du statut juridique des monuments historiques, de leur