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Chapitre I. Radiations de protections au titre des monuments historiques

I.2. Procédure juridique

Si la première législation sur les monuments historiques (1887) se positionnait en deçà du droit relatif à la propriété privée, la loi du trente-et-un décembre 1913 démontre explicitement la dimension publique de ces édifices.

Cependant, cette réforme du statut des monuments s’accompagne d’un régime de protection bipartite, distinguant le classement au titre des monuments historiques de l’inscription, ac- complie de surcroît entre 1927 et 2005 sur un inventaire dit supplémentaire.

685 Recensement effectué à partir des données de la base Architecture-Mérimée et fréquemment confirmées par

les fonds d’archives départementales. Ces données sont hélas lacunaires, comme indiqué aux chapitres II et III.

686 Loi du 30 mars 1887, J.O.R.F. no89 (1887), op.cit., articles 4 et 15.

687 Décret portant règlement d'administration publique pour l'exécution de la loi du 30 mars 1887, J.O.R.F.

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Or, si cette loi sur les monuments historiques (parue au journal officiel le quatre janvier 1914) propose plusieurs systèmes de protection, selon deux procédures de sélection distinctes, elle ne précise qu’une possibilité de « déclassement total ou partiel […] prononcé par un décret

en conseil d’État, soit sur la proposition du ministre des beaux-arts [sic], soit à la demande du propriétaire »688. L’inscription n’étant alors envisagée que comme une simple étape préa-

lable, pour tout ou partie d’édifices ne pouvant « justifier une demande de classement immé-

diat »689, aucune procédure de radiation de ce second degré de protection ne fut codifiée.

En 1919 et 1927, le dispositif se trouve renforcé par des procédures690 spécifiques aux dom- mages causés aux monuments, et la reconnaissance d’un double cadre législatif de protection par le classement ou l’inscription. Néanmoins, la question de la radiation des monuments his- toriques inscrits reste éludée. La seule alternative proposée, pour les monuments victimes de

« morcellement ou [de] dépeçage »691, est alors l’engagement d’une procédure de classement, sur demande de M. le ministre, puis d’un possible déclassement.

Bien que le pendant aux mesures de classement ait été conçu dès les premières législations sur les monuments historiques, et qu’un « parallélisme des formes » soit de fait appliqué pour les édifices inscrits, en l’absence de textes officiels, il faut donc attendre la parution d’un décret

relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (2007) pour que soit entérinée la « radiation de l'inscription »692.

Auparavant, le gouvernement avait bien pris note d’un tel vide juridique :

aucune procédure de radiation d'un immeuble de l'Inventaire supplémentaire des monu- ments historiques n'est prévue, ni par un texte législatif ni par un texte réglementaire. L'interprétation admise est que cette radiation peut intervenir selon une procédure identique à celle suivie pour la prise de l'inscription elle-même […]

Dans la réalité, de telles radiations de l'inscription sont également très peu nombreuses. Elles sont néanmoins juridiquement possibles selon la règle du parallélisme des formes rap- pelée ci-dessus.693

688 Loi du 31 décembre 1913, J.O.R.F. no3 (1914), op.cit., article 13. 689 Ibid., article 2.

690 Loi du 17 avril 1919, J.O.R.F. (1919), p. 2726-2727.

Loi du 23 juillet 1927, J.O.R.F. (1927), p. 7722.

691 Ibid., article 1.

692 Décret n°2007-487 du 30 mars 2007, J.O.R.F. no77 (2007), article 40.

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Pour cela, le quinze juin 2001, la circulaire no2001/015 tendait à clarifier la « procédure de

radiation de l’inventaire supplémentaire des monuments historiques pour des édifices entiè- rement ou en majeure partie détruits »694. Adressée pour attribution à MM. les préfets de ré-

gion, aux D.R.A.C., et, pour information, aux S.D.A.P. et à MM. les préfets de département, cette circulaire s’appuie sur le constat d’inscriptions au titre des monuments historiques « de-

venues inutiles, lorsque les édifices considérés ont été entièrement ou en majeure partie dé- truits soit par faits de guerre, soit à la suite de démolitions légalement autorisées ». Rappe-

lant que si la législation alors en vigueur ne prévoyait pas expressément la radiation de mo- numents inscrits, « une procédure […] sera limitée aux cas précités […] par interprétation de

l'article 2 de ladite loi en appliquant le principe du parallélisme des formes »695.

Le décret no2007-487 (2007) rappelle les modalités de déclassement (article 18), puis indique

spécifiquement qu’une radiation peut être prononcée « par arrêté selon la même procédure et

les mêmes formes que l'inscription »696.

Abrogé le vingt-sept mai 2011, ce texte fut remplacé par le décret no2011-574 du vingt-quatre

mai 2011, relatif à la partie réglementaire du Code du patrimoine (livres Ier à VI). Le Code du patrimoine définit de ce fait les modalités du « déclassement d'un immeuble classé au titre

des monuments historiques » et de la « radiation de l'inscription […] prononcée et notifiée selon la même procédure et dans les mêmes formes que l'inscription. »697.

Le rôle de chacun des acteurs est dès lors rappelé, qu’il s’agisse de M. le ministre de la Cul- ture et de la communication, de M. le préfet de région, des commissions consultatives natio- nale et régionale, du propriétaire et de tout tiers ayant droit. Le partage des responsabilités, dans le cas de protections au titre des monuments historiques, a été rappelé au chapitre III.2 de la précédente partie. Il s’agit à présent d’envisager la place de chacun, lorsque la légitimité d’un monument historique est contestée, avant d’en questionner les causes.

Si la radiation a lieu « selon la même procédure et dans les mêmes formes que l'inscrip-

tion »698, cela signifie que le propriétaire ou « toute personne y ayant intérêt » peut en formu- ler la demande699. Celle-ci peut donc émaner d’un tiers, une association, commission d’experts, ou des autorités locales, territoriales et nationales. Examinée par la C.R.P.A., réunie en formation plénière, la désinscription ou radiation de l'inscription est alors « prononcée par

694 W. Diebolt, pour le M.C.C. et par délégation (2001). 695 Ibid., p. 1.

696 Décret n°2007-487 du 30 mars 2007, J.O.R.F. no77 (2007), op.cit., article 40. 697 Code du patrimoine, partie réglementaire (2011), op.cit. articles R621-10 698 Id.

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arrêté du préfet de région »700. La décision est ensuite notifiée par M. le préfet « au proprié-

taire […] au maire et, le cas échéant, au président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme »701. Enfin, un arrêté est

publié dans les recueils des actes administratifs (R.A.A.) de la préfecture702.

De même, dans le cas d’un déclassement, la demande peut provenir du propriétaire ou d’un tiers intéressé703. En revanche, comme pour le classement, l’instruction n’est pas du ressort de

M. le préfet de région. Après avoir recueilli l’« avis » des commissions régionale et nationale du patrimoine et de l’architecture, la décision de déclassement d'un immeuble classé est pro- noncée par M. le « ministre chargé de la culture », communiquée aux élus locaux pour modi- fication des servitudes d’utilité publique applicables au P.L.U., et publiée au J.O.R.F. en an- nexe de la liste des immeubles protégés au titre de la législation sur les monuments histo-

riques au cours de l'année704. En définitive, le déclassement comme le classement au titre des monuments historiques, est prévu par la législation française depuis 1887, tandis que la radia- tion de l'inscription n’a été officiellement créée qu’en 2007 (soit quatre-vingt-treize années

après la création de ce second niveau de protection), si l’on excepte la circulaire no2001/015,

adressée aux services régionaux et départementaux en 2001, première étape vers la clarifica- tion de cette situation.

Ainsi, après un premier inventaire mené sur la base de données ministérielle Architecture-

Mérimée, puis en consultant les R.A.A. et J.O.R.F. parus depuis 1887705, le tout premier cas identifié concerne l’église Saint-Leu d’Amiens (Somme), son beffroi, mentionné sur la pre- mière liste de 1840, n’apparaissant plus dans la liste des monuments auxquels des subventions

ont été accordées de 1846. Il ne s’agit pas à proprement dit d’une forme de déclassement, le

terme n’ayant pas encore été inscrit dans la législation, toutefois, cet oubli opportun permit de limiter les dépenses publiques, pour un édifice alors en piteux état, et qui fera, à partir de 1856, l’objet d’un projet de restauration par E. E. Viollet-le-Duc. Après travaux, celui-ci sera finalement protégé en totalité en 1906.

700 Ibid., article R621-54. 701 Ibid., article R621-58.

702 Code général des collectivités territoriales (2015), article L4141-1. 703 Code du patrimoine, partie réglementaire (2011), op.cit., article R621-2.

704 Ibid., article R621-10, modifié par le décret no2017-456 du 29 mars 2017, article 1.

705 Ce recensement est hélas lacunaire. Malgré l’approfondissement des recherches menées, tous les R.A.A.

n’ont pu être consultés. Certains documents régionaux ou départementaux, antérieurs à 1925, ont en effet disparu des archives depuis les transferts opérés au cours du XXe siècle.

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Par la suite, sept-cent-quarante-neuf occurrences de déclassement et d’annulations d’inscription furent recensées, entre 1846 et 2014, dont soixante-huit ne concernent qu’une partie de l’édifice sous protection. Le graphique ci-après permet d’illustrer l’évolution de ces dé-protections, au cours des XIXe, XXe et XXIe siècles, et de rendre compte de l’impact d’événements singuliers, tels que les destructions liées à la seconde guerre mondiale.

Avant la parution d’une législation spécifique, en 1887, vingt-neuf cas de déclassements fu- rent donc recensés. Puis, entre 1913 et 2001, sans qu’aucune règle spécifique n’en dicte les modalités, le « parallélisme des formes » fut appliqué tacitement, afin de retirer leur inscrip- tion à quatre-cent-quarante-deux monuments.

Onze cas ont été enregistrés en 1926, puis plus de trois-cents au cours des trois décennies sui- vantes, tandis que la procédure officielle ne sera mise en place que près d’un siècle plus tard. Or ces annulations répondent aux demandes spécifiques de certains propriétaires, ou à l’impérieuse nécessité de ne plus accorder l’attention et les crédits de l’État, pour des édifices disparus, notamment dans les villes les plus impactées par les destructions de guerre.

Depuis leur création en 1840, les listes de monuments pour lesquels des secours ont été de-

mandés, puis des monuments auxquels des subventions ont été accordées, et enfin des im- meubles protégés au titre de la législation sur les monuments historiques au cours de l'année,

font apparaître régulièrement quelques cas de dé-protection. Cependant, en l’absence de texte codifié, ces derniers prirent différentes formes, conduisant soit au déclassement soit à l’annulation d’inscription, pour une partie ou la totalité du monument considéré.

0 10 20 30 40 50 60 70

Graphique 24 - Évolution du nombre de monuments historiques radiés

(Créé à partir des R.A.A. préfectoraux et des publications aux J.O.R.F., 2015) Déclassements

Déclassements partiels Radiations d’inscription Radiations partielles

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Le relevé de ces notifications a permis d’approcher les diverses dénominations reportées dans les recueils officiels. La perte de l’inscription au titre des monuments historiques fut ainsi formulée sous les intitulés « annulé », « abrogé », « rejeté par le bureau des hypothèques »,

« rayé », « radié partiellement », « annulé partiellement » ou « abrogé partiellement ». En

revanche, aucune mention de désinscription ne fut recensée.

Figurent également des formulations plus fantaisistes, telle que « déclassé de l'inscription », employée pour les halles de Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). Inscrites à l’inventaire sup- plémentaire en 1942 par arrêté, celles-ci firent ensuite l’objet d’une « demande de déclasse-

ment »706,publiée comme tel sur la liste officielle des « Édifices déclassés en 1954 »707. La pluralité de ces appellations témoigne d’un vide juridique, une absence de désignation pré- établie pour caractériser la perte d’une protection au titre des monuments historiques.

Pourtant, le déclassement, bien qu’encadré juridiquement depuis 1887, a également fait l’objet de plusieurs mentions, telles que « déclassé », « radié du classement », « classement

annulé » ou « classement rejeté par le bureau des hypothèques », ces procédures pouvant

également concerner tout ou partie d’édifices protégés.

À présent encadrés dans leurs formes et modalités par le décret no2007-487, les « déclasse- ments » et « radiations de l’inscription » prononcés respectent les intitulés définis par la légi-

slation en vigueur708. Toutefois, certains monuments ont pu récemment faire l’objet de con- tentieux, pour vice de forme, et bénéficier de campagnes successives de protection, dé- protection et re-protection, tel que cela sera démontré en troisième partie, au chapitre III.