Introduction chapitre 1.3 On analysera ici la question de la patrimonialisation de l’architecture coloniale en Chine. Il s’agira de comprendre quelles sont les spécificités de ces quartiers, avant de réfléchir à la question des transferts de modèles. Nous montrerons ainsi comment la mondialisation a bouleversée les rapports entre les états colonisateurs et colonisés (1.3.1).
Enfin, nous présenterons le cas de Tianjin, les spécificités de son patrimoine par rapport aux autres colonies en Chine, et les limites de son développement. Les rapports entre la France et la Chine sont complexes et très anciens, et méritent une analyse plus précise. Notre recherche ne s’est pas bornée à la concession française de Tianjin mais fut élargie à l’analyse comparative d’autres concessions françaises présentes en Chine, celles d’Hankou, Canton et Shanghai. L’objectif était de saisir quelle forme a pris la politique diplomatique française à Tianjin, par rapport aux autres comptoirs, ainsi que de comprendre quels liens ces villes ont tissé entre elles. Il s’agissait aussi d’étudier les similitudes et les différences dans l’aménagement urbain des enclaves françaises.
Plusieurs chercheurs ont déjà travaillé sur les autres concessions. C’est le cas de Dorothée Rihal (2007) qui a réalisé une étude très documentée sur celle de Hankou, où elle retrace l’histoire de la concession de sa naissance à sa rétrocession, avant de présenter sa situation contemporaine et la réutilisation qui en est faite ‐ qui ressemble, d’ailleurs, dans une certaine mesure, à ce que l’on peut trouver à Tianjin. A propos de Shanghai, nous disposons des travaux de Françoise Ged (1997) dont la thèse porte essentiellement sur l’organisation de l’espace urbain. Plus précisément, en tant qu’architecte, elle analyse de façon très détaillée l’architecture, la trame urbaine de la ville chinoise et des enclaves, afin de mettre en lumière les liens et les hybridations. Elle montre aussi de quelle manière la semi‐colonisation française en Chine se distingue de celle qui a eu lieu en Afrique. La concession de Canton à quand à elle fait l’objet d’une
étude par Vincent Bouvier d’Yvoire qui l’a comparée a celle de Hankou, Shanghai et Tianjin entre 1916 et 1929 (1988). Ainsi, alors que les concessions de Shanghai, Hankou et Canton ont été souvent étudiées, celle de Tianjin commence à émerger depuis moins d’une dizaine années, sous la double influence du lancement de travaux d’aménagement et la saturation de Pékin. Sur les autres concessions de Tianjin, il faut noter les travaux de Dana Arnold (2012) sur la concession anglaise. Elle a su développer une réflexion sur les transferts de modèles entre les différentes colonies anglaises, mais aussi une analyse très pertinentes sur les espaces autres en reprenant les travaux de Michel Foucault. C’est une analyse similaire que l’on retrouve aussi chez Maurizio Marinelli (2009) dans son étude de la concession italienne. Il présente aussi les travaux d’aménagements et de mise en tourisme sur la période 2000‐2009.
On trouve enfin le mémoire de Fleur Chabaille portant sur la présence française à Tianjin entre 1916 et 1951 réalisé en 2009. Cette historienne a produit un travail très précis et détaillé sur l’histoire et l’aménagement de la concession française ainsi que sur ses élargissements. Il éclaire les relations internationales dans les enclaves de Tianjin. Elle a aussi su montrer que les tensions politiques sont sans cesse liées à la gestion du territoire. Les travaux de Fleur Chabaille et de Vincent Bouvier d’Yvoire portaient essentiellement sur l’histoire et les relations internationales à l’époque des concessions. On y apprend que la construction de la concession n’a pas été sans difficulté, et a donné lieu à de nombreux conflits notamment autour du quartier de Lao Xikai. De même, la France a eu beaucoup de mal à se séparer de sa concession, qu’elle sera la dernière à rétrocéder. Ainsi, jusqu'à la fin a‐t‐elle planifié des programmes culturels, projets qui sont l’indice d’un véritable désir d’expansion culturelle, et ce tout au long de l’existence de la concession. Cette volonté expansionniste se retrouve dans le bâti, à la fois imposant et classique, véritable exposition des savoir‐faire français. Il s’agissait de montrer à la Chine le visage rayonnant d’une France prestigieuse, d’une manière que l’on retrouve dans les colonies françaises.
Dans sa thèse sur le thème de l’eau comme enjeu de pouvoir à Tianjin, Delphine Spicq (2012) analyse la position stratégique de Tianjin, établie grâce au rôle fondamental de
ses canaux dans le transport de l’eau et la circulation des les bateaux pour alimenter la capitale.
Plus récemment, d’autres études universitaires ont porté sur ce sujet, comme celui de Marine Sedan (2012) dont le mémoire a porté sur les techniques et les matériaux de construction, au terme d’un travail d’analyse fin des archives qui éclaire véritablement sur la nature des sources disponibles (1.3.2).
On trouve enfin une quinzaine de mémoires en chinois sur les concessions de la ville de Tianjin. On retenu notre attention, un mémoire de Dai Xueyan (2010) sur les relations entre chinois et étrangers et deux mémoires sur l’histoire de la concession française, celui de Guo Hui (2008) et celui de Wang Ning (2010)52. Mais aussi les travaux de Zhang Ying Jing (2012) sur la réutilisation des bâtiments historiques le long de la rivière Haihe. et le mémoire d’anthropologie de Dong Ye sur la notion d’espace colonial (2007).
1.3.1� LA PATRIMONIALISATION DE L’HÉRITAGE COLONIAL ET
SES LIMITES
Nous montrerons comment les enclaves coloniales jouent un rôle de miroir des relations internationales (1.3.1.1) mais comment elles disposent malgré tout de spécificités locales, marqueurs d’une double identité. (1.3.1.2).
1.3.1.1� Les enclaves chinoises au XIX
ème, miroir des relations
internationales
Après avoir fait un état des lieux de la recherche sur le patrimoine colonial chinois (1.3.1.1.1), nous reviendrons sur les transferts de modèles et l’importation de modèles occidentaux en Chine (1.3.1.1.2).
1.3.1.1.1�L’architecture dans l’empire colonial français en Chine
Premier constat : il existe autant de formes de patrimonialisation que d’états colonisateurs. L’aménagement des anciens états colonisés et leur développement passe par une réappropriation – au moins partielle ‐ de cette architecture, selon la dimension utilitaire de cet héritage. Cette requalification et la forme qu’elle prend dépendent des relations entre états colonisé et colonisateur. La patrimonialisation est ainsi marquée par l’emprise normative et administrative de l’état qui l’investit. Comme le fera le Maréchal Lyautey ‐ en appliquant le même procédé quelques décennies plus tard avec pour objectif de protéger les médinas marocaines par la construction de quartiers coloniaux en périphérie ‐ dans le protectorat français du Maroc, l’urbanisation coloniale en Asie repose sur un principe de séparation spatiale, les nouveaux quartiers destinés à accueillir les occidentaux étant séparés de la vieille ville (STASZAK�������.
Nous n’assistons pas, dans les villes chinoises, à une colonisation violente comme a pu la connaitre la ville d’Alger dont la médina a subi d’importantes percées au nom de principes hygiénistes. Les Européens n’ont pas cherché à détruire les villes chinoises mais bien à en améliorer l’organisation. On constate souvent que la séparation urbaine