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4. Description et analyse des résultats

4.3. Simulation et fiction

Il semble que la tendance actuelle soit de réaliser des simulateurs de plus en plus ressemblants à la réalité afin de favoriser des développements qui se déroulent en situations quasi-réelles. Cette tendance s’appuie sur la conviction que plus les artefacts permettent des situations ressemblant aux situations réelles, plus l’engagement des formés est proche d’un engagement réel, mais que grâce au caractère fictif de la situation, un espace d’action privilégié est constitué qui est particulièrement propice au développement professionnel. Ces situations de simulation permettent une sorte de débrayage entre deux ordres d’activité – le réel et le « fictif » ou « fictionnel » –, c'est-à-dire un « jeu » entre réalité et environnement visant le développement.

Les recherches montrent aussi que l’impact formatif des simulations tient à ce que ces dispositifs ne déclenchent pas une activité exactement identique à l’activité réelle de travail,

sans quoi leur intérêt serait limité par rapport à ce qu’on appelle généralement des apprentissages informels ou l’acquisition d’expérience sur le tas. Notre hypothèse est que pour que l’activité des participants à des simulations soit génératrice d’apprentissage/

développement chez eux, il est nécessaire que celle-ci comporte une dimension de fiction qui implique un engagement particulier de leur part (Durand, 2008). Nous argumentons cette hypothèse à partir d’une reprise partielle des travaux de Schaeffer (1999) relatifs à

« l’expérience fictionnelle ».

Cette hypothèse est que les formés doivent déployer une activité de l’ordre de ce que cet auteur désigne comme une « production fictionnelle ». Celle-ci repose sur des processus d’immersion mimétique, de feintise ludique partagée et de transfert métaphorique de l’expérience vécue d’un environnement dans l’autre.

Les épisodes ont été sélectionnés après l’étude et l’analyse des Verbatims issus des auto-confrontations.

4.3.1. Description

Cette sous partie comprend a) la description de l'actvité d'Alice, b) la description de l'activité de Charles et c) la description de l'activité de Thibault7.

Description de l'activité d'Alice

Les extraits analysés prennent place lors de Simulation 1 et de la Simulation 3.

Il s'agit, pour la Simulation 1 du scénario prévoyant une induction normale. Alice simule l’activité de l'infirmière en anesthésie et François, son collègue, celui du médecin anesthésiste.

Au tout début de la simulation, Alice se sent distante vis-à-vis de la simulation et préoccupée par les caméras et mes micros. Le fait que le formateur Roland (qui fait parler le mannequin depuis la salle de contrôle) lui demande qui elle est, lui fait clairement sentir qu'elle ne se sent pas engagée dans une action habituelle. Elle ressent alors un sentiment de gêne, et se dit, en se basant sur ses propres connaissances de la salle d'opération, qu'elle doit faire un effort pour se concentrer et agir avec le mannequin comme s'il s'agissait d'un vrai patient.

Chercheur: OK là, tu penses quoi ? Enfin, tu penses à un truc en particulier quand tu l’entends comme ça ? Alice: euh ben quand il me dit « vous, vous êtes qui ? » Je me dis « Ah oui, c’est vrai mince ! » Parce que bon

7 Les retranscriptions sont disponibles dans le dossier d'Annexe (Annexe 4)

c’est vrai que quelqu’un qui se retrouve dans un bloc qui va être opéré, donc déjà il y a la petite angoisse et le petit stress, et puis quand il me dit : « Mais vous êtes qui mademoiselle ? » je me dis « Ah oui effectivement j’ai oublié quelque chose de très important parce que enfin…C’est quand même très important de savoir qui s’occupe de nous, et puis voilà donc je reprends les choses depuis le début, et puis je me présente, je m’excuse parce que bon. Et puis après F. se présente. Mais là c’est vrai que…et puis c’est pas évident parce que c’est un mannequin donc. C’est à partir de ce moment-là, je pense que je me suis dit : «Ah oui. Il faut que je me mette dedans » Tu vois ?

Ensuite, Alice procède comme à son habitude pour préparer la ventilation au masque.

Elle cherche à brancher le masque sur le ventilateur (l'appareil dont elle se sert d'ordinaire) lorsque le formateur Thibault, présent dans la salle, lui demande de le brancher sur le ballonnet.

Alice: voilà donc moi j’allais faire comme on fait normalement entre guillemets.

Chercheur: mais là du coup tu…

Alice : donc là Thibault. m’a fait signe « te casses pas la tête, tu prends le ballon et puis ».

Chercheur: mais pourtant c’est plus simple avec un ventilateur non ?

Alice: c’est pas que c’est plus simple, c’est que j’allais faire comme on fait en réalité tu vois ?

L'utilisation du ballon semble ici plus simple dans le cadre de la simulation. Toutefois plus tard, Alice éprouvera une gêne vis-à-vis de la manipulation du ballon.

Chercheur : voilà, qu’est ce que tu fais là ? Qu’est ce que tu regardes ?

Alice : heu…Là je crois que je suis un peu gênée par le ballon par ce que..c’est pas très pratique tu dois tenir ton tube d’une main et puis ballonner de l’autre avec une seule main et c’est vrai que je trouve que le ballon est assez gros et puis pas facile à mobiliser et là j’étais un petit peu gênée dans ma manipulation

Alice évoque ici un problème d'ergonomie où elle doit à la fois continuer d'insuffler de l'air au patient pour que les paramètres sur la courbe respiratoire ne descendent pas, et à la fois tenir le tube sortant de la bouche du patient afin de ne pas encourir le risque d'une extubation ou d'un déplacement du tube dans la trachée.

Par la suite le formateur faisant parler le robot pose de plus en plus de questions afin de perturber les formés et de les amener à le recadrer. Alice se sent ennuyée par ces interventions et cherche que lui répondre en évitant de donner des informations superflues.

Elle exprime un sentiment de malaise envers la situation de simulation et essaie de garder une attitude calme et rassurante vis-à-vis du patient. Elle finit par lui demander de cesser de parler

Chercheur (rit) : qu’est ce qui se passe là ? On voit que tu es…

Alice:alors là je me suis dit… « Le patient chiant ! » (rit) entre guillemets. Parce que quand il me dit « vous mettez beaucoup d’oxygène ? » je me suis dit: « mais qu’est ce que je vais répondre » parce que t’as Monsieur et Madame tout le monde, et puis on nous a bien dit de ne pas trop rentrer dans les détails, parce que le fait de rentrer dans les détails les gens comprennent pas forcément donc ça augmente leur angoisse. Et je me suis dit

« mais qu’est ce que je vais lui répondre ? » Et tout bêtement je me suis retournée vers le ventilateur et…j’allais pas lui dire qu’il est à 10 litres d’oxygène pour avoir une bonne saturation quoi(...).

Alice: donc là tu vois, je me suis un peu senti bête, je me suis dit : « Mais qu’est ce que je vais lui répondre ? » (...)

Chercheur: et là tu te sens comment globalement ? T’es plutôt dans quel état d’esprit ?

Alice: ben là avec la simulation, j’étais quand même pas très à l’aise…heu et puis c’est pareil tu te dis « il faut que je garde une voix posée », il faut pas…au niveau de la voix. Bon c’est un mannequin mais même en réalité,

faut pas que le patient sente que…tu vois, que t’es pas très à l’aise avec lui ou autre. (…).

Alice:donc là, par rapport à ça, par rapport à ce patient qui est angoissé, qui pose plein de questions, je pense qu’au bout d’un moment, il faut recadrer le patient, le stopper et nous prendre la relève et le diriger parce que sinon, on s’en sort pas quoi.

Chercheur: donc c’est à ce moment-là que tu te dis ça où c’est maintenant en revoyant ces images ?

Alice: je pense que j’ai dû me le poser, j’ai dû me dire au bout d’un moment stop parce que sinon tu n’y arrives plus quoi. Mais c’est vrai qu’en le revoyant j’ai dû me dire ça…

Chercheur: un peu avant…

Alice: dans ce laps de temps en tout cas.

A partir de la fin de l'intubation, le formateur Thibault simulant l’activité du chirurgien va venir presser les formés en manipulant le patient et en faisant des commentaires sur la lenteur de ces derniers. Alice se sent de plus en plus agacée et finit par répondre au chirurgien.

Malgré la perturbation introduite par ce dernier et le stress que cela engendre chez elle, elle poursuit son activité en se pressant. Elle sait qu'elle se trouve en situation de simulation mais cela ne semble pas perturber son engagement dans l'action qu'elle est en train de mener (fixer le tube avec un lacet). Elle énonce au cours de l'auto-confrontation qu'elle a décidé de répondre elle-même au chirurgien car elle considérait que son activité définie par le scénario dans le scénario lui donnait plus d'expérience que son collègue François, simulant l’activité de l'interne en anesthésie.

Chercheur: et là tu te sens comment à ce moment-là ?

Alice: à ce moment-là, si je me souviens bien je commence à avoir la tension qui montait, un petit peu de stress… Maintenant, te dire réellement...ouais il faut se presser parce qu’il y a le chir. qui attend derrière voilà quoi. Mais il faut aussi qu’on fasse les choses de manière sécuritaire donc…(...).

Chercheur: OK alors là tu te sens comment ?

Alice: là je me sens agacée. Et si je me souviens bien dans cette simulation François était interne en anesthésie...

Chercheur: oui, oui exact.

Alice: et moi dans ma tête, je me suis dit, de ma déduction, je me suis dit: « S’il est interne en anesthésie, ça veut dire que moi j’ai le rôle d’une infirmière en anesthésie qui a plus d’expérience.

Chercheur: oui ?

Alice: et quand Thibault jouait les chirurgiens impatients ou autre, dans ma tête logiquement c’est celui qui avait le plus d’expérience des deux, entre l’infirmière anesthésiste et l’interne, qui théoriquement était un petit jeune et l’infirmière anesthésiste qui pour moi étais plus âgée qui devait un peu entre guillemets temporiser. Et là quand le chirurgien dit « 45 minutes entre 2 patients » Je me suis dit « bon…C’est son rôle, il cherche la petite bête ». Mais, je veux dire dans les faits, quand il faut prendre 45 minutes entre deux patients, pour que tout soit bien contrôlé, sécuritaire et tout et ben, on prend 45 minutes donc si tu veux…

Bon là c’est vraiment le chirurgien qui est de mauvaise foi s’il dit ça là.

Chercheur : et là donc t’es vraiment agacée et tu lui…

Alice : ben là …Oui ça me titille un petit peu quoi !

Chercheur : donc à ce moment-là, toi, ton but, c’est de temporiser…

Alice : ben de temporiser par rapport au chirurgien qui titille un petit peu.

Lors de la troisième simulation le scénario prévoit au début une induction normale mais au cours de laquelle le patient régurgite du liquide gastrique, obligeant les formés à basculer sur une induction à séquence rapide. Alice simule l’activité du médecin anesthésiste.

Elle prend alors la place de son collègue Charles qui ne parvient pas à effectuer l’intubation.

Alice exprime une gêne concernant l'endroit où elle peut poser son plateau de médicaments. Il semble qu'il y ait peu de place et elle est embarrassée à un moment où l'action de Charles requiert son attention (l'intubation).

Alice: alors là je me souviens que je savais pas où poser le plateau avec les médicaments Chercheur: C’est ce que t’as là

Alice: alors ça c’est le plateau d’intubation, mais la solution de facilité tu poses ça sur le thorax du patient mais le patient n’est pas une table et c’est vrai que la je savais pas trop ou mettre mon matériel.

Description de l'activité de Charles

Les extraits analysés prennent place au cours de la troisième simulation où Charles simule l’activité de l'infirmier anesthésiste.

Au début de la simulation Charles éprouve de la difficulté à entrer dans la fiction. Il cherche alors à se comporter comme il le ferait avec de vrais patients.

Charles: là j’essaie de me plonger un petit peu dans la situation comme si j’avais affaire en fait à un vrai patient (...):...Avec encore un petit peu distance parce qu’on sait qu’on est sur le mannequin et puis c’est le début de l’intervention donc on est pas encore imprégnés de la simulation mais euh… je joue le jeu en tout cas à ce moment-là.

Puis, au fur et mesure de l'avancement de la simulation, il commence à se sentir de plus en plus concentré notamment grâce à la vérification des paramètres d'oxygénation du patient. Il commence également à faire appel à des savoirs de référence

Charles:… je pense que je commence à être un petit peu dedans parce que je commence à regarder les moniteurs là en haut… donc je commence à vérifier des paramètres.

Chercheur: quand vous regardez le moniteur vous regardez quoi ?

Charles: je regarde l’oxygénation en fait sur le moniteur. Bon après les paramètres hémodynamiques

y’a pas tellement de souci, je regarde surtout la courbe de CO2 parce que je ventile mon patient et donc ça permet de vérifier si la ventilation est efficace.

L'unité élémentaire suivante indique que Charles supervise l'injection des médicaments. Il sent que tout se déroule selon ses attentes, l'enchaînement des actions prévues lui apporte un sentiment de cohérence et augmente un peu plus sa concentration.

Charles: oui je hoche la tête parce que, je supervise un peu quand on est à la tête du patient on

supervise un petit peu ce qui va se passer et puis j’acquiesce…en fait tout se passe comme prévu, elle injecte le médicament qu’on attend, moi j’attendais ce médicament, elle le fait donc tout se passe bien y a une bonne communication tout est cohérent, j’ai mes écrans sous contrôle qui se déroulent comme prévu. Là je suis dans l’action en fait, dans l’exercice.

Il est déconcentré ensuite par l'intervention de Jonas, l'assistant technique qui pilote le mannequin. Il fait intervenir le patient en faisant un commentaire au sujet des effets psychotropes du médicament injecté. Cette intervention se fait dans le cadre de la demande de

Roland qui est dans la salle de contrôle avec Jonas. Il se sent déstabilisé et ne sait que répondre. Il reprend alors conscience qu'il suit un scénario programmé. Ce sentiment de distance contraste avec l'engagement précédent fort en direction du mannequin.

Chercheur: (montre Alice. .sur l’écran) Elle aussi sourit.

Charles: et puis elle aussi sourit oui, ça m’a raccroché tout d’un coup à la simulation en fait, il m’a fait retomber un peu sur la simulation, parce que j’entends le patient parler, je me dis « ça y est , y a Jonas de l’autre côté du mur qui joue son rôle ».

Chercheur: c’est ça.

Charles : et puis là j’ai un peu décroché.

Chercheur: alors que, vous l’aviez dit, il y a quelques secondes, vous étiez bien dedans.

Charles: ouais j’étais bien dedans je pense en tout cas. Ouais, il me semble que j’étais bien concentré.

L'unité suivante prend place au moment où le patient régurgite. Charles fait alors semblant d'aspirer le liquide gastrique au moyen de la sonde d'aspiration qui se trouve à côté de lui. Cet événement lui fait alors reprendre conscience que cela fait partie d'un scénario. Il annonce ensuite à haute voix la fin de son action à destination des formateurs dans la salle de contrôle. Bien que déconcerté par l'incident, il exprime un sentiment de soulagement dû au fait de sa prise de conscience qu'il est en situation d'exercice.

Charles: bon là, et puis là j’ai décroché parce que je dis en me marrant, je dis « Ça y est, j’ai tout aspiré » du style « c’est bon , vous avez entendu, j’ai fait mon geste, j’ai tout aspiré».

Chercheur: parce que l’aspiration est un peu sommaire ?

Charles: là oui oui, l’aspiration est tout à fait sommaire là. Là du coup j’ai décroché.

Chercheur: vous décrochez ? « Du coup je décroche »

Charles:ben je décroche de mon implication, tout d’un coup il y a du recul et je suis de nouveau sur un mannequin quoi.

Chercheur: ouais.

Charles: j’étais à fond jusqu’avant avec mon ballon et puis…

Au cours de l'auto-confrontation Charles se dit surpris par les bruits émis par le mannequin à ce moment-là, mais plus encore en constatant l'absence de liquide gastrique. Le robot ne peut en effet régurgiter quoi que ce soit.

Charles: Et donc voilà, il y a eu un temps de surprise quand j’ai entendu le bruit, je me suis dit « c’est quoi cette simulation, qu’est ce qu’il fait exactement ? », c’est probablement plus flagrant chez un patient vivant, une vraie régurgitation avec du liquide gastrique, mais je me suis dit « ça y est on est parti sur ce scénario-là »

Ici, l'absence de liquide gastrique permet clairement à Charles de se mettre à raisonner en termes de scénario. Il change alors de mode d'engagement et le fait qu'il soit dans une situation simulée, en exercice, devient alors plus présent à son esprit. Malgré sa surprise et le caractère inédit de la situation à laquelle il n'a jamais été confronté auparavant, il agit de manière adéquate.

Durant l'épisode de la régurgitation, Charles doit mettre la table d'opération en position déclive afin que le liquide gastrique ne reparte pas dans les poumons. Alors que d'ordinaire les

tables utilisées fonctionnent avec une télécommande, la table du centre de simulation est une ancienne table à manivelle. Les formés cherchent un instant comment la manipuler. Alice se trouve à ce moment-là de l'autre côté, Charles a les mains prises avec la sonde d'aspiration, il ne reste que le chirurgien présent dans la salle (simulé par François) qui peut les aider en faisant basculer la table.

Charles: ...je me suis fait surprendre, j’ai pris la sonde, là il y a eu un moment d’hésitation, j’ai dit « tiens baisse la table » et puis là on se rend compte qu’on est dans un contexte quand même d’exercice parce que d’une part initialement le respirateur, on ne travaille presque plus avec ces appareils, on a pas nos repères, y a pas mal de choses où on fait comme si. Aussi la respiration avec le ballon qu’on utilise au début, en salle, on utilise directement le masque qui est sur l’appareil et puis il y a pas mal de choses qui ne sont pas les mêmes, la table c’est une vieille table qu’il faut baisser à la manivelle donc tout d’un coup, on se rend compte que c’est pas comme dans la réalité

Chercheur: mais c’est tous ces éléments qui reviennent à ce moment-là ? Charles: oui…

Chercheur: … qui sont présents ?

Charles: non j’en faisais abstraction jusque-là et puis voilà je dis à mon collègue « il faut baisser la table » et

Charles: non j’en faisais abstraction jusque-là et puis voilà je dis à mon collègue « il faut baisser la table » et

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