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Cette partie présente les concepts théoriques sur lesquels s'appuient cette recherche.

Après avoir présenté les présupposés issus de l'approche de l'activité et de la théorie du cours d'action, elle s'attache à montrer en quoi les théories issues des hypothèses de Schaeffer (1999) sur l'expérience fictionnelle permettent une étude approfondie de l'activité des participants au cours d'une séance de formation sur simulateur.

2.1. L'approche de l'activité et la théorie du cours d'action

Cette recherche s’appuie sur la théorie du cours d’action (Durand, 2008; Theureau, 2004, 2006). Cette théorie contient divers présupposés parmi lesquels nous retiendrons les trois suivants qui seront utiles à notre recherche.

2.1.1. L’autonomie

Le présupposé d’autonomie et d’autopoïèse (Maturana et Varela, 1994; Varela, 1989) caractérise la propriété fondamentale d’un organisme vivant de définir et entretenir son organisation dans ses interactions avec l’environnement. Les interactions d’un acteur et de son environnement réalisent un couplage structurel qui construit et modifie à chaque instant l’organisation de l’acteur dans le même temps, dont il dépend. Ce couplage est asymétrique:

c’est l’acteur qui définit ce qui, de son environnement, le perturbe, c'est-à-dire ce qui est pertinent pour lui. Ceci à pour conséquence d'analyser les états et comportements humains comme autonomes, c'est-à-dire comme des émergences, même si ces émergences peuvent être partiellement contraintes.

2.1.2. L’auto-construction

Le présupposé d’auto-construction permanente désigne un processus continu de transformation de l’activité. A chaque instant, l’activité se renouvelle et se développe: elle manifeste et construit des types qui peuvent être, à un niveau local, des savoirs-types, des perceptions-types, des émotions-types, des interprétations-type etc. La typicalisation consiste en l’extension de la signification d’une occurrence, qui prend une valeur d’ancrage des expériences passées, présentes et futures. L’actualisation à l’instant t d’une expérience type

passée est liée à un air de famille entre deux expériences. Ces types constituent des dispositions à agir et forment la culture de l’acteur. Lorsqu’ils sont actualisés en situation, ils peuvent être renforcés ou affaiblis, et de nouveaux types peuvent être créés à chaque instant.

Enfin, les types partagés par différents acteurs définissent des cultures communes (notamment professionnelles).

2.1.3. La conscience pré-réflexive

Le présupposé d’une conscience pré-réflexive, ou expérience, caractérise l’activité humaine comme s’accompagnant d’un vécu et notamment d’une modalité consciente de ce vécu. Il s’agit de la familiarité de l’acteur à lui-même et sa présence à soi permanente accompagnant le flux d’activité. Cette compréhension (et non pas connaissance) de son activité par l’acteur est l’expérience immédiate ou effet de surface du couplage structurel; elle n’est pas ajoutée à, mais constitutive de l’activité (Theureau, 2004, 2006).

Nous associons ces concepts à la théorie développée par Schaeffer (1999) concernant les processus métaphoriques.

2.2. Production fictionnelle et développement professionnel

Nous définissons les formations avec simulation comme plaçant les individus face à un environnement artificiel conçu par le formateur, qui simule l’environnement de travail réel grâce à des ressemblances concernant les objets et les personnes qui s’y trouvent ainsi que les actions et les événements qui s’y déroulent.

Nous partons de l'hypothèse que l'activité des participants à ces formations comporte une dimension de fiction qui implique un engagement particulier de leur part. Pour analyser ces engagements, nous reprenons partiellement l'hypothèse de Schaeffer (1999) relative à

« l’expérience fictionnelle ». Cette hypothèse est que les formés déploient une activité analogue à ce que cet auteur désigne comme une « production fictionnelle », qui repose sur trois processus: a) « l’immersion mimétique » dans l’environnement de formation b) la feintise ludique partagée et c) le transfert métaphorique de l’expérience vécue d’un environnement dans l’autre.

Zaccaï-Reyners dans son article reprenant les points de la théorie de Schaeffer (2005 ), définit l’immersion mimétique comme un processus « qui permet de générer des représentations mimétiques en appui sur des leurres; l'immersion mimétique repose sur la

capacité de compter quelque chose « comme autre chose » (p.3). Ainsi, l’engagement des formés repose sur des ancrages non authentiques à des degrés divers mais ayant néanmoins quelque chose à voir avec ceux des contextes de leur pratique quotidienne. L’environnement de formation est donc dans un rapport mimétique avec l’environnement des pratiques cibles dans la mesure où les « leurres » conçus par le formateur sont « mis à la place » des ancrages réels du travail effectif.

La feintise ludique partagée est un processus qui, de par la présence de marqueurs pragmatiques, permet de distinguer la situation d'immersion fictionnelle de celle de l'immersion réelle ou mensongère. L'entrée dans une situation de feintise ludique partagée s'appuie sur la capacité proprement ludique de faire conjointement « comme si » (p.3). C'est donc un processus de sens inversé par rapport au processus d’immersion mimétique: elle implique de la part de l’acteur de distinguer sa situation actuelle de la situation cible sur la base d’un partage avec le formateur de certains codes ou marqueurs. Autrement dit, les acteurs engagés dans une formation « font comme si » et, malgré l’immersion mimétique décrite précédemment, ils ne doivent pas prendre l’environnement de formation pour l’environnement cible et la pratique pendant la formation pour la pratique réelle.

L’environnement de formation « se doit de s'annoncer », c'est-à-dire qu'il doit définir et délimiter l’espace de jeu ou de feintise à l’intérieur duquel opère le simulacre. Cette feinte est partagée entre le formateur et les formés (ce qui n’empêche pas les ambiguïtés et les quiproquos). Ce qui différencie ces environnements formatifs de la réalité tient notamment à la virtualité des actions qui minimisent leurs conséquences sur la réalité (l'immersion s'appuie sur des leurres, vecteurs d'immersion qui induisent des expériences déconnectées de l'ancrage immédiat, expériences qui comptent donc « pour de faux »). Les évènements sont également réversibles et offrent la possibilité de « reprendre à zéro » si nécessaire,. Ils permettent également une tolérance ajustable aux erreurs, et une possibilité de réglage du débit du « flux événementiel » (ralentissement/accélération de l’enchaînement des événements, simplification etc).

Le processus de transfert métaphorique1 désigne le fait que les expériences liées à l’immersion mimétique et la feintise ludique peuvent être prises pour de bons représentants d’expériences en environnement réel. Elles deviennent pour les acteurs, des « métaphores du réel », c'est-à-dire des ensembles cohérents et prégnants agrégeant des composantes

1 Nous ne reprenons pas ici la formulation de Schaeffer qui qualifie ce processus de « modélisation analogique » en s’appuyant sur l’hypothèse d’une abstraction et d’une représentation qui nous semblent moins fondamentaux que les processus d’assimilation métaphorique.

perceptives, cognitives, sensori-motrices, intentionnelles... qui prennent une signification particulière. Elles assurent ainsi une sorte de lien entre l’environnement simulé et l’environnement réel, parce qu’elles valent les unes pour les autres sur la base d’un « air de famille ». La construction de ces métaphores, au sens où l'entendent Lakoff et Johnson (1980), est une condition de l’apprentissage (les nouveautés sont absorbées dans un premier temps par assimilation à du déjà vécu) et du développement (les métaphores permettent des pontages à partir du connu vers la nouveauté). La ressemblance qui sous-tend la réactivation d’une expérience passée à partir de leurres ne relève généralement pas d’un isomorphisme de surface mais porte sur des aspects profonds d’organisation et de signification des expériences pour les formés.

L'objectif de cette recherche est donc de prendre en compte l'activité globale de la formation sur simulateur du centre HUG en l'étudiant à la lumière des concepts

Les participants ont été libres d'accepter de participer à cette recherche. Ils ont signé un formulaire autorisant l'utilisation des données audio et vidéo à des fins de recherche. Il s'agit d'infirmiers en formation spécialisée ainsi que deux infirmiers formateurs et un assistant technique coordinateur.

3.1.1 Infirmiers en formation

Les trois infirmiers étudiants (Alice, Charles et François, dénommés «les formés»

dans la suite du texte ) ayant participé à la présente recherche sont des infirmiers actuellement engagés dans un cursus de formation spécialisée (post grade) sur deux ans dans le but de devenir infirmiers anesthésistes.

Au moment de l'observation, ils ont environ trois mois de pratique à leur actif ainsi que 18 jours de cours théoriques sur le métier d'infirmier anesthésiste. Ils se sont déjà

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