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Intégrer Internet dans un enseignement de langue : selon quelles modalités ?

4. Simulation électronique

4.1. Présentation

Dans la simulation électronique, l'interaction se fait par l'intermédiaire de l'ordinateur. Pour Crookall (1988), une véritable valeur ajoutée se dégage de la combinaison ordinateur/simulation, tout particulièrement pour un apprentissage.

Selon l'auteur, la simulation est même l'instrument d'une optimisation de l'ordinateur en classe : "One might say that simulation has come to the rescue of computer use in the classroom." (p. 3) "There are enough clearly identifiable advantages to justify optimism that computer simulations will play a major part at the far reaches of computer-assisted instruction." (Versluis, 1984, cité par Crookall, 1988, p. 11).

Pour lui, l'adéquation est flagrante, et la combinaison simulation / ordinateur donnerait un tour nouveau à l'apprentissage : "the natural symbiosis of simulation and computers in a new form of learning known as computerized simulation" (p. 10). L'efficacité d'une telle configuration - "the richness and sophistication which can be accomplished with CSs" - semble devoir dépasser celle d'outils plus traditionnels - "which probably no other pedagogical or research medium can never hope to emulate." "The versatility and flexibility of CSs30 make them potentially very effective as learning vehicles." (p. 11).

Et si les applications ne sont pas encore généralisées, les simulations électroniques sont quand même utilisées dans diverses disciplines d'enseignement : "Computer- assisted simulations in international education have a variety of applications which span academic disciplines. The earliest simulations to take advantage of computer networks were pioneered by Professor Robert C. Noel of the University of California at Santa Barbara (Noel 1969, 1979; Noel et al. 1987)." (Crookall et Landis, 1991, p. 106).

Crookall et Landis (1991) décrivent ainsi le projet IDEALS, dans le cadre duquel les étudiants, dispersés dans plusieurs pays, communiquent par voie électronique, et simulent la négociation d'un traité international.

Si la simulation électronique semble avoir un rôle à jouer dans l'enseignement en général, elle aurait de même un intérêt tout particulier pour un enseignement de langue.

Dans une simulation électronique, les participants interagissent en général par l'intermédiaire de l'ordinateur sur des sujets divers. Dans le cadre de l'apprentissage d'une langue étrangère, la simulation vise à faire pratiquer la langue cible.

Deux cas se présentent alors : l'ordinateur peut conserver son statut d'outil, et la simulation, au lieu de se faire en langue maternelle, se fait dans la langue cible ; mais l'ordinateur peut aussi revêtir un rôle différent, et devenir partenaire dans l'interaction : "This type of simulation has been called a computer-assisted language learning conversational simulation (CALL CS)." (Crookall et Coleman, 1992, p. 100-101).

La simulation électronique pour l'apprentissage des langues, parce qu'elle rejoint la problématique de l'Enseignement Assisté par Ordinateur en général, s'expose également en partie aux mêmes critiques (c.f. chapitre 1, 5. Evaluer l'intérêt des nouvelles technologies, 5.3. Réticences).

30 CS : Computer Simulations

4.2. Critique de la simulation électronique

La simulation électronique, comme l'EAO en général, est notamment accusée d'isoler l'apprenant, et d'appauvrir la communication au lieu de la provoquer.

4.2.1. Ce qui se passe autour de l'ordinateur

"The computer is suspected of isolating its operator, of cutting him or her off from social interaction, and of interfering with the learning of social skills." (Crookall et al., 1986, p. 349).

Les auteurs répondent à cet argument : "Compulsive programmers are, after all, few and far between, and perhaps lonely people turn to machines for company in the first place. This is not the same as saying that the computer causes loneliness. The debate will continue for years, but what is important within the present context is the recognition that some CSs could prove so enjoyable that some people may take them too seriously and even mistake what they represent for other more human aspects of social life." (p. 350).

De toute façon, comme ils le rappellent, il est difficile d'évaluer un système informatique d'apprentissage assisté (c.f. chapitre 1, 5. Evaluer l'intérêt des nouvelles technologies), et les questions habituellement posées à propos de l'EAO ne sont pas pertinentes dans le cas de simulations électroniques. La question ne serait pas en effet de savoir si l'EAO en général est plus efficace qu'un enseignement classique, mais, étant donnés certains objectifs définis à l'avance, d'établir s'ils ont bien été atteints, et dans quelles conditions.

Le facteur déterminant serait, plus que le système en lui-même, l'environnement dans lequel il est utilisé, et ce qui se passe lors de cette utilisation (Crookall et al., 1992). Cet environnement est un ensemble de relations incluant l'enseignant et les apprenants, l'ordinateur n'en étant qu'une composante.

Dans ces conditions, les systèmes à privilégier sont ceux favorisant ces interactions.

Les auteurs distinguent à cet égard plusieurs configurations, déterminées par les critères suivants : computer control, learner control, computer-learner interaction, learner-learner interaction (Crookall et al., 1992). Les configurations types étant : Computer-Determined Environment (computer control, computer-learner interaction)

Computer-Controlled Environment (computer control, learner-learner interaction) Computer-Based Environment (learner control, computer-learner interaction) Computer-Assisted Environment (learner control, learner-learner interaction). Dans le cas par exemple, où l'apprenant à le contrôle du parcours, mais qu'il interagit avec l'ordinateur (Computer-Based Environment), peu de communication parallèle est engendrée.

Les auteurs donnent les exemples suivants : "TERRI (Coleman 1985 1987b, based on Winograd 1976), allows the student to 'converse' with the computer to move objects around, focusing on accuracy within a communicative context. A similar program is TIGLET, 'in which a tiger cub asks for food and the user must offer it things to eat' (Higgins 1987: 163)."

L'apprentissage de compétences orales et sociales serait par contre favorisé lorsque le système donne le contrôle aux apprenants, et provoque l'interaction (Computer-Assisted Environment) : "Much research seems to imply that communicative skills are developed most effectively when learners are given the opportunity to use language for communicative purposes - perhaps this amounts to little more than a confirmation of the adage, 'you learn what you do'." (Crookall et al., 1992, p. 111).

Les simulations en langue étrangère qui utilisent l'ordinateur comme canal de communication relèvent bien de ce dernier type. L'apprenant, dans ce cas, n'est pas isolé devant la machine, mais au contraire impliqué dans des échanges, parfois internationaux (Crookall et Landis, 1991).

La solution adoptée dans le cadre de cette recherche et décrite au chapitre 4 suit une configuration mixte, combinant interactions avec le système, et interactions entre apprenants.

Si les critiques peuvent être écartées dans le cas de configurations telle que celle décrite ci-dessus, il n'en est pas forcément de même quand l'ordinateur est lui- même un partenaire dans l'interaction.

4.2.2. La capacité à tenir une conversation n'est pas un critère d'évaluation

Dans le cas où l'ordinateur tient le rôle de l'interlocuteur, il est vrai que la communication peut apparaître comme tronquée : "Although the computer may be made to play the part of another person or team, it cannot emulate the essential dynamism of face-to-face communication and personal confrontation." (Crookall et al., 1986, p. 350).

Dans le cas d'une simulation sur Internet, le problème peut trouver des solutions, on l'a évoqué ci-dessus, dans la combinaison d'interactions avec des partenaires réels, l'ordinateur étant le canal de communication, et d'interactions avec l'ordinateur lui-même, devenu interlocuteur.

Pour Crookall et Coleman, les limitations auxquelles sont soumis les échanges avec l'ordinateur ne sont de toute façon pas rédhibitoires : "Humans have an amazing capacity for illusion (...). Humans conversing with the computer (especially in a simulation setting) can fairly readily suspend disbelief, and allow themselves to be convinced of a certain degree of resemblance to conversing with a real human." (Crookall et Coleman, 1992, p. 101).

Ils prennent l'exemple du système RELATIONS (Coleman 1988) qui permet à l'apprenant de poser des questions simples à propos des liens de parenté (Qui est le frère de X ? Est-ce que Y est le père de X ?) auxquelles il répond par "oui", "non", ou une demande de reformulation. (Crookall et Coleman, 1992). Les auteurs notent que si c'est un simple système de questions/réponses, il n'en est pas moins, et de ce fait, très robuste. C'est cette robustesse qui contribue à créer et à maintenir l'illusion d'une conversation - "trigger and maintain the language learner's suspension of disbelief" - , plus que la parfaite imitation d'une conversation réelle : "The issue of whether or not the discourse overall resembles

one between two native speakers is moot. Within its rather limited game-like task, RELATIONS performs surprisingly well." (Crookall et Coleman, 1992, p. 104). Pour Crookall et Coleman, à défaut d'une immersion (c.f. ci-dessus, 1. Mise en situation, 1.1. La situation idéale est l'immersion), des simulations de ce type peuvent jouer un rôle dans l'apprentissage : "In fact, in cases in which native speaker participants are not available for interaction with the learner-participants, the use of CALL CSs can actually improve the validity of the conversational interaction." (Crookall et Coleman, 1992, p. 108).

Selon eux, critiquer un tel système sous prétexte que la "conversation" simulée ne présente pas un caractère d'authenticité, c'est oublier aussi qu'il porte seulement sur un domaine restreint : "One might as well criticize a simulation of international relations for not having elements necessary to deal with ordering a meal in a restaurant." (Crookall et Coleman, 1992, p. 105).

La capacité à tenir une conversation naturelle n'est donc pas un critère d'évaluation pertinent, puisqu'un tel système a de toute façon peu de chances d'aboutir un jour. "Such systems are unlikely to appear in the near future, if ever. The ability to engage in open-ended exchanges is not a useful criterion for defining what is or is not "simulated conversation" in a CALL program." (Crookall et Coleman, 1992, p. 99).

Les auteurs s'opposent en ce sens aux remarques de Connell (1996, p. 33) : "Les capacités d'analyse et d'interactivité de certains programmes sont impressionnantes mais forcément limitées, comparées au rapport humain. Enfin, les possibilités de mise en situation communicatives sont également relatives. Elles relèvent plutôt de la simulation du réel puisqu'elles ne comportent pas le même degré de richesse, de flexibilité ou de "risque" si typique des échanges authentiques."

Entre un système capable de converser et des exercices répétitifs, on doit donc pouvoir trouver un juste milieu : "The choice is not simply between mechanical drill at one extreme and human-like simulated intelligence at the other" (Underwood, 1984, p. 47, cité par Crookall et Coleman, 1992, p. 99).

4.2.3. Une modélisation partielle

C'est une modélisation linguistique partielle qui peut fournir cette solution intermédiaire. Une telle modélisation, forcément simplifiée, irait, si l'on en croit Crookall et Scarcella, dans le sens d'un apprentissage : "The theory also suggests that the best input for beginners may come from other language learners, since this input is often likely to be just above the current level (Krashen 1980b). Later, when the students reach a more advanced stage, it is suggested that more optimum input might be provided by native speakers who are sympathetic to the linguistic and cultural backgrounds of nonnative speakers and who thus simplify their own language. If this is true, simulation should be an ideal tool for providing language students with optimum input, since they can be given sufficiently simplified and comprehensible models of input from native speakers and even more simplified models of input from their peers." (Crookall et Scarcella, 1990, p. 224).

Une simulation électronique pour l'apprentissage d'une langue, dans cette optique, inclut donc une description linguistique, de laquelle dépend d'ailleurs la qualité du système. Ce modèle linguistique partiel doit permettre de circonscrire les énoncés

produits par l'utilisateur, et de programmer des réponses en conséquence (Crookall et Coleman, 1992).

Cette description linguistique doit sans doute pouvoir être réalisée à partir d'options théoriques diverses, mais celles suggérées au chapitre 2, impliquant la linguistique pragmatique et la linguistique de l'énonciation (c.f. chapitre 2, 2. Vision de la langue impliquée par l'approche communicative, 2.1. Pragmatique, 2.1.2. "Les langues varient en fonction des situations") semblent les plus appropriées, dans le prolongement de la démarche suivie jusqu'à présent dans la présente recherche.

Si la simulation électronique, ludique et collaborative de surcroît, semble devoir être l'instrument privilégié de la mise en situation nécessaire à un apprentissage communicatif, la stratégie attenante, du point de vue linguistique, serait donc, dans l'optique suivie ici, la prise en compte du rapport entre les variations de situations et les variations linguistiques, et au-delà, une modélisation - partielle - de ces variations.