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Chapitre I : Des suspensions colloïdales à l’hétéroagrégat

4 Synthèse d’un matériau d’intérêt catalytique par hétéroagrégation

4.1 Les silice-alumines en catalyse acide

Bien que le nombre de leurs applications ait diminué dans les années 1970 au profit des zéolithes généralement plus actives [MAR 2003], les silice-alumines font parties des catalyseurs hétérogènes fréquemment exploités à l’échelle industrielle. Ces matériaux sont également utilisés comme support de phase active dans des procédés de chimie fine [MOS 2007] [MOT 2007] [THI 2007] ou de raffinage [BUS 2007] [COR 1995] [WAR 1978]. Les silice-alumines interviennent en tant que catalyseur dans des procédés de craquage [TAK 2005], d’oligomérisation [CAB 2009] [PER 1999] ou encore de conversion [PAT 2010]. Des projets moins communs comme l’utilisation de silice-alumines en tant que liant entre matrice et catalyseur ont été également reportés dans la littérature [HOL 2007].

Les alumines sont des oxydes mixtes généralement amorphes. Néanmoins, certaines silice-alumines contiennent des domaines cristallins liés à la formation d’alumine. Outre l’alumine α (corindon) un grand nombre d’alumines de transition sont synthétisables à partir des précurseurs de type hydroxydes ou oxyhydroxydes d’aluminium (Figure 10). Les supports à base d’alumines les plus exploités dans l’industrie sont constitués d’alumine γ. Sous atmosphère humide, ce matériau présente des sites hydroxylés basiques en surface. Une calcination plus ou moins poussée permet la déshydratation du matériau et l’élimination groupements hydroxyles pour former des ponts oxo entre des atomes d’aluminium. Cette modification de la surface entraine la formation de sites catalytiques actifs à partir de 300°C. Au-delà de 430°C, l’augmentation du nombre de lacunes d’oxygène affaiblit les liaisons oxygène – hydrogène. Le matériau présente alors des sites acides de Lewis (lacune d’oxygène) et des sites acides de Brönsted (sites hydroxylés résiduels). Toutefois, l’acidité de l’alumine γ reste faible [MAR 2003].

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Figure 10 : Schéma de filiation des alumines [BOI 1995]

L’augmentation de l’acidité de l’alumine γ est réalisée par la formation d’un oxyde mixte de type aluminosilicate. En effet, la présence d’ions Si(IV) fortement polarisant dans la structure permet aux cations Al(III) d’être stabilisés en coordinance quatre. La diminution du nombre de voisins oxygène autour de ces cations a pour conséquence de renforcer la liaison métal – oxygène au détriment de la liaison oxygène – hydrogène de surface. Chaque cation Al(III) dispersé dans un gel de silice est susceptible de générer un site hydroxylé dont la présence de Si(IV) et d’Al(III) rend le proton particulièrement labile. Plusieurs structures des sites acides de Brönsted ont été décrites dans la littérature. Tout d’abord, il est possible de former des sites acides forts similaires à ceux présents dans les zéolithes dont le groupement hydroxyle est lié à un cation Si(IV) et un cation Al(III) [DAN 2000] [HEN 2010]. D’autres travaux ont mis en évidence des sites acides sous la forme de groupements silanol à proximité de cations Al(III) trivalents [TRO 1998] [CRE 2006]. Enfin, le cas de groupements silanol pseudo-pontés à un cation Al(III) accessible a été soulevé par DFT et dynamique moléculaire [CHI 2009].

L’activité catalytique d’une silice-alumine amorphe est liée au nombre de sites acides et à leur accessibilité. Il est donc primordial d’obtenir une répartition homogène de l’aluminium et du silicium. La difficulté de l’obtention de ces phases homogènes est liée aux différences de cinétique d’hydroxylation des cations Si(IV) et Al(III). La technique la plus adaptée pour répondre à cette problématique est la coprécipitation d’alcoxydes métalliques. Pour contrôler la répartition des cations lors de la coprécipitation, plusieurs protocoles expérimentaux ont été développés. L’ordre d’introduction des précurseurs a été étudié

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en réalisant une préhydrolyse d’alcoxydes de silicium [YOL 1988]. L’introduction d’eau dans un mélange concentré de précurseur sous agitation et reflux a été développée pour ajuster le taux d’hydrolyse [LOP 1992]. Plus récemment, l’ajout d’agents chélatants a permis d’augmenter la proportion de sites Al tétraédriques dans des cogels en limitant la formation de polycations [HER 2000]. Même si les cogels présentent des surfaces spécifiques élevées (jusqu’à 800 m².g-1), l’accessibilité des sites acides est rendue difficile par des distributions de tailles de pores larges. Plus récemment, la dispersion de la porosité a été contrôlée par condensation de silice ou de boehmite à la surface de particules préformées de l’oxyde complémentaire (respectivement boehmite ou silice) [EUZ 2005] [PAD 2006] [CHE 2008].

De nombreuses techniques ont été développées pour caractériser les sites d’intérêt catalytique générés dans les silice-alumines. La spectroscopie infrarouge par transformée de Fourier (FT-IR) après adsorption de molécules sondes (ex : pyridine [PAT 2010]) fait partie des techniques les plus employées dans la littérature. Elle permet d’identifier la présence ou non de sites acides de Lewis et de Brönsted. Durant la thèse, nous avons utilisé une technique qui permet d’avoir une idée précise de la structure locale des sites Al(III) et Si(IV) formés : la spectroscopie à résonance magnétique nucléaire (RMN). Dans le cas de l’aluminium, la RMN permet de différencier et de quantifier le nombre de sites tétra-, penta- et hexa-coordinés selon leur déplacement chimique (Figure 11). De plus, les sites Al(III) tétraédriques de cœur des particules d’alumine et dispersés dans des gels de silice ont des déplacements chimiques suffisamment différents pour être dissociés : alumine (≈ 72 ppm) et silice-alumine (≤ 60 ppm). Nous noterons également que les déplacements chimiques des sites Al(III) tétraédriques des SA sont affectés par la concentration en silice [CRE 2006] [PAD 20006]. A notre connaissance, l’effet de ces variations d’environnement n’a pas été relié à des modifications d’acidité ou d’activité catalytique des sites. Dans le cas du silicium, l’attribution des raies des spectres RMN est moins évidente du fait de la superposition des espèces et des variations de déplacement chimique selon les matériaux [ENG 1987].

Figure 11 : Répartition des sites 27Al en fonction de leur déplacement chimique par RMN

L’activité catalytique des sites acides des silice-alumine peut également être caractérisée. Tout d’abord, la force des sites acides de surface peut être obtenue par thermodésorption programmée en température (TPD). La TPD permet d’évaluer la force d’un site acide en fonction de la température de

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désorption d’une molécule sonde (ex : NH3, lutidine). Les sites sont ensuite classés selon trois catégories : faible, intermédiaire et fort. Dans le cas de la désorption d’ammoniaque, les catégories correspondent respectivement aux gammes de températures suivantes : 20-200, 200-350 et 350-550 °C [LEW 2000]. Néanmoins, l’identification de l’acidité des sites surface d’un matériau n’est pas facilement corrélable à l’activité catalytique de celui-ci. Pour cette raison, nous avons choisi d’utiliser dans la thèse un test catalytique modèle : l’isomérisation du m-xylène [PEG 2008]. Les tests modèles autorisent une comparaison rapide et peu couteuse en quantité de catalyseurs. Toutefois, ils ne permettent pas de reproduire fidèlement les spécifications d’un réacteur catalytique industriel (flux, température, nature des charges, etc…).

Bien que plusieurs hétéroagrégations de particules de silice et d’alumine soient reportées [GAR 2006], aucune n’a été développée à des fins catalytiques. Pourtant les systèmes hétéroagrégés présentent des avantages. Tout d’abord, la surface spécifique du matériau final est liée à celle des particules constitutives. Ensuite, les systèmes hétéroagrégés sont susceptibles d’exposer trois phases distinctes (surfaces des particules et interface mixte). Ces matériaux seraient donc propices à former des catalyseurs multifonctionnels dont les fonctions seraient localisées. Enfin il apparaît envisageable d’ajuster la porosité (morphologie et diamètre) en contrôlant la structure et la conformation des hétéroagrégats.