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4 Discussion

4.2 Nature de l’interface goethite – brookite

Nous avons montré précédemment (cf. 3.2.1) que les zones d’adhésion entre goethite et brookite sont sensibles à la nature des faces cristallographiques. Pour justifier la spécificité des interactions électrostatiques dans l’orientation de l’adhésion, nous avons modélisé les profils de charge de surface des faces cristallographiques émergeantes de particules de goethite et de brookite par le modèle MUSIC² (Figure 117) (cf. Annexe F). Dans le cas de la goethite, le modèle prédit des profils de distribution des

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charges de surface similaires entre les faces en fonction du pH. D’après le modèle, chaque face cristallographique émergeante a un PCN entre 9,6 et 9,8. L’estimation est proche du PCN des particules obtenu expérimentalement. Il ressort également de cette modélisation que les familles de plans (021) et (001) en extrémité de la goethite sont plus chargées à pH 6,5 que les faces latérales (110). Si nous nous fions au modèle, les interactions électrostatiques attractives avec les particules de brookite devraient être plus importantes aux extrémités que sur le corps des bâtonnets. Ce résultat justifie les 85%, normalisé par la surface, d’adhésion de la brookite aux extrémités des bâtonnets de goethite.

Figure 117 : Résultat de la modélisation MUSIC² de la charge de surface des faces cristallographiques émergeantes des particules de goethite

Dans le cas de la brookite, on distingue deux familles de faces cristallographiques émergeantes (Figure 118). Les familles de plans (120) et (121) présentent une diminution continue de la charge de surface jusqu’au PCN proche de pH 6,3. A partir de pH 9, la charge de surface atteint un plateau. La famille de plans (001) présente également une diminution continue de la charge à pH acide mais à un PCN estimé à pH 6,8. A partir de pH 9, la charge de surface de ces plans cristallographique atteint également un plateau. Entre pH 6,3 et 6,8, les particules de brookite exposent donc des faces faiblement chargées mais de charges opposées. En dehors de cette gamme de pH les faces (001) sont globalement moins chargées que les faces (120) et (121). En déstabilisant les particules à pH 6,5, le modèle MUSIC² prédit des interactions électrostatiques préférentielles entre les particules de goethite et les faces (120) et (121) de la brookite. Ce résultat explique que nous n’observons par MET-HR que les faces (120) au niveau des zones d’adhésion goethite - brookite.

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Figure 118 : Résultat de la modélisation MUSIC² de la charge de surface des faces cristallographiques émergeantes des particules de brookite

La lente déshydratation des interfaces d’oxydes démontrée par spectroscopie Mössbauer correspond à des interactions spécifiques entre sites de surface. Le tableau 11 répertorie les caractéristiques des sites de surface des faces (120) de la brookite à pH 6,5. Ces données ont été obtenues à partir du logiciel de reconstruction cristallographique CrystalMaker et des modélisations MUSIC². On retrouve sur les faces (120) des atomes d’oxygènes mono (µ1), di (µ2) et tricoordinés (µ3). La charge des particules est imposée par les sites µ1 et µ2. En plus de l'erreur du modèle, une élévation locale du pH à l’approche des particules de goethite positivement chargées est possible. Par conséquent, l’état d’hydroxylation de ces sites est difficile à prédire tant leurs pK sont proches du pH de travail (pH 6,5).

Tableau 11 : Constantes d’acidité et charges à pH 6,5 des sites des faces (120) de la brookite déterminés par le modèle MUSIC²

Les faces (110), (021) et (001) des particules de goethite exposent également des sites mono (µ1), di (µ2) et tricoordinés (µ3) (Tableau 12 – 14). Quelle que soit la face concernée, ce sont les sites μ1-OH2 qui apportent de manière prépondérante des charges positives aux particules de goethite. De plus, leurs pK de deuxième hydrogénation sont basiques : μ1-OH2 : pKn,2 = 8,1 ; μ1’-OH2 : pKn,2 = 11,7. D’après le modèle, ces sites ne devraient donc pas être affectés par l’approche d’une surface négativement chargée et de son cortège d’ions hydroniums qui pourrait localement abaisser le pH (cf. Chapitre I).

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Tableau 12 : Constantes d’acidité et charges à pH 6,5 des sites des faces (110) de la goethite déterminés par le modèle MUSIC²

Tableau 13 : Constantes d’acidité et charges à pH 6,5 des sites des faces (021) de la goethite déterminés par le modèle MUSIC²

Tableau 14 : Constantes d’acidité et charges à pH 6,5 des sites des faces (001) de la goethite déterminés par le modèle MUSIC²

Durant le vieillissement des suspensions de GB7,0, une lente diminution de pH est détectable (Figure 119). La concentration en protons libérés calculé à partir des variations de pH après 14 jours est 1,2.10-6

mol.L-1. En ramenant cette concentration à la surface de goethite recouverte, nous obtenons 0,23 protons par nm2. En comparaison de la proportion de sites de surface de la goethite et de la brookite (entre 2,7 et 6,1 sites.nm-2), la variation de pH est très faible. Même si la densité de sites de surface chargés considérée ici est surestimée car nous ne prenons pas en compte les répulsions électrostatiques entre site, peu de sites de surface semblent impliqués dans la libération de protons lors de réarrangements aux interfaces.

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Figure 119 : Concentration en protons libérés en fonction du temps de vieillissement

Pour savoir si une organisation préférentielle des sites de surface était possible entre ces deux matériaux, nous avons identifié les positionnements des sites les plus chargés de la face (110) de la goethite et (120) de la brookite (Tableau 15). Le repère utilisé pour suivre la position des sites est l’axe c de la brookite et de la goethite. Ces repères ont été choisis pour correspondre au positionnement relatif le plus souvent observé entre les particules de goethite et les agrégats de brookite (Figure 120). Cette étude montre de fortes différences entre le positionnement des sites les plus chargés, µ1-OH2 pour la goethite et µ2’-O pour la brookite, qui souligne l’absence d’accord cristallographique entre les faces de la goethite et de brookite considérées. Ainsi, s’il y a une réorganisation des sites à l’interface (110)goethite / (120)brookite à pH 6,5, celle-ci n’implique pas de liaison métallique à l’interface.

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5 Conclusion :

L’objectif de ce chapitre était la compréhension des mécanismes d’hétéroagrégation du système modèle goethite – brookite. Cette étude fine des comportements des particules et hétéroagrégats constitue la partie centrale de nos travaux.

Nous avons montré que la vitesse de croissance est dépendante du nombre de points de fixation autrement dit du taux de recouvrement. L’élévation du pH de 6,5 à 8,2 engendre une croissance plus rapide des agrégats tout en conservant les mêmes porosités des hétéroagrégats. Pour ces deux valeurs de pH et en l’absence d’agitation, les hétéroagrégats sont constitués de bâtonnets de goethite sans d’orientation spécifique et de particules de brookite intercalées. Les hétéroagrégats ne possèdent pas de morphologie spécifique et consistent en un assemblage de particules à deux dimensions (exemple : système GB1,7) ou trois dimensions.

La présence d’hétéroagrégats de l’ordre de dix micromètres générés en l’absence d’agitation a été identifiée par granulométrie -laser. Leur association a également été étudiée en maintenant une agitation de la suspension. L’agitation permet de former des hétéroagrégats (< 1 µm) dont les bâtonnets de goethite sont alignés et maintenus entre eux par les agrégats de brookite. De sensibles variations dans les taux de recouvrement des bâtonnets de goethite semblent également être responsables de la formation d’hétéroagrégats de morphologies et de tailles différentes.

En testant la dissociation les hétéroagrégats à pH 3,5, nous avons montré que les hétéroagrégats se dissocient en partie et que le vieillissement des hétérosuspensions entraine la stabilisation d’hétéroagrégats de moins en moins dissociables.

L’impact de la force ionique sur l’hétéroagrégation a également été suivi. En ajustant la concentration en nitrate d’ammonium, nous avons pu accélérer la croissance des hétéroagrégats du système GB1,7 ([NH4NO3] = 1 mM). Pour des forces ionique plus élevées ([NH4NO3] = 40 mM), nous avons observé la forte proportion d’homoagrégation dans les systèmes GB1,7. Nous avons validé ces

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résultats grâce au calcul des interactions entre les partic ules à partir du modèle DLVO.

Les propriétés texturales de ce système confirme nt la genèse d’une porosité spécifique à l’hétéroagrégat. Nous avons démontré la présence de deux domaines poreux qui peuvent être contrôlés par ajustement du taux de recouvremen t.

La déshydratation des interfaces goethite – brookite durant le vieillissement a été mise en évidence par spectroscopie Mössbauer. Ce phénomène intervient parallèlement à la stabilisation des hétéroagrégats.

Enfin, la caractérisation fine de la conformation des hétéroagrégats par MET -HR et tomographie électronique suggère des zones d’adhésion préférentielle. Les faces cristallographiques émergeantes concernées correspondent aux faces les plus chargées d’après le modèle MUSIC2. Les reconstructions par tomographie électronique nous ont également permis de caractériser finement la morphologie et la dimension des pores formés par hétéroagrégation.

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Références bibliographiques :

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