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La signification du principe

PARAGRAPHE I : Le principe de non-refoulement

A. La signification du principe

226. Le principe de non-refoulement signifie que si des persécutions sont à redouter de la part de n’importe quel Etat de destination, les Etats contractants s’engagent à ne pas y renvoyer les réfugiés concernés758 (1). Le cas échéant, ils conservent l’alternative de les renvoyer vers un pays dit sûr (2).

1) Le non-refoulement justifié par la crainte de persécutions

227. Afin d’accorder le statut de réfugié aux personnes qui demandent l’asile et pour éviter de renvoyer ces personnes vers un pays dangereux pour leur vie ou leur liberté, les Etats doivent examiner les demandes au fond. Un pays à risque peut être l’Etat d’origine de l’intéressé ou un autre territoire ou Etat dont celui-ci pourrait craindre des persécutions ou qu’il le renvoie vers son pays d’origine.

228. Il n’y a pas de définition communément admise de la notion de persécution. Néanmoins, les termes de l’article 33 § 1 de la Convention nous donnent des indications claires, quoique partielles. Par rapport à ce texte, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) précise que « l’interprétation de la notion de persécution ne saurait

être uniforme » et que, dès lors, « la question de savoir si d’autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas »759. Sur ce point, il précise que « le caractère subjectif de la crainte d’être persécuté

implique une appréciation des opinions et des sentiments de l’intéressé »760.

Les craintes peuvent être personnelles ou « liées à l’appartenance » à un certain groupe ; autrement dit, à défaut de pouvoir invoquer des craintes liées à l’appartenance à un

758 Le libellé de l’article 33 ne vise pas l’extradition, pourtant il est généralement admis, et la pratique des Etats le montre, que le principe de non-refoulement protège les réfugiés contre leur extradition vers leur pays d’origine.

759 Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour

déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut de réfugiés, Genève, 1992, § 52. Ce guide fut pour la première fois édité en 1979.

groupe social, ethnique ou encore religieux, les réfugiés doivent faire état de « craintes

personnelles de persécution »761.

229. Définir le critère d’“appartenance à un certain groupe social” n’est pas chose aisée. La Convention de Genève ne donne aucune explication sur cette notion mais le Haut Commissariat indique qu’elle signifie généralement l’appartenance « à un groupe ayant la

même origine et le même mode de vie ou le même statut social [et que] la crainte d’être persécuté du fait de cette appartenance se confondra souvent en partie avec une crainte d’être persécuté pour d’autres motifs, tels que la race, la religion ou la nationalité »762. De la même manière, aux Etats-Unis, le Board of Immigration Appeals a tenté de cerner cette notion. Il a en effet estimé qu’ « être membre d’un certain groupe social signifie être membre

d’un groupe de personnes qui partagent une caractéristique commune et immuable. Cette caractéristique commune peut être innée comme le sexe, la couleur ou les liens familiaux, ou dans quelques circonstances il peut s’agir d’une expérience passée en commun telle qu’une expérience de dirigeant militaire (…). [Elle est] une caractéristique que les membres du groupe ne peuvent changer, ou ne devraient pas être obligés de changer car elle est fondamentale à leur identité personnelle ou à leur conscience »763.

Dans la pratique, les Etats concluent rarement à la persécution de groupe. Toutefois, en 1951 lors de la Conférence de Genève, l’accent fut mis sur la nécessité de protéger les individus faisant partie de « groupes persécutés » tels les juifs et les communistes764. Aussi, la jurisprudence américaine a décidé d’élargir la notion d’“appartenance à un certain groupe social” permettant ainsi « l’acceptation des [revendications] spécifiquement féminines et des

personnes homosexuelles »765.

761 ALLAND (D.) et TEITGEN-COLLY (C.), Traité du droit de l’asile, op. cit., supra note n° 741, p. 348-350.

762 Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour

déterminer le statut de réfugié…, op. cit., supra note n° 759, pt. 77.

763 Board of Immigration Appeals, Matter of Acosta, Int. Dec. 2986, 9 mars 1985, 19 I. & N.Dec. 211, in 77 Int. Rel. 1285 du 1er septembre 2000 : décision citée par GOLESTANIAN (M.), Réfugiés, vers un élargissement

progressif de la notion de « certain groupe social » - « Particular Social Groupe » aux Etats-Unis », RDIDC,

2001, n° 4, pp. 325-339, p. 326.

764 ALLAND (D.) et TEITGEN-COLLY (C.), Traité du droit de l’asile, op. cit., supra note n° 741, p. 348.

765 GOLESTANIAN (M.), Réfugiés, vers un élargissement progressif de la notion de « certain groupe

social »…, loc. cit., p. 327. L’auteur indique que les revendications spécifiquement féminines sont celles fondées

« sur la violence domestique à l’égard des femmes, sur la mutilation génitale des femmes ou tout simplement sur

230. Les agents de persécution sont généralement les autorités de l’Etat, mais, comme l’indique le HCR, les persécutions peuvent être aussi « le fait de groupes de la population qui

ne se conforment pas aux normes établies par les lois du pays »766. Il peut s’agir d’ « intolérance religieuse, allant jusqu’à la persécution, dans un pays par ailleurs laïc mais

où d’importantes fractions de la population ne respectent pas les convictions religieuses d’autrui. Lorsque des actes ayant un caractère discriminatoire grave ou très offensant sont commis par le peuple, ils peuvent être considérés comme des persécutions s’ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d’offrir une protection efficace »767. En 2004, le Conseil de l’Union européenne a adopté une directive posant les conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour bénéficier du statut de réfugié768. Il a prévu, conformément à la Convention de Genève, que les auteurs des persécutions peuvent être, outre l’Etat et les partis ou organisations contrôlant l’Etat, « des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que [l’Etat ou les partis], y compris

les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions (…) »769. Le Conseil définit aussi ce qu’il faut entendre par « appartenance à un certain groupe social » : on est en présence d’un tel groupe lorsque « ses

membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentiel pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce (…) »770. Cette définition est très proche de celle proposée par le Board of Immigration Appeals. Le Conseil précise même que la caractéristique commune peut être une orientation sexuelle.

766 Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour

déterminer le statut de réfugié…, loc. cit., pt. 65.

767 Ibid.

768 Directive n° 2004/83/CE du Conseil, 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, JOUE n° L 304 du 30 septembre 2004, p. 12.

769 Id., article 6. Dans une position commune sur l’application harmonisée de la définition du terme de réfugié, il avait déjà été considéré que « les persécutions commises par des tiers sont comprises dans le champ

d’application de la Convention de Genève lorsque, en se fondant sur les motifs de l’article 1, A de la Convention et en ayant un caractère personnalisé, les pouvoirs publics les encouragent ou les autorisent » : position

commune citée par DE BRUYCKER (P.), D’un système européen d’asile vers un droit européen des réfugiés, in CARLIER (J.-Y.) et VANHEULE (D.), Europe and Refugees. A Challenge ? L’Europe et les réfugiés : un

défi ? », La Haye, Kluwer Law International, 1997, 280 p., sp. pp. 159-185.

231. Si les Etats ne peuvent pas expulser ou refouler les réfugiés vers un Etat ou un territoire où ils risquent d’être persécutés, il leur est toujours possible de les éloigner vers un Etat tiers sûr.

2) La possibilité de renvoi vers un “pays tiers sûr”

232. A défaut de pouvoir maintenir un réfugié sur son territoire pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public, l’Etat d’accueil peut le renvoyer vers un autre Etat que celui dont il craint des persécutions. L’article 33 n’interdit pas de refouler un réfugié vers un Etat où sa vie et sa liberté ne sont pas menacées. A partir de ce constat, les Etats ont développé la notion de “pays tiers sûr”. Le problème est que cette dernière n’a ni fondement juridique, ni définition rendant possible un encadrement de son utilisation par les Etats d’accueil, puisqu’elle n’est guère prévue dans le texte de la Convention de Genève. Le Comité exécutif du HCR a simplement précisé qu’un renvoi vers un pays tiers est autorisé « si le réfugié est

protégé dans ce pays contre des mesures de refoulement »771 et s’il lui est permis d’y demeurer tout en étant « traité conformément aux normes humanitaires »772. Il n’en reste pas moins que la marge d’appréciation des Etats quant à la détermination des pays tiers sûrs n’est pas limitée, ce qui se traduit évidemment par des variations d’un pays à un autre. Les Etats membres de l’Union européenne sont toutefois considérés comme respectant le principe de non-refoulement, et donc comme des pays sûrs773.

233. Les réfugiés reconnus comme tels par un Etat donné en application de la Convention de 1951 ne sont pas les seuls à bénéficier du principe de non-refoulement.

771 Source : Amnesty International, « La protection des réfugiés en droit international », op. cit., supra note n° 744.

772 Ibid.

773 Quoique cette idée, que la Commission européenne des droits de l’homme partageait (voy. par exemple Comm.EDH, décision du 12 janvier 1998, Luis Iruretagoyena c. France, req. n° 32829/96), semble être remise en cause par la Cour européenne dans sa décision du 7 mars 2000, T. I. contre Royaume-Uni, req. n° 43844/98,