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Les bénéficiaires du principe autres que les réfugiés

PARAGRAPHE I : Le principe de non-refoulement

B. Les bénéficiaires du principe autres que les réfugiés

234. Le principe de non-refoulement ne s’applique pas qu’aux réfugiés reconnus comme tels par un Etat donné. Il bénéficie également aux réfugiés considérés comme tels par un autre Etat. De même, il est applicable aux demandeurs d’asile tant qu’il n’a pas été statué sur leur demande d’asile, pour ne pas préjuger de l’issue de celle-ci. Les demandeurs d’asile sont des réfugiés potentiels, c’est-à-dire des personnes n’ayant pas obtenu le statut de réfugié dans un Etat donné mais cherchant à l’obtenir. Les Etats ainsi que le Haut Commissariat pour les réfugiés en ont décidé ainsi afin de ne pas priver le principe de non-refoulement de son effet utile.

Les demandeurs d’asile bénéficient de ce principe alors même qu’ils réclament protection à la frontière d’un Etat. Ce dernier aura, par conséquent, pour obligation d’entendre et de répondre à leurs demandes. A l’origine, cette règle n’allait pourtant « pas de soi en

raison du flou sémantique »774 entourant le terme de refoulement. Les rédacteurs de la Convention de Genève avaient appréhendé la notion sur la base de sa signification anglaise, selon laquelle le refoulement implique d’avoir été physiquement présent sur le territoire de l’Etat d’accueil775. Puis, après l’adoption de la Convention, l’interprétation a évolué dans un sens plus large et plus respectueux de l’esprit du texte de 1951. L’Assemblée générale des Nations Unies a par exemple, dans une déclaration sur l’asile territorial, rappelé que l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que « Devant la persécution,

toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays », et

recommandé à ce titre qu’ « aucune personne (…) ne sera soumise à des mesures telles que le

refus d’admission à la frontière ou, si elle est déjà entrée dans le territoire où elle cherchait asile, l’expulsion ou le refoulement vers tout Etat où elle risque d’être victime de persécutions »776. Surtout, à plusieurs reprises, le Comité exécutif du HCR rappela

774 ALLAND (D.) et TEITGEN-COLLY (C.), Traité du droit de l’asile, op. cit., supra note n° 741, p. 229.

775 Ibid.

776 C’est nous qui soulignons. Résolution 2312 (XXII) de l’Assemblée générale des Nations Unies, 14 décembre 1967, « Déclaration sur l’asile territorial », U.N. Doc. A/6716 (1967). Cette déclaration, ainsi que

la Convention de Genève de 1951, ont inspiré l’article 2 § 3 de la Convention de l’OUA régissant les aspects

propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, adoptée le 10 septembre 1969 et entrée en vigueur le 20 juin 1974, qui prescrit que « Nul ne peut être soumis par un Etat membre à des mesures telles que le refus

d’admission à la frontière, le refoulement ou l’expulsion qui l’obligeraient à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées pour les raisons [tenant à sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social et ses opinions politiques] ».

l’importance d’une application de ce principe à la frontière. Dans une Conclusion de 1977, il souligne “the fundamental importance of the observance of the principle of non-refoulement –

both at the border and within the territory of a State” 777. Ultérieurement, d’autres normes internationales, comme le règlement du Conseil de l’Union européenne du 18 février 2003 concernant les règles de détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile, affirmèrent l’applicabilité du principe de non-refoulement tant pour les demandes d’asile présentées sur les territoires que celles présentées aux frontières778.

235. Toujours en faveur de ce champ d’application du principe de non-refoulement, E. LAUTERPACHT et D. BETHLEHEM, chargés par le HCR d’examiner la portée et le

contenu du principe de non-refoulement en droit international, développèrent l’argument d’après lequel l’article 33 § 1 de la Convention de Genève ne prévoit pas de limite géographique à ce principe. Ils rapportèrent que “conduct amounting to rejection at the

frontier, as also in transit zones or on the high seas, will in all likelihood come within the jurisdiction of the State and would engage its responsibility. As there is nothing in Article 33 § 1 of the 1951 Convention to suggest that it must be construed subject to any territorial limitation, such conduct as has the effect of placing the person concerned at risk of persecution would be prohibited ”779.

236. On ne peut toutefois pas ignorer la multiplication des cas d’afflux massifs de personnes déplacées et les lourds problèmes qui en découlent pour les Etats de destination. Néanmoins, le texte de l’article 33 § 1 de la Convention n’exclut pas l’application du principe de non-refoulement aux situations d’afflux massif. Comme le rappellent E. LAUTERPACHT et D. BETHLEHEM, “the requirement to focus on individual circumstances (...) must not be

777 Conclusion n° 7 (XXVIII) (1977) du Comité exécutif du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, citée par LAUTERPACHT (E.) (Sir) et BETHLEHEM (D.), The scope and content of the principle of

non-refoulement : Opinion, 2001, disponible sur http://www.unhchr.ch/.

Traduit par nous : « l’importance fondamentale du respect du principe de non-refoulement – à la fois à la

frontière et sur le territoire d’un Etat ».

778 Cf. l’article 3 du règlement n° 343/2003 du Conseil, 18 février 2003, op. cit., supra note n° 756 : « Les Etats

membres examinent toute demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers à l’un quelconque d’entre eux, que ce soit à la frontière ou sur le territoire de l’Etat membre concerné ».

779 LAUTERPACHT (E.) (Sir) et BETHLEHEM (D.), The scope and content of the principle of

non-refoulement: Opinion, 2001, pt. 83, disponible sur http://www.unhchr.ch/.

Traduit par nous : « la conduite équivalant à un rejet à la frontière, comme dans les zones de transit ou en haute

mer, entrera selon toute vraisemblance dans le cadre de la juridiction de l’Etat et engagerait sa responsabilité. Comme rien dans l’article 33 § 1 de la Convention de 1951 ne suggère qu’il doit être interprété sous réserve d’une quelconque limitation territoriale, une telle conduite ayant pour effet de placer la personne concernée face à un risque de persécution serait prohibée ».

taken as detracting in anyway from the application of the principle of non-refoulement in cases of the mass influx of refugees or asylum seekers. (...) The words of Article 33 § 1 give no reason to exclude the application of the principle to situations of mass influx. On the contrary, read in the light of the humanitarian object of the treaty and the fundamental character of the principle, the principle must apply unless its application is clearly excluded”780.

Ces situations d’afflux massif ont pris des proportions importantes ces dernières années en Europe. L’Union européenne a donc été amenée à prendre des dispositions particulières permettant de faire face à ce phénomène. A cet effet, le Conseil de l’Union a adopté, sur la base de l’article 63 § 2 du TCE, des mesures applicables aux personnes déplacées ne pouvant rentrer dans leur pays d’origine et affluant de façon massive aux portes de l’Union. Est ainsi intervenue la directive sur les normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées781. Cette directive repose sur la solidarité entre les Etats membres782. Elle prévoit que si le Conseil décide de mettre fin à la protection temporaire, il se fonde « sur la constatation que la situation dans le pays

d’origine permet un retour sûr et durable des personnes » qui en ont bénéficiée « dans le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que des obligations des Etats membres en matière de non-refoulement »783. De plus, la directive prévoit que le retour

780 Id., pt. 103. Traduit par nous : « l’exigence consistant à prendre en considération les circonstances

individuelles (…) ne doit pas être intreprétée comme réduisant d’une manière ou d’une autre l’application du principe de non-refoulement dans les cas d’afflux massif de réfugiés ou de demandeurs d’asile. (…) Les termes de l’article 33 § 1 ne donnent aucune raison d’exclure l’application du principe aux situations d’afflux massif. Au contraire, lu à la lumière de l’objectif humanitaire du traité et du caractère fondamental du principe, celui-ci doit s’appliquer à moins que son application ne soit clairement exclue ».

781 Directive n° 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, JOCE n° L 212 du 7 août 2001, p. 12. Les personnes déplacées sont « les

ressortissants de pays tiers ou apatrides qui ont dû quitter leur pays ou région d’origine ou ont été évacués, notamment à la suite d’un appel lancé par des organisations internationales, dont le retour dans des conditions sûres et durables est impossible en raison de la situation régnant dans ce pays (…) ».

La protection temporaire ne préjuge pas de la reconnaissance du statut de réfugié au titre de la Convention de Genève. Les personnes déplacées peuvent en effet relever du champ d’application de cette convention.

782 Pendant longtemps, la question des réfugiés fut appréhendée comme un fardeau, voy. par exemple les termes employés par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa déclaration de 1967 précédemment citée (note n° 776): « Lorsqu’un Etat éprouve des difficultés à donner asile, les Etats doivent (…) envisager les mesures qu’il y

aurait lieu de prendre (…) pour soulager le fardeau de cet Etat ».

783 Article 6 § 2 de la directive n° 2001/55/CE précitée. Les termes du Conseil doivent être entendus comme rappelant aux Etats leurs obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 33 de la Convention de Genève puisque, dans ses amendements du texte proposé par la Commission, le Parlement européen faisait référence pour cet article 6 § 2 à ces deux conventions (voir la proposition présentée

forcé des personnes dont la protection temporaire a pris fin doit se dérouler dans le respect de la dignité humaine. Aussi, tant que leur état de santé le réclame, « par exemple si elles

devaient pâtir gravement d’une interruption de leur traitement, (…) ces personnes ne sont pas éloignées »784.

237. Certains ressortissants d’Etats tiers et apatrides, qui sont demandeurs d’asile mais ne remplissent pas les critères permettant d’obtenir le statut de réfugié, peuvent se réclamer d’un autre type de protection internationale. L’Union européenne prévoit que ces personnes peuvent bénéficier d’une protection subsidiaire si leur vie ou liberté est gravement menacée en raison par exemple de conflit armé interne ou international785. Les Etats membres ont à l’égard des bénéficiaires de cette protection internationale l’obligation de respecter « le

principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales »786.

238. Le principe de non-refoulement prévu à l’article 33 § 1 de la Convention de Genève n’est pas absolu. En effet, l’Etat de refuge peut, en application de l’article 33 § 2, décider de renvoyer le réfugié aux frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée, lorsqu’il y a des raisons sérieuses de le considérer comme un danger pour la sécurité du pays ou lorsqu’il constitue une menace pour la communauté de ce pays.