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LA LÉGITIMITÉ DE L’EXPULSION

55. Pour J. RIVERO, « au cœur du concept de droits de l’homme, il y a l’intuition de

l’irréductibilité de l’être humain à tout son environnement social »211. L’être humain bénéficie des Droits de l’Homme en tant que tel, indépendamment de son origine ou de son appartenance à un groupe particulier. Autrement dit, pour reprendre R. HIGGINS, les « droits

de l’homme sont des droits que l’on a pour la simple raison que l’on est un être humain »212. Leur “universalité supposée” résulterait de l’idée que ces droits sont immuables et attachés à tout être humain, quel qu’il soit.

L’idée d’une application universelle de ces droits est expressément consacrée tant dans certains droits nationaux qu’en droit international. En France, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame sans équivoque que « les hommes

naissent et demeurent libres et égaux en droits ». En ce sens, « les hommes » ne sont pas

seulement les citoyens français mais tous les êtres humains213. En ce qui concerne les instruments internationaux, on peut rappeler qu’en se référant à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, proclamée le 10 décembre 1948, la Convention européenne des droits de l’homme s’applique « sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la

couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation » (article 14). La Convention européenne ne reprend donc pas la théorie classique de

la nationalité214. Dans le même sens, le préambule de la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969 prévoit que « les droits fondamentaux de l’homme ne découlent

pas de son appartenance à un Etat donné, mais reposent sur les attributs de la personne humaine »215.

211 RIVERO (J.), Rapport général, in « Les droits de l’homme, droits collectifs ou droits individuels ? », Colloque de Strasbourg – 1979, actes publiés chez Paris, LGDJ, 1980, 220 p., p. 23.

212 HIGGINS (R.), Problems and Process, International Law and how We use it, Oxford : Clarendon press, 1995, 274 p., p. 96.

213 LOCHAK (D.), L’étranger et les droits de l’homme, in Mélanges offerts au Professeur R. E. Charlier, « Service public et libertés », Paris, Editions de l’Université et de l’enseignement moderne, 1981, 895 p., pp. 615-633, p. 621. De nombreuses études abordent le problème des destinataires des droits fondamentaux : voir par exmeple TCHEN (V.), Recherche sur les droits fondamentaux de l’étranger, LPA, 22 mai 1995, n° 61, pp. 4-13.

214 Sur les caractéristiques propres de cette Convention, voy. LAMBERT (H.), La situation des étrangers au

regard de la Convention européenne des Droits de l’Homme, Dossier sur les droits de l’homme n° 8 révisé,

Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2001, 80 p., pp. 7-11.

215 La Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969 est entrée en vigueur le 18 juillet 1978.

Curieusement, seul le continent asiatique ne dispose pas de convention régionale proclamant les droits de l’homme. Cette particularité des Etats d’Asie tend du même coup à affaiblir, sinon à relativiser cette universalité

Toutefois, les droits de l’homme doivent être reconnus par le pouvoir étatique pour que leur protection soit assurée216. En effet, ils doivent faire partie du droit positif de chaque Etat pour que les individus puissent en réclamer le respect. Certains Etats ont l’obligation, découlant de leurs engagements internationaux, de prendre en compte les droits de l’homme dans leur système juridique217.

56. Il existe des conventions venant garantir le respect de droits au seul bénéfice des femmes ou des enfants, mais aucun texte analogue consacrant les droits des étrangers218. Un tel texte serait d’ailleurs voué à l’échec à partir du moment où, issu de la volonté des Etats, son contenu serait contrôlé par ces derniers219. En effet, il est probable qu’il prévoirait peu de droits et n’énoncerait que de simples principes220.

Jusqu’à aujourd’hui, les Etats n’ont montré aucune intention d’adopter un texte international qui, au minimum, concéderait des droits aux étrangers. De plus, ce type d’engagement serait fragile puisque les Etats auraient la possibilité de le dénoncer à tout moment221.

des droits de l’homme proclamée par les nations occidentales. Voir sur ce sujet ROULAND (N.), La doctrine

juridique chinoise et les droits de l’homme, RUDH, 1998, n° 1-2, pp. 1-26 ; VALTICOS (N.), Universalité et relativité des droits de l’homme, in Mélanges en hommage à L.-E. Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, 791 p.,

pp. 737-750, sp. p. 742 ; ainsi que l’ouvrage suivant : ANGLE (S.C.), Human Rights in Chinese Thought. A

Cross-Cultural Inquiry, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 2002, 304 p. La Déclaration universelle

des droits de l’homme, qui incarne cette universalité, est d’inspiration européenne ; et dire, comme l’a affirmé René CASSIN, qu’elle est « universelle » (CASSIN (R.), L’homme sujet de droit international et la protection

universelle de l’homme, in Mélanges Georges Scelle, « La technique et les principes du droit public », Paris,

LGDJ, 1950, tome 1, 457 p., p. 77) revient à considérer que la position occidentale « doit » s’étendre à l’ensemble des Etats. Le Professeur F. SUDRE, reprenant les termes de P. WASCHMANN, estime, au contraire, que « les droits de l’homme sont un universalisme (ils s’adressent à tous les hommes, sans distinction) » mais « ils ne sont pas universels » : cf. SUDRE (F.), Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, PUF, collection « Droit fondamental », 2003, 6ème édition, 665 p., pp. 42-45, et WASCHMANN (P.), Les droits

de l’homme, Paris, Dalloz, collection « Connaissance du droit », 1999, 3ème édition, p. 50.

216 LOCHAK (D.), L’étranger et les droits de l’homme, op. cit., supra note n° 213, p. 615.

217 Pour une réflexion plus large, voy. BEDJAOUI (M.), La difficile avancée des droits de l’homme vers

l’universalité, RUDH, 1989, p. 5. Voir aussi Conseil de l’Europe, Colloque de Strasbourg sur « L’universalité des droits de l’homme dans un monde pluraliste » organisé en collaboration avec l’Institut international des

droits de l’homme, 17 et 19 avril 1989, actes publiés chez N. P. Engel, 1990, 193 p.

218 Certains auteurs parlent de « morcellement de l’homme » : voir surtout MOURGEON (J.), Les droits de

l’homme, Paris, PUF, Que sais-je ? , n° 1728, 2003, 8ème édition, 127 p., p. 54. Il existe bien des textes traitant de l’asile ou de l’apatridie, mais ils ne s’adressent de fait qu’à une partie et non à l’ensemble des étrangers.

219 BEAUD (O.), Propos inactuels sur le droit d’asile : asile et théorie générale de l’Etat, LPA, 13 octobre 1993, n° 123, pp. 18-21.

220 TCHEN (V.), Recherche sur les droits fondamentaux de l’étranger, op. cit., supra note n° 213, p. 5.

Le droit international positif considère que les étrangers sont destinataires de droits fondamentaux. Toutefois, les législateurs nationaux demeurent exclusivement compétents pour préciser la portée de ces droits222. Par ailleurs, le droit international, même régional, limite l’étendue de certains droits en permettant aux Etats d’y apporter des restrictions pour des raisons touchant à l’ordre public, à la sécurité nationale ou à la santé publique. Les Etats conservent donc certaines de leurs prérogatives de puissance publique dans ce domaine. Pour autant, les obligations des Etats sont de plus en plus nombreuses. Les instruments internationaux et les organes internationaux de protection des droits de l’homme sont toujours plus protecteurs des individus et tendent, pour une partie d’entre eux, à assimiler davantage certains étrangers aux nationaux. Surtout, les exigences tirées de l’ordre public sont nettement encadrées afin de limiter les marges de manœuvre des Etats et d’éviter ainsi les abus.

57. Si les considérations d’ordre sécuritaire se durcissent depuis quelques années dans les législations nationales et le droit de l’Union européenne, la même sévérité est de rigueur dans la jurisprudence des organes internationaux et européens de contrôle eu égard au respect des droits et des libertés des individus.

Le droit international offre des garanties minimales aux étrangers expulsés, la mesure d’expulsion devant être légitimement motivée et rigoureusement proportionnée (Titre I). Quel que soit le motif de l’expulsion, le pouvoir de l’Etat est encadré dans le souci de protéger au mieux les droits et libertés individuels (Titre II).

TITRE PREMIER