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Le mémento rédigé à l'intention des fonctionnaires, maires ou employés de mairie, présente les attributions du 3° bureau de la 4° division de la préfecture du Rhône qui assure le "contrôle des étrangers en résidence dans le Rhône"206. Le sommaire suffira ici : il s'agit de procéder à la "délivrance et au renouvellement des cartes d'identité", à la rédaction de "toute la correspondance générale concernant le contrôle des étrangers", enfin à l'instruction des demandes de naturalisation ou de réintégration, avant l'envoi du dossier au Ministère pour décision puis notification aux intéressé-e-s de la décision prise par la Chancellerie.

La délivrance et le renouvellement des cartes d'identité, ou la demande d'autorisation de résidence dans le département sont des démarches administratives qui entrainent l'ouverture d'un dossier appelé cg, c'est-à-dire de contrôle général. À côté des dossiers cg, figurent les dossiers De, que l’on traduit comme demande d'expulsion, faute d'avoir trouvé l'intitulé exact. Ce type de dossier est ouvert notamment lorsque le procureur de la République informe la préfecture que des étranger-ère-s ont été condamné-e-s. Dans ce cas, le service des étrangers procède à l'ouverture d'un dossier pour les étranger-ère-s passibles d'expulsion. Dès lors, un nouveau numéro est attribué. C'est le cas d'Hélène A. veuve Kus.207 Un premier dossier cg est ouvert lorsqu'elle demande le renouvellement de sa carte d'identité. À la suite de sa

205 Entretien entre Didier Epelbaum et Mme Hertz-Huberland, 1995, cité dans EPELBAUM Didier, Les enfants

de papier. Les Juifs immigrés de Pologne en France jusqu'en 1940. Paris : Grasset, 2002, p. 368. note 2.

206 ADR, 4 M 422. Statistiques des cartes délivrées (1938) ; états statistiques en vue de la mobilisation (1939) ; états nominatifs des étrangers refoulés par les autorités allemandes de la zone occupée (1940).

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condamnation à 15 jours de prison et cinquante francs d'amende pour fraude alimentaire (mouillage de lait), un dossier De est ouvert ; tous les papiers du précédent y sont transférés. Cette répartition semble toute théorique dans la période qui nous occupe car les deux procédures se trouvent généralement réunies dans un même dossier, en ce sens que le dossier

d'étrangers détenus passibles d'expulsion est inclus dans le dossier de contrôle général.

Le contenu

On le sait, "l’archive est un objet produit, un point d'arrivée".208 Certains documents peuvent avoir été conservés, d’autres éliminés, et la lecture en être d’autant modifiée, orientée. Cette conscience d’être en présence d’un produit fini trouve son équilibre lorsqu’il est fait usage des mots griffonnés en marge des décisions officielles.209 Ces petites annotations permettent de comprendre le cheminement interne d’un dossier, les motifs qui ont présidé aux décisions et contrebalancent la potentialité de recourir à une archive filtrée.

Les dossiers conservés aux archives départementales du Rhône varient quant à leur contenu. De quelques feuillets à plusieurs dizaines de documents, parfois répétitifs lorsqu'il s'agit de renouveler une demande d'autorisation de résidence dans le département au terme de chaque mois, ou tous les trois mois, certains se décortiquent facilement, tandis que d'autres nécessitent de s'y plonger à plusieurs reprises afin de reconstituer, de réorganiser l'ensemble des données pour les rendre accessibles à l'interprétation.

Schématiquement, quatre types de documents sont conservés.

• En premier lieu, les documents officiels produits dans le cadre de la gestion administrative de la présence des étrangers-ères sur le territoire français. Outre les enquêtes effectuées sur requête de l'Intendant de police en charge de l'instruction d'une demande formulée par un étranger-ère (demande d'autorisation de séjour, demande de renouvellement de carte d'identité, etc.), on trouve des imprimés tels des récépissés de demandes de carte d'identité avec photo le plus souvent, des permis de séjour dans le département, des passeports, mais également des arrêtés d'expulsion. Ces documents fournissent de précieux éléments quant au parcours de vie des étranger-ère-s.

208 OFFENSTADT Nicolas, Archives, documents, sources. DELACROIX C., DOSSE F., GARCIA P., OFFENSTADT N., Historiographies, I. Concepts et débats. Paris : Gallimard, 2010, p. 77.

209 LAURENS Sylvain, Les agents de l’État face à leur propre pouvoir. Éléments d’une microanalyse des mots griffonnés en marge des décisions officielles. Genèses, 2008, volume 3, n° 72, pp. 26-41.

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• Le second type de documents relève de la gestion policière de la présence des étranger-ère-s, propre à la période de la guerre. Il s'agit de procès-verbaux de police ou de gendarmerie suite à l'arrestation d'une personne, de notices "FCLD" c'est-à-dire

franchissement clandestin la ligne de démarcation, de listes de personnes assignées à résidence dans un autre département, de listes d'"étrangers israélites à diriger avant le […] sur le département de […]", de "déclaration qui doit être formulée par tout israélite établi ou réfugié en France depuis le 1er janvier 1936", de "notices individuelles d'un étranger proposé pour l'internement", de fiches de criblage pour l'incorporation dans un GTE,210 de bulletins "de recherche d'un TE211 ayant abandonné son poste [qui] doit être dirigé sur le plus proche groupe de discipline", etc. La valeur de ces documents dans l'analyse des parcours de vie est incontestable.

• Un troisième type de document regroupe les lettres qui ont déjà été évoquées et l’importance de la correspondance dans la problématique de ce sujet d'étude n'est plus à démontrer. Elles seront reproduites en l’état, sans que les erreurs d’orthographe ne soient accompagnée d’un « sic », afin de ne pas alourdir le texte.

• Le dernier type de documents correspond aux certificats qui tiennent une place à part dans la mesure où ils émanent de différentes autorités. Ce peuvent être des certificats de scolarité, d'immatriculation dans une université, d'hébergement, d'embauche en vue d'obtenir une autorisation de séjour. Il peut aussi s’agir de certificats médicaux qui attestent que l’état de santé de la ou du malade ne lui permet pas de quitter son domicile et qu’il-elle ne peut donc quitter le département comme l’administration l’exige, des certificats de libération d'un camp d'internement français comme celui de Gurs à la suite de la décision d'une commission de criblage, des certificats d’appartenance à la Résistance au sortir de la guerre, etc. En ce qui concerne la population polonaise, on peut trouver des certificats de dénationalisation pour les Juif-ve-s polonais-es à l'étranger depuis plus de cinq ans selon la loi polonaise du 31 mars 1938, des certificats émis par le Bureau d'administration des Polonais en France ou par le Groupement d’Assistance des Polonais en France (GAPF) qui attestent de la régularité de leur séjour ou de leur statut d'employé de ladite organisation GAPF. Les étranger-ère-s qui les présentent aux autorités administratives en attendent toujours beaucoup. Ils sont donc eux aussi révélateurs de stratégies.

210 Groupe de travailleurs étrangers

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À propos de ces dossiers et de l’administration française, Andrzej Bobkowski écrit dans son journal à la date du 23 janvier 1942 : "La bureaucratie française consigne la biographie de chaque citoyen […]. Elle enregistre les étapes successives de leur vie sur des dizaines de formulaires et de procès-verbaux qu’elle classe dans les archives. Quand on en a le temps, que la vie n’est pas suspendue à un fil comme le couperet de la guillotine, on peut chercher et ressusciter des individus et des faits, mêmes secondaires, que personne ne connaît, souvent plus intéressants et plus parlants que le reste. […] D. habitait à tel endroit, et non pas à tel autre comme pourrait le faire croire la plaque commémorative apposée. Son appartement était meublé de telle et telle manière, comme le précise le procès-verbal établi lors de la mise sous scellés".212

On l'aura compris, les dossiers de contrôle des étrangers jouent un rôle de premier plan dans ma démarche. Pourtant, il faut se garder de croire que cet échantillon est l'exact reflet de la présence des étranger-ère-s dans le département. La base n'est pas exhaustive, peut-être du fait d'un versement incomplet, assurément du fait de la non-déclaration par les étranger-ère-s de leur arrivée à Lyon. Il a fallu chercher à compléter le plus systématiquement possible les connaissances recueillies sur les ressortissant-e-s polonais-es de l’échantillon.

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