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Selon Jehuda Bauer,482 en 1933, 98 787 des quelque 500 000 Juif-ve-s en Allemagne sont d’origine étrangère, parmi lesquel-le-s il y aurait 56 480 Juif-ve-s polonais-es, soit 11,3 % de cette population. D’autres sources relevées donnent une proportion de 40 % de Juif-ve-s d’Europe de l’Est parmi les réfugié-e-s d’Allemagne, dont une majorité de Juif-ve-s polonais-es. Ainsi, en octobre 1933, un comité d’accueil et d’aide aux victimes de l’antisémitisme réunissant une cinquantaine de communautés de l’Est de la France inscrit sur ses listes 9 241 réfugié-e-s dont 40 % sont des Juif-ve-s polonais-es et 10 % des apatrides.483 De même en avril 1933, le directeur de la Sûreté nationale en Alsace estime entre 40 et 50 % du total la

480 GRYNBERG Anne, L'accueil des réfugiés d'Europe centrale en France (1933-1939). Les cahiers de la Shoah, 1994, n° 1, pp. 131-148.

481 GRYNBERG Anne, op. cit.

482 BAUER Jehuda, My Brother’s Keeper: A History of the American Jewish Joint Distribution Committee,

1929-1939. Philadelphia : Jewish Publication Society of America, 1974, p. 244. Cité par CARON Vicky, op. cit., p. 507 note 135.

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EPELBAUM Didier, Les enfants de papier. Les Juifs immigrés de Pologne en France jusqu'en 1940. Paris : Grasset, 2002, note 51 page 141.

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part des réfugié-e-s juif-ve-s d’Europe de l’Est.484 Plus que tout autre, les Juif-ve-s polonais-es ont fui l’Allemagne, un pays où ils-ellpolonais-es vivaient parfois depuis de nombreuspolonais-es annépolonais-es, sinon plusieurs générations mais sans jamais en avoir acquis la nationalité.485 Pour autant, leur situation est schizophrénique puisque d’une part les réfugié-e-s d’Allemagne sont alors considéré-e-s par la population française comme des Allemand-e-s et que d’autre part le statut de réfugié-e-s du régime nazi ne peut bénéficier aux Juif-v-es polonais-es puisque de nationalité polonaise. Ce constat demande de poser clairement la question : les Juif-ve-s polonais-es sont-ils-elles des réfugié-e-s ?

Les Juif-ve-s polonais-es sont–ils-elles des

réfugié-e-s ?

1) Situation en Pologne

Le recensement de la population polonaise en 1931 rapporte le chiffre de 31 915 779 habitant-e-s dont 3 113 933 juif-ve-s soit 9,8% de la population.486 En 1939, la population juive dépasse les 3 460 000 personnes ; elle est donc de loin la plus importante d’Europe, et se situe au deuxième rang mondial après les États-Unis. L’histoire de cette présence juive en Pologne est ancienne, pour partie en raison de la tolérance religieuse de l’ancienne Pologne, et également compte tenu des privilèges qui leur sont accordés afin de les inciter à exercer des professions jugées alors indignes par les autochtones : le commerce, la banque et l’artisanat. Aussi, la structure même de la présence juive dans les différents secteurs économiques en 1931 est-elle le reflet de cet enracinement.

484 CARON Vicki, op. cit., p. 42.

485 Sur un total de 5 600 réfugié-e-s juif-ve-s polonaises et apatrides en France à la date du 29 décembre 1933, seulement 1 190 soit 21 % d’entre elles/eux sont nés en Pologne. KRAMARZ M., Les juifs polonais réfugiés d’Allemagne. Univers Israélite, 29 décembre 1933, p. 477.

163 % population totale en 1931 % population juive en 1931 Agriculture 60,6 4 Industrie et artisanat 19,3 42,2 Commerce 6,1 36,6 Transport 3,6 4,5 Éducation et culture 1 2,3 Domesticité 1,5 0,7

Tableau 14 Répartition de la population juive polonaise selon les secteurs économiques, 1931

Ce tableau nous montre que si 60,6 % de la population totale travaille dans l’agriculture, les Juif-ve-s n’y sont que 4,0 %. Par contre, ils-elles sont 42,2 % dans l’industrie et l’artisanat (19,3 % de la population totale) et 36,6 % (6,1 %) dans le commerce.487

On peut donc interpréter l’origine de la question juive en Pologne non comme une question confessionnelle ni raciale, mais sociale. D’une part, ce déséquilibre de la répartition de la population juive dans les différentes branches économiques conduit à la fragilisation des populations concernées : la concentration des Juif-ve-s dans le commerce et l’artisanat entraîne une forte concurrence et dans le même temps, la constitution de quartiers pauvres où vivent des petites gens à la limite de la misère.488 D’autre part, si pendant des siècles la structure sociale de la Pologne a été caractérisée par l’absence de classes moyennes, la formation de celle-ci parmi les catholiques polonais-es dans l’entre-deux-guerres attise les tensions dans la mesure où cette nouvelle classe se heurte à la concurrence juive. Ce qui fait dire à l’ambassadeur de France en Pologne Léon Noël: "Ce qui avait duré pendant des siècles n’était plus supportable".489

Il est avéré que la formation d’une classe moyenne polonaise est de fait soutenue par le gouvernement qui va mener à l’encontre des Juif-ve-s une politique d’exclusion progressive

487 MINCZELES Henri, op. cit., p. 216.

488 Pour une description des conditions de vie de la population juive en Pologne de 1914 à 1939, lire le roman d’ Isaac Bashevis Singer. SINGER Isaac Bashevis, La famille Moskat. Paris : Stock, 2012, 768 pages. (1ère édition en 1950). Pour une vision de ces populations, consulter l’œuvre du photographe américain d’origine russe Roman Vishniac.

489 NOËL Léon, Une ambassade à Varsovie. 1935-1939. L’agression allemande contre la Pologne. Paris : Flammarion, 1946, p. 39.

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des postes du service public et d’éviction de leur rôle d’intermédiaires économiques. Dans le même temps, une nationalisation de certains secteurs traditionnellement tenus par les Juif-ve-s, notamment dans le secteur du tabac et du boiJuif-ve-s, permet de les constituer en monopoles d’État. Enfin, un boycott économique des Juif-ve-s dans le commerce, l’artisanat et les professions libérales se développe. À la veille de la crise de 1929, plus d’un tiers de la population juive vit dans la misère.490 Dans Le Juif errant est arrivé, publié en 1930, Albert Londres fait cette description du quartier juif de Lwow :

"Rue de la Synagogue : n° 1, neuf familles de cinq à huit enfants, criant de froid et de faim et pourrissant sur le plus fumant des fumiers.

N° 2, dix familles, idem.

N° 3, n° 4, des deux côtés de la rue, jusqu’au bout, idem. Idem pour les rues en pente, les rues plates, les impasses. […]

Rue Slonecznej (rue du Soleil), nous descendons dans une cave. Mes compagnons allument leurs bougies et nous rampons. Aucun bruit de voix, trente-deux personnes habitent cependant ces

logements souterrains. Nous poussons une première porte. Où pénétrons-nous ? Nous pataugeons dans la boue. Un soupirail bouché par la neige laisse passer une lumière anémique. L’humidité nous enveloppe déjà de son voile et nous sentons peu à peu le voile plaquer au corps. Nous fouillons l’antre de nos bougies. Deux petits enfants de trois et quatre ans, les mains et les pieds enveloppés de chiffons, mais en chemise, et dont les cheveux, depuis qu’ils eurent le malheur de pousser sur ces têtes, n’ont certainement jamais été peignés, sont debout et grelottants contre un grabat. Il nous semble que le grabat remue. Nous abaissons les bougies. Une femme est là. Dans quoi est-elle couchée ? Dans des copeaux mouillés ? Dans de la paille d’étable ? Je touche, c’est froid, gluant. Ce qui recouvre la femme a dû s’appeler édredon, ce n’est plus qu’une bouillie de plumes et d’étoffe suintant comme un mur. Nous apercevons deux autres têtes dans la bouillie, de tout-petits enfants, quatre mois, quinze mois. […]

Des habitants nous cernent dans le couloir. Nous devons entrer dans chacune des tanières. S’ils sont chez eux l’après-midi, c’est qu’ils n’ont pas d’habits pour aller dans la rue. Un seul est sorti pour tous, avec les souliers de l’un et le caftan de l’autre. Rapportera-t-il de quoi manger un peu ?

[…]

Avec nos dents nous tenons nos mouchoirs sous notre nez. Les Juifs nous montrent la cause de l’épouvantable odeur. Le tout-à-l’égout du quartier passe dans leur demeure, dans la demeure de tous

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ceux de la rue ; plus de trois mille Juifs sont transformés en vidangeurs, car ce n’était pas dans la boue que nous marchions. "491

La situation pour les Juif-ve-s s’aggrave encore à partir de 1935 lorsque le parti d’opposition de la droite nationaliste, Démocratie Nationale ou Endecja, décide de reprendre la lutte pour le pouvoir en misant sur l’antisémitisme afin de conquérir popularité et puissance. Dans la deuxième moitié de 1935, des troubles éclatent dans de nombreuses villes et villages, et en 1936 des émeutes se produisent dans pratiquement tout le pays : attaque des passants, pillages des magasins tandis qu’en Pologne centrale, le caractère organisé de ces émeutes conduit à de véritables pogroms : Grodno en juin 1935, puis Przytyk (mars 1936), Minsk Mazowiecki (juin 1936), Brest-Litovsk (mai 1937), Czestochowa (juin 1937). Dans tous les cas, les autorités ne se manifestent qu’avec modération : en théorie, l’État demeure un État de droit mais en pratique, "les pouvoirs publics laissent se produire de graves atteintes à la légalité et permettent que se propage l’apologie du crime qui plonge le pays dans une atmosphère de guerre civile."492 Après la mort du Maréchal Pilsudski en mai 1935, le nouveau régime au pouvoir dirigé par le maréchal Edward Rydz-Smigly, poussé par la popularité et le succès de leurs adversaires de l’Endecja, se range à leurs idées et engage la Pologne dans une politique officiellement antisémite. La pauvreté devient encore plus insondable. The Jewish Chronicle, un journal anglais, décrit ainsi les Juif-ve-s polonais-es en 1937 : "Une minorité sans défense ayant sombré dans une pauvreté et une misère si sordide qu’on en trouverait assurément aucun autre exemple sur toute la surface de la terre. On s’accorde à dire aujourd’hui qu’un tiers de la population juive se trouve au bord de la famine, qu’un autre tiers lutte simplement pour survivre, tandis que le reste est assez heureux pour se voir assuré un minimum de confort".493

Dans ces conditions, alors que l’insécurité est devenue générale pour les Juif-ve-s, que la Pologne se rapproche de l’Allemagne nazie et développe une législation qui s’en inspire comme par exemple l’instauration des "bancs-ghettos" évoquée précédemment ou encore la création du délit d’"injure à la nation polonaise" dont seuls les Juif-ve-s peuvent se rendre coupables, auquel s’ajoute par la suite celui de "injure au chef d’État ami", c’est-à-dire Adolf Hitler, il est indéniable que la population juive subit des persécutions qui la poussent à se réfugier dans un autre pays. Il ne fait par ailleurs aucun doute que le gouvernement, connu sous le nom de République des Colonels et qui dirige le pays jusqu’en septembre 1939, est en

491 LONDRES Albert, Le juif errant est arrivé. Paris : Serpent à plumes, 2000, pp. 154-155. Pour une description similaire, voir le roman de SINGER Isaac Bashevis, op. cit.,. Voir aussi HELLER Celia S., On the Edge of

Destruction. Jews of Poland between the Two World Wars. Detroit : Wayne State University Press, 1994, p. 209 et 339 ; TOLLET Daniel, Histoire des Juifs en Pologne du XVI° siècle à nos jours. Paris : PUF, 1992, p. 273.

492 KORZEC Pawel, op. cit., p. 247.

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réalité une dictature fasciste, certes à la polonaise, dans la mesure où un régime parlementaire continue d’exister sans que les députés n’exercent de pouvoir. Dans ces circonstances, les Juif-ve-s polonais-es auraient été en droit de bénéficier d’un statut de réfugié-e.

2) Un statut de réfugié-e juif-ve polonais-e ?

En 1936, le colonel Jozef Beck, ministre des Affaires étrangères de Pologne, commence à exiger de la SDN qu’elle inclut les Juif-ve-s d’Europe de l’Est parmi les personnes bénéficiant du statut de réfugié-e-s. En effet, malgré la création d’un Haut-Commissariat pour les réfugiés-e-s (israélites et autres) provenant d’Allemagne à la fin de l’année 1933, jamais les Juif-ve-s d’Europe de l’Est, y compris celles et ceux venant d’Allemagne, n’ont été placés sous la protection de ce Haut-Commissariat.494 Quelles en sont les raisons ? L’explication principale tient justement à la situation des Juif-ve-s de Pologne : selon les responsables politiques, si celles et ceux vivant en Allemagne et s’étant réfugié-e-s en France venaient à obtenir le statut de réfugié-e, ce sont tous les Juif-ve-s de Pologne qui déferleraient vers les démocraties. Or, la France, pas plus que la Grande-Bretagne, ne le veulent, a fortiori encore moins dans la situation de crise économique et de concurrence supposée que les commerçant-e-s, artisan-e-s et membres de professions libérales livreraient aux Français-es.495 Tel est l’esprit de la lettre du préfet Émile Bollaert à propos de Laja Niewiadowski et de son mari : ces gens, soupçonne-t-il, "espèrent profiter de l'accueil réservé aux réfugiés politiques allemands pour venir concurrencer notre industrie nationale".496 L’hypothèse de la crainte d’une invasion est étayée par les déclarations des ambassadeurs français en Pologne qui s’évertuent à dédramatiser la situation en Pologne. Ainsi, Jules Laroche, en poste à Varsovie de 1925 à 1935, déclare en 1934 que les Juif-ve-s qui prétendaient avoir été persécutés en Allemagne ne l’avaient pas été en tant que juif-ve-s mais en tant que dissident-e-s de la gauche, coupables d’avoir fomenté une révolution communiste.497 Son successeur, Léon Noël écrit en 1938 : "Il n’existe pas en Pologne de mouvement antisémite comparable à celui de l’Allemagne et il est invraisemblable que des Polonais israélites aient dû fuir leur pays pour ce motif".498 L’année suivante, il déclare même que "de nombreux polonais, particulièrement des israélites se déclarent victimes de persécutions qui n’existent que dans leur imagination".499 Pourtant, dans le même temps, il multiplie les notes pour attirer l’attention de Paris sur le

494 CARON Vicky, op. cit., pp. 24-25.

495 L’échec de la conférence d’Évian en juillet 1938 en est la preuve : aucun pays ne se décide à ouvrir ses portes pour accueillir les réfugié-e-s juif-ve-s.

496 ADR, 829 W 60, n° 19 499 et 19 500. Lettre du préfet au ministre de l’Intérieur, 19 février 1934.

497 MAE, Europe, Z 433, n° 34, 15 mai 1934, p. 234 ; Z 330, n° 353, 15 mai 1934, pp. 78-83 ; Z 354, 13 août 1934, pp. 16-22.

498 AN, F7 15175, Léon Noël, Consul de France à Varsovie, 5 février 1938.

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développement de l’antisémitisme, comparant les piquets de jeunes nationalistes polonais chargés de faire respecter le boycott des magasins juifs à des SA allemands.500

Il convient de préciser que le refus de la France d’accueillir des réfugié-e-s juif-ve-s ne se limite pas à la seule Pologne : certains observateurs redoutent le même déferlement de Juif-ve-s en provenance de Roumanie et de Hongrie, pays dans lesquels des voix n’ont de cesse d’évoquer le problème juif et sa résolution en poussant les indésirables à partir vers d’autres pays ou continents.501 Ainsi, en septembre 1934, confirmant définitivement sa position à considérer les Juif-ve-s polonais-es réfugié-e-s d’Allemagne, et par extension les Juif-ve-s de Pologne non comme des réfugié-e-s politiques mais comme des réfugié-e-s économiques, le ministère des Affaires étrangères français informe que les Juif-ve-s Est-européen-ne-s n’obtiendraient pas un statut de réfugié-e spécifique.502

Alors que l’antisémitisme en Allemagne et en Pologne rend plus que jamais nécessaire l’accueil des réfugié-e-s, l’Anschluss en mars 1938 exacerbe la situation des Juif-ve-s polonais-es. Cette situation conduit à l’attentat perpétré par Herschel Grynszpan à Paris le 28 novembre 1938 contre le conseiller à l’ambassade d’Allemagne Ernst Von Rath.

3) Le contexte : la loi polonaise de dénationalisation, une réponse à l'Anschluss.

Après l’échec du ministre des Affaires étrangères Jozef Beck à obtenir de la SDN la création d’un statut de réfugié-e pour les Juif-ve-s polonais-es, ce dernier s’oriente vers une solution radicale d’autant que l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne en mars 1938, constitue un précédent urgent : 20 000 Juif-ve-s polonais-es sont installé-e-s en Autriche et l'on ne veut pas les voir revenir en Pologne. Il est donc décidé de leur créer "un maximum de difficultés" et des instructions aux postes consulaires incitent à "faire des chicanes".503 Puis, dans un premier temps, une loi de dénationalisation est adoptée le 31 mars 1938. Elle autorise à déchoir de sa citoyenneté tout-e Polonais-e à l'étranger depuis plus de cinq ans. Si les Juif-ve-s polonaiJuif-ve-s-eJuif-ve-s ne Juif-ve-sont paJuif-ve-s explicitement mentionné-e-Juif-ve-s, il ne fait paJuif-ve-s de doute qu’ilJuif-ve-s-elleJuif-ve-s Juif-ve-sont la cible de cette nouvelle législation. D’ailleurs en mai 1938 à Berlin, au cours d’un rassemblement secret de quelques dizaines de consuls polonais, W. Drimmer, ami et

500 EPELBAUM Didier, Les Enfants de papier. L'intégration des juifs polonais immigrés en France,

1919-1939, Thèse : Histoire : EHESS : 1998, p. 199.

501 Sur le projet d’émigration des juif-ve-s de Pologne à Madagascar et sa réception en France en 1936, voir CARON Vicky, op. cit., pp. 206-219.

502 MAE, Europe, Z 434, p. 56. Le ministère des Affaires étrangères au président de la Ligue des droits de l’homme, 7 septembre 1934.

503 ZARANSKI Jozel, Dariusz, tome 4, p. 76 et 81. Cité par ROLLET Henry, La Pologne au XX° siècle. Paris, Pedone, 1984, pp. 298-299.

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confident de Jozef Beck, déclare que cette loi a pour objectif "de se débarrasser des éléments peu sûrs, et tout particulièrement des Juifs, élément destructeur".504 L'objectif premier est donc de rendre impossible aux Juif-ve-s, citoyen-ne-s polonais-es, un retour vers la Pologne depuis les pays pris ou menacés par l'Allemagne hitlérienne. Dans un second temps, le ministère de l'Intérieur de Pologne publie le 6 octobre 1938 un décret qui oblige chaque citoyen-ne polonais-e à l'étranger à faire valider son passeport au consulat en y faisant apposer la mention "vérifié conformément au décret du ministre des affaires intérieures du 6 octobre 1938".505 Le gouvernement polonais prend ce prétexte de vérification des passeports pour effectuer un large contrôle, mais bien souvent la validation est refusée aux Juif-ve-s polonais-es, quand leur passeport n'est pas tout simplement supprimé.506 Nous verrons dans la troisième partie comment les Juif-ve-s polonais-es ont mis en place un ingénieux système pour contourner ce problème. Pour l’heure, la publication de cette directive a des répercussions quasi immédiates en Allemagne : Hitler n'accepte pas de se faire imposer la présence des Juif-ve-s polonais-es et prend la décision de les déporter hors de l’Allemagne.

4) Les déporté-e-s de Zbaszyn

Aussi, les 28 et 29 octobre 1938, il fait procéder à l'arrestation de 20 000 Juif-ve-s polonais-es vivant en Allemagne qu'il fait déporter vers la Pologne. Les déporté-e-s sont autorisé-e-s à ne prendre que 10 marks par personne et interdiction leur est faite d’emporter des biens de valeurs ou d’organiser leurs affaires avant leur transfert. La majorité est déportée par train, mais nombreux sont celles et ceux qui sont contraint-e-s de se rendre à pied jusqu’à la frontière. "Rejetés par les Allemands, interdits de séjour en Pologne, quelque 5 000 juifs échouent dans le petit village frontalier de Zbaszyn",507 un no man’s land entre les deux pays. Parmi ces déporté-e-s, Sendel et Rifka Grynszpan, ainsi que leur fille Berta. Les conditions de vie sont inhumaines.508 Le journal yiddish Pariser Haint (Journée parisienne) en date du 4 novembre, publie l’article de son correspondant à Zbaszyn : "Situation effroyable des Juifs polonais expulsés d'Allemagne. Plus de 8 000 personnes devenues du jour au lendemain des apatrides ont été raflées et déportées dans le no man's land germano-polonais, principalement à Zbonszyn [Zbaszyn]. Les conditions de détention sont particulièrement pénibles et déprimantes. 1 200 d'entre eux tombent malades et plusieurs centaines restent sans

504 BURKO Jacques, KORZEC Pawel, Le gouvernement polonais en exil et les Juifs. Pardès, n° 16, 1992, pp. 121-133, note 1.

505 CAC, 19880132/1ART 14 liasse 1

506 BURKO Jacques, KORZEC Pawel, op. cit.

507 MARRUS Michael R., op. cit., p. 173. Selon l’auteur, ils sont 5 000 dans ce camp. Selon Vicky Caron, 17 000 CARON Vicky, op. cit., p. 261.

508 Sur les conditions de vie, voir les lettres d’Emanuel Ringelbum publiées dans ARAD Yitzhak, GUTMAN Yisrael, MARGALIOT Abraham (dir) Documents on the Holocaust - Selected sources on the destruction of the

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abri. […] Quelques cas de folie et de suicides sont à signaler".509 Pendant des mois, aidés d’associations