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CHAPITRE 5: EXPÉRIENCES D'INTÉGRATION SCOLAIRE ET PERSPECTIVES

5.2 Les sentiments identitaires de jeunes sourds oralistes de Haute-Normandie

5.2.1 Sentiments d'appartenance et d'identification

Tout d’abord, les résultats de cette étude montrent que les jeunes sourds oralistes qui ont été intégrés au cours de leur cheminement scolaire ne partagent pas un même sentiment d’appartenance envers les personnes sourdes, d’une part, et les personnes entendantes, d’autre part. De fait, certains ont situé leur identité personnelle « à distance plus ou moins égale des entendants et des sourds », quelques-uns « dans les deux groupes à la fois » et d’autres « du côté des entendants ».

Plusieurs participants, lors des entrevues, partageaient le sentiment de n’être « ni complètement sourds, ni complètement entendants ». Soulignons que tous ceux qui m’ont partagé cette impression connaissaient une langue signée (LSF ou français signé) et y recouraient plus ou moins fréquemment, notamment pour communiquer47 avec des amis ayant aussi une surdité ou avec des personnes entendantes détenant les compétences pour échanger de cette manière. Ce qui ressort des propos de ces participants est qu’ils ne s’identifiaient entièrement à aucun des deux groupes de référence. Certaines fois, ce sentiment d’une non entière affiliation montrait des origines personnelles, notamment lorsque les participants se sentaient ontologiquement différents à la fois des personnes sourdes et des personnes entendantes et ce, bien qu’ils perçoivent aussi certains points communs entre eux et les autres. À d’autres occasions, ce sentiment semblait être provoqué par des facteurs extérieurs bien plus que personnels, notamment lorsque les participants vivaient du rejet et se sentaient jugés péjorativement à la fois par les personnes sourdes et par les personnes entendantes. Ce positionnement trouble vis-à-vis les groupes de référence que représentent les personnes sourdes et les personnes entendantes occasionne et dévoile, dans certains cas, des difficultés importantes de définition personnelle. C’est le cas de Maude, qui raconte :

Tu trouves pas ta place, en fait, dans les deux!! Parce que les entendants, bien sûr : « Elle est malentendante, donc elle ne comprend pas tout ce qu’on lui dit »!; et les sourds : « Ah bien, elle entend bien, donc elle n’est pas sourde profonde ». Un malentendant peu bien signer, mais normalement un sourd il ne parle pas très bien... et c’est vrai que je parle très bien, je... voilà : c’est dur d’être entre les deux mondes. (Maude)

47 Souvent, les signes servent aussi à soutenir des échanges émis oralement ou prononcés plus ou moins silencieusement

entre interlocuteurs oralistes, du fait qu’il reste quelques fois difficile de communiquer fidèlement ses idées via une langue dont l’apprentissage est encore en cours.

79 Le témoignage de Sébastien abonde en ce sens. Selon lui, d’ailleurs, cette situation d’« entre-deux » correspondrait à une particularité identitaire des personnes sourdes oralistes :

La situation d’entre-deux, nulle part dans le milieu des entendants et nulle part dans le milieu des sourds... C’est particulier, les sourds oralistes comme nous!! [...] Je sais que j’ai quand même l’identité sourde. Je ne peux pas dire si je suis plus entendant que sourd. Comme je te l’ai dit, je suis un entre-deux, en fait. C’est comme si je suis un électron libre, qui va vers le monde des entendants et le monde des sourds. Honnêtement, moi je me sens comme — mon identité, pour simplifier les choses — comme un « sourd oraliste », en fait. (Sébastien)

Parallèlement, d’autres participants — moins nombreux — se sont présentés comme étant « à la fois sourds et entendants ». Cette perspective est reliée en certains points à celle rapportée précédemment, mais s’en distingue du fait que le flou d’un sentiment d’appartenance unique et entier aux personnes sourdes et aux personnes entendantes n’est pas affublé de valeurs négatives, ni n’occasionne de difficulté de définition personnelle particulières. Ceux qui ont manifesté ce sentiment maîtrisaient la langue des signes et y recouraient régulièrement, au moment de les rencontrer en entretiens. De plus, une singularité des participants qui se sont présentés comme étant « à la fois sourds et entendants » est que ceux-ci ont, depuis leur enfance, fréquenté des pairs ayant une surdité. C’est le cas de Rose, entre autres, qui se présente en ces mots :

Je suis tous les deux, entre les deux mondes : entendant, oui, parce que je parle avec mes parents, j’entends le téléphone, machin!; et sourd, parce que je suis avec les sourds. Je suis entre les deux, en fait. Je ne suis pas vraiment... ni « par là », ni « par là ». Je suis vraiment entre les deux, quoi. (Rose)

Enfin, quelques participants ont été plus catégoriques dans leur définition de soi. À l’inverse des derniers qui se situaient « entre les sourds et les entendants » ou « dans les deux groupes à la fois », ceux-ci se sentaient davantage attachés à l’un ou l’autre des deux groupes de référence. Ainsi, certains se percevaient comme étant « plus entendants que sourds ». Sans exception, tous les participants ayant soutenu cette affirmation ne connaissaient pas, ne maîtrisent pas ou n’utilisaient pas régulièrement une langue signée (LSF ou français signé).

Moi, je me sens plus entendant, mais je n’oublie pas les problèmes que j’ai actuellement. Je n’entends pas bien et si j’enlève mes appareils, je n’entends rien du tout. Je me sens plus entendant dans la mesure où je vis dans un monde avec que des entendants. Paradoxalement [...], à 100 mètres de là où j’habite, il y a un Institut national des jeunes sourds. C’est paradoxal!! (Antoine)

Moi, je suis plutôt entendante, mais avec un problème de communication pour se faire comprendre. J’ai un gros problème au niveau de la communication pour me faire comprendre dans les commerces, un peu partout dans la vie courante. Je dois faire répéter la personne quand je ne comprends pas ou encore, elle ne me comprend pas. Enfin, c’est tout le temps la communication. C’est le problème de la communication. (Élise)

Simon, à l’inverse, est le seul à parler de lui comme étant « plus sourd qu’entendant ». Il explique : « Moi, je suis plutôt sourd parce que je ne suis pas entendant. Je me sens mieux avec les sourds. C’est là où je suis le plus à l’aise. C’est là où je suis le plus à l’aise, avec les sourds ».

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