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CHAPITRE 5: EXPÉRIENCES D'INTÉGRATION SCOLAIRE ET PERSPECTIVES

5.2 Les sentiments identitaires de jeunes sourds oralistes de Haute-Normandie

5.2.2 Points de vue sur la prise en charge rééducative et médicale de la surdité

D’une part, bien que la majorité des participants aient tous associé à leur suivi en rééducation bien certains moments de déplaisir48, tous ont reconnu le bien-fondé et la pertinence, pour eux-mêmes ou pour les

jeunes sourds en général, d’être ainsi accompagnés. Avoir été suivi en rééducation est, selon les participants, ce qui leur a permis d’acquérir des compétences nécessaires pour s’épanouir personnellement, socialement et, pour ceux ayant rejoint la vie active, professionnellement. La maîtrise de la langue parlée et écrite est comprise comme la condition fondamentale d’une intégration sociale réussie, et pour cette raison ils reconnaissent unanimement que leur suivi a été nécessaire et profitable. Plusieurs d’entre eux éprouvent d’ailleurs aujourd’hui une grande reconnaissance envers les professionnels de rééducation qui ont contribué, dans des moments considérés charnières, à les « réorienter » vers l'oralisme, comme le montrent ces extraits d’entrevues réalisés avec Jonathan et Mathieu :

À partir du collège, j’avais la même orthophoniste jusqu’à la fin du lycée, pendant 8 ans. C’est grâce à elle que j’ai appris à parler, parce qu’au primaire je parlais assez mal. Je privilégiais la langue des signes, et c’est grâce à l’orthophoniste du collège que j’ai pu rattraper. (Jonathan)

Ça a marché, hein, parce que si je n’avais pas fait ça, moi je ne saurais pas du tout parler!! J’aurais parlé avec mes mains!! C’est quand même grâce à mon orthophoniste que je parle (Mathieu)

D’autre part, il a déjà été mentionné dans ce mémoire que l’implantation cochléaire et le dépistage néo-natal de surdité sont des interventions souvent critiquées au sein des associations ou regroupements sourds. Questionnés sur ces sujets, les participants n’ont cependant jamais émis de propos tout à fait catégoriques permettant de les situer complètement à l’encontre de ces interventions. Ainsi, tous émettaient certaines réserves quant à l’idée d’y recourir eux-mêmes ou pour leur éventuelle progéniture, mais reconnaissaient néanmoins que l’existence de l’implantation cochléaire et des tests de dépistage comporte des avantages justifiant leur existence et le choix de certaines personnes sourdes d’y avoir recours49. Au sujet,

précisément, de l’implantation cochléaire, presque tous ont mentionné qu’ils y recourraient éventuellement, si leur condition auditive se dégradait de manière très importante.

Pour l’implant, je suis très dubitative, pour une personne sourde comme moi. En revanche, pour les malentendants, pour quelqu’un qui n’entend pas très bien mais encore un peu, c’est tout de même une solution qui aide beaucoup. Je veux bien reconnaître que c’est un bon dispositif. C’est un peu hypocrite, quand même, pour ceux qui n’entendront jamais réellement, malgré tous les stratagèmes qui existent sur le marché. (Laura)

48 À l’adolescence, surtout, il semble que le fait d’être suivi par des spécialistes pèse sur les jeunes, qui aimeraient être

plus autonomes, indépendants et détenir plus de temps libres.

49 Seulement trois des participants de cette étude étaient eux-mêmes implantés. Les 14 autres participants étaient pour la

majorité admissibles à l’opération, mais n’y recouraient pas pour différentes raisons. En effet, tous, à l’exception de Laura et Camille, se sentaient pour l’instant satisfaits du rendu audiologique obtenu via l’utilisation d’appareils auditifs ou, plus simplement, craignaient trop une dégradation audiologique postopératoire. Pour les deux participantes mentionnées, non implantées et principalement oralisantes, elles se disaient très confortables de n’utiliser aucun appareil auditif et de se fier principalement à la lecture labiale pour comprendre leurs interlocuteurs.

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L’implant, c’est un sujet tabou. C’est un sujet tabou, pour moi. C’est compliqué. Ce n’est pas facile. Ça ne se fait pas comme ça, hein!! Même si on me dit « Ouais, ça marche, ça marche!! »!; non. Ce n’est pas une question de « ça marche », c’est... parce que moi, je suis habituée avec mes appareils. Je ne me vois pas porter l’implant cochléaire, sauf si je perds toute l’audition. Alors, pourquoi pas!? Mais j'espère pas. (Rose)

Cela dit, et comme en témoignent les propos de Laura ci-haut rapportés, plusieurs participants critiquent néanmoins l’engagement des spécialistes dans les prises de décisions des personnes concernées par l’implant cochléaire, que ce soit les parents à qui il est proposé de faire opérer leur enfant ou encore les jeunes adultes qui, ayant une surdité profonde à sévère, se font proposer ou demandent l’opération. Les bénéfices de l’implantation cochléaire pour les personnes sourdes seraient hautement exagérés, et les médecins véhiculeraient à l’implantation cochléaire une image fausse d’intervention entièrement réparatrice, sinon grandement « transformatrice ». En même temps de tromper la société française et les parents d’enfants sourds, cette fausse représentation de l’implantation cochléaire exposerait les individus qui choisissent d’y recourir à de fortes déceptions :

Mais le problème, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes sourds — début de l’ado... — qui veulent se faire implanter pour ne plus être sourd, pour pouvoir dire « Je suis entendant ». Mais c'est pas toujours vrai, non plus. Il faut bien expliquer que se faire implanter, ce n’est pas forcément que tu vas mieux entendre. C’est compliqué. (Édouard)

On n’a pas d’explications précises de « Ça peut marcher » ou « Ça peut ne pas marcher ». Ils disent : « Tout va bien!! Tout va marcher!! ». Il y a toujours quelque chose qui ne va pas, dans le handicap. [...]Et puis les implants cochléaires, ça rapport beaucoup d’argent aux médecins ORL!! De façon anormale. C'est pas normal. Par exemple, à chaque fois que je vais changer de prothèses auditives, on me pousse vers l’implant cochléaire!! C’est vraiment désagréable!! On me pousse, on me pousse. (Jonathan)

Il ne fait pas se mentir : il y a beaucoup de gens qui veulent que les sourds portent des appareils pour qu’ils deviennent des faux entendants. Je reconnais que c’est bénéfique pour les sourds, mais c’est aussi parce que ça arrange la société de leur mettre quelque chose. C’est plus facile pour la société de donner des implants que de mettre des efforts pour s’adapter!! (Sébastien)

L’éloge fait par les médecins de l’implantation cochléaire serait donc indigne d’une entière confiance, et camouflerait les risques associés à cette intervention. Dans la même lignée, plusieurs regrettent aussi la situation des parents entendants qui, inquiétés par la surdité de leur enfant et manquant généralement d’informations, seraient pressés par les médecins de prendre une décision trop rapidement et, qui plus, devrait revenir aux enfants :

Je suis contre le fait que les médecins insistent à mettre les implants dès le plus jeune âge parce que c’est quand même une opération très lourde. Les parents, surtout quand ils sont entendants, ils ne savent pas comment faire : « Mon enfant, il est sourd. Comment on fait!? » Donc, beaucoup de médecins conseillent l’implant. Déjà, ça leur rapporte des sous!! Moi, je pense que l’enfant doit être appareillé dès le plus jeune âge, jusqu’à ce qu’il soit en mesure de — ou qu’il ait envie d’être implanté — décider et pas forcément les parents. C’est lui qui doit décider. (Édouard)

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