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Le Pôle académique pour l'accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds de Rouen

CHAPITRE 4: PORTRAIT D'UN MILIEU

4.1 Cartographie des lieux liés à la surdité, à Rouen

4.1.8 Le Pôle académique pour l'accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds de Rouen

Instauré par l’académie de Rouen38, le Pôle académique pour l’accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds de Rouen (PASS) est une structure qui favorise le parcours continu des jeunes sourds entre un collège et un lycée professionnel, général et technique déterminés. Il organise la scolarisation d’élèves

37 CENTRE D'INFORMATION SUR LA SURDITÉ ET L'IMPLANTATION COCHLÉAIRE, 2014. « L’association

CISIC — Présentation ». Consulté sur Internet (www.cisic.fr/association), le 29 octobre 2014.

51 sourds en milieu dit « ordinaire », et ce, en leur offrant un accompagnement particulier39. Intégrés partiellement au sein de classes entendantes, les jeunes du PASS, qu’ils soient au collège ou au lycée, sont ainsi accompagnés par des AVS (individuelles ou collectives) ou des interprètes, selon les occasions et les besoins, et reçoivent un soutien pédagogique très encadrant — à la fois sur les heures de cours et en dehors.

Cela dit, si la création progressive de PASS dans chaque académie française montre bien le souci grandissant d’accompagner les jeunes sourds dans leur parcours en leur offrant des services de qualité, il reste que ce dispositif compte quelques points faibles que certains se permettent bien de soulever. Son instauration a notamment provoqué quelques tensions dans le milieu, comme le raconte madame Lambert du Centre Beethoven :

Avant qu’il y aie le PASS qui soit sur Sembat, nous on avait proposé de regrouper les enfants sourds sur un lycée [où] il y avait à la fois des filières technologiques et des filières professionnelles. Il y avait aussi des choix comme le BEP, des choses comme ça, donc il y avait un très large choix, en fait, de filières. [...] La politique du PASS a cassé ça et du coup, c’est le lycée Sembat qui a été choisi pour accueillir le Pôle Surdité. À mon grand regret, je trouve que c’est un lycée qui ne propose pas toutes les filières ce qui fait que, par exemple, il y a une jeune que je suivais qui était sur Sembat et qui aurait bien aimé rester avec les autres sourds, mais elle a choisi de faire une filière qui n’y existait pas. [...] Donc, elle est repartie en individuel, toute seule, etc., un petit peu au combat, sans AVS qui code. C’est rude, c’est très rude!! (Mme Lambert)

Ce programme aurait ainsi été instauré sans véritable concertation des acteurs locaux, qui auraient pourtant pu soutenir de manière très pertinente son développement. Une auxiliaire de vie scolaire travaillant dans l’un des deux établissements hébergeant le PASS raconte :

Des choses ont été mises en place, comme ici [nom de l’établissement], où il y a la LSF qui est enseignée. Sauf que la LSF, c’est une option, ici. Ce n’est pas un cours obligatoire. La première année que ça a été mis en place [le PASS], on a imposé aux enfants d’apprendre la langue des signes et sans même leur demander s’ils sont d’accord ou pas d’accord. C’était « Comme ça, et pas autrement ». Et quand on dit à un enfant « Tu es sourd, c’est ta culture, t’es obligé », je pense que pour la recherche identitaire ce n’est pas l’aider du tout. Du coup, nous on a été confrontés à des crises de larmes, à des crises de nerfs et puis, bien, à des refus total d’aller en cours et de voir, même, en devenir violents verbalement ou physiquement parce qu’il y avait un rejet total de la LSF!! Et ça, je pense que c’est dommage parce qu’ils ont vraiment oublié ce point-là, quoi. C’est bien, c’est très très bien, mais il n’y a pas que ça. (Mme Bédard)

Les fondements mêmes de ce dispositif alors naissant ont de plus dérangé bien des parents qui, souhaitant offrir à leurs enfants l’opportunité de suivre une scolarité mieux pensée en fonction de leurs besoins, ne souhaitaient pas pour autant les propulser dans un milieu de vie perçu comme étant « pro-LSF ».

Déjà, ça ne devait pas s’appeler Pôle « PASS ». Ça devait s’appeler « Pôle LSF ». Donc déjà, ça mettait bien un accent sur la langue des signes. Il y a des parents oralistes, des parents codeurs, qui ont dit « Non, non!! La surdité, ce n’est pas que la langue des signes!! » Donc, le nom a changé. C’est comme ça que ça s’est appelé « PASS »!! (Mme Bédard)

39 Les caractéristiques du PASS sont, en fait : d’offrir aux élèves la possibilité de suivre des cours de LSF s’ils le désirent!;

de renforcer l’enseignement du français — qui est souvent une matière difficile à maîtriser pour les jeunes ayant une surdité importante!; de proposer certains enseignements en LSF aux élèves signeurs!; d’organiser des temps de médiation pédagogique favorisant leur réussite.

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Enfin, madame Bélanger, qui est elle-même sourde et enseigne la langue des signes dans l’un des établissements hébergeant le Pôle PASS, remarque que, bien qu’ils soient en contact avec des camarades entendants, les jeunes sourds qui sont intégrés collectivement au lycée restent surtout entre eux : « J’ai toujours trouvé qu’ils se sont plutôt renfermés entre eux, c’est-à-dire qu’ils sont entre les sourds et qu’ils vont rarement vers les entendants. Ces derniers ne font pas toujours le premier pas vers eux, mais ils ont l’air de les accepter dans leurs classes ». Elle témoigne aussi d’un autre phénomène, qui est celui que les jeunes à qui elle enseigne ne fréquentent pas vraiment les lieux communs de la communauté sourde de Rouen :

Je sais qu’ils vont vers les communautés sourdes, mais ils ne souhaitent pas trop s’en mêler, car ils sont défenseurs de l'oralisme et de l’implant cochléaire. Un jour, ils m’ont raconté qu’ils étaient très choqués des propos des sourds non implantés ou non appareillés vis-à-vis des prothèses ou de leur idéologie envers les entendants. J’ai essayé de leur admettre leur point de vue [celui des sourds non implantés ou non appareillés], en tenant compte de leur passé étroitement lié avec le Réveil sourd — années 70-80. J’avoue que ce n’est pas facile pour moi de leur défendre en même temps de soutenir les élèves. Je suis de tout cœur avec eux, mais il faut savoir prendre du recul vis-à-vis des communautés sourdes qui ont énormément souffert des critiques durant leur enfance et qui n’ont pas reçu le soutien qu’ont les élèves actuels. (Mme Bélanger)