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Segmentarité et développement

Dans le document recherches sociologiques (Page 75-85)

DES RELATIONS ENTRE GROUPES LINGUISTIQUES Un modèle d'analyse

VI. Segmentarité et développement

Affirmer que tel ou tel pays est une société hétérogène ou une société plurale a peu d'utilité, si on ne prend pas conscience que ces sociétés se développent différemment ou changent selon une logique qui leur est spécifique. A l'analyse syn-chronique, doit succéder l'analyse diachronique des types de relations possibles entre les diverses catégories au sein même de cette société.

Du point de vue structurel, nous pouvons classer les caté-gories linguistiques sur un continuum qui va de l'assimilation structurelle au conflit, en passant par divers degrés d'inté-gration dont les principaux seraient l'accommodation focale et l'accommodation alterne. Ces différents niveaux structurels se rapportent à la fois au type de relation et à la distance sociale entre les catégories linguistiques.

Nous parlerons d'accommodation, lorsque diverses catégories sociales coexistent, sans se fondre en une nouvelle unité.

L'accommodation focale a lieu lorsque les groupes en présence

sont interdépendants et complémentaires à l'intérieur d'une même structure sociale, dont ils constituent les pôles, chaque groupe gardant son originalité. Il y a accommodation alterne lorsque des individus d'une catégorie peuvent passer dans une autre catégorie, bien qu'il existe toujours deux ou plusieurs catégories, les unes supérieures et majoritaires, les autres inférieures et minoritaires. La notion d'accommodation alterne fait donc référence aux concepts de «groupe majoritaire» et de «groupe minoritaire ». Comme l'a souligné Louis Wirth (1957 : 349), il serait trop simpliste de définir ces concepts en terme de nombre; l'existence d'une minorité dépend en effet plus d'une situation subjective, que d'une situation objective.

Dans la mesure où l'accommodation commel'intégration impli-quent l'existence de plusieurs catégories dans une même struc-ture regroupante, nous pensons qu'il est légitime de les con-sidérer comme des concepts équivalents. Bien plus importante est la distinction entre l'assimilation etl'intégration ou l'accom-modation. Elizabeth Sommerlad et John Berry (1970: 25) ont montré que dans l'assimilation, l'acteur social s'identifie directement à la société globale, tandis que dans l'intégration, c'est en tant que membre d'un groupe qu'il s'identifie à cette société (voir figure 7).

Figure 7

Schéma du rôle de l'identification pour distinguer l'assimilation de l'intégration

I.-S =l

S

Assimilation Intégration

S = Société

IG

=

Identification au groupe

.- =

1

=

Individu

Processus d'identification

Une application politique de cette distinction peut être trouvée dans la différence existant entre un Etat fédéral et

un Etat centralisé. Si l'Etat centralisé est du domaine de l'assi-milation, l'Etat fédéral est du domaine de l'intégration, dans la mesure où il résulte le plus souvent d'un mouvement de communautés déjà constituées et désireuses de maintenir leurs caractères propres. Dans l'Etat fédéral, l'individu n'est pas directement en contact avec le Pouvoir central, comme l'exige la tradition jacobine, mais, c'est en tant que membre d'une communauté spécifique, dans laquelle s'accomplit son existence réelle, qu'il participe à la vie nationale.

En appliquant la distinction entre ces deux concept à la société belge, nous pouvons dire, par exemple, que :

- les Wallons qui s'identifient au groupe wallon ont des attitudes favorables à l'égard de l'intégration et défa-vorables à l'égard de l'assimilation,

- tandis que les Wallons qui s'identifient au groupe belge ont des attitudes favorables à l'égard de l'assimilation et défavorables à l'égard de l'intégration.

Selon les évaluations recueillies par Pierre Servais (1970 : 143), il semble que les Flamands ont des attitudes plus favo-rables que les Wallons à l'égard de l'intégration, dans la mesure où ils manifestent beaucoup plus que les Wallons leur attachement et leur appartenance à leur communauté.

En règle générale, au niveau du processus d'intégration, les groupes peuvent s'accorder le droit de manifester leurs diffé-rences aussi longtemps qu'elles ne mettent pas en cause l'existence même de la société englobante, qu'elles ne conduisent donc pas à une rupture de cette société. Notons que lorsqu'il y a intégration, nous pouvons parler de groupes ou même d'ethnies, et plus de catégories sociales, dans la mesure où les concepts de groupe et d'ethnie se réfèrent à l'existence d'un principe d'identité, c'est-à-dire d'une conscience de soi et d'une volonté de vivre en commun.

Après le point de vue structurel, distinguons un point de vue culturel. On peut en effet aussi classer l'ensemble des phénomènes qui résultent du contact entre des catégories sociales sur un continuum qui va de l'assimilation culturelle à la résistance, en passant par l'adaptation de la contre-assi-milation cuturelle. Nous parlerons d'assimilation culturelle ou d'acculturation, lorsque les membres d'une catégorie sociale ont

les mêmes comportements culturels que ceux des membres de la société englobante. L'adaptation est la réinterprétation d'une culture à travers les patterns d'une autre culture. Si la résistance se situe au début d'un contact entre deux cultures, la contre-assimilation culturelle est un effort de retour en arrière, qui ne vient que lorsqu'une culture sent qu'elle va disparaître; elle n'apparaît que lorsque l'assimilation a déjà commencé et est donc pénétrée de valeurs nouvelles.

Il est évident que les processus que nous avons mis en evi-dence lors de la description du continuum structurel et du continuum culturel peuvent interférer l'un sur l'autre; l'assi-milation structurelle, par exemple, d'une catégorie linguistique dans une autre passe par le processus d'assimilation cultu-relle ; de même, la contre-assimilation culturelle passe par le processus d'intégration ou d'accommodation.

Notre hypothèse est qu'à un type de société globale (homo-gène, hétérogène ou plurale) correspondent une partie du con-tinuum structurel et une partie du concon-tinuum culturel. Comme l'a déjà suggéré Marie Haug (1967 : 303), sur un plan théori-que, nous pouvons considérer l'homogénéité, l'hétérogénéité et le pluralisme comme des variables indépendantes, dont la pré-sence ou l'abpré-sence dans une société donnée est relative et qui déterminent l'état des relations et la distance sociale entre les catégories linguistiques (voir figure 8).

Figure 8

Schéma du rôle du degré de segmentarité pour distinguer l'état des relations entre les catégories sociales des points de vue structurel

et culturel 1

Accomodation Accomodation

alterne focale

+---*

11 1 HETEROGENEITE

1

Conflit Assimilation

structurelle

PLURALISME HOMOGENEITE

+---*

+---*

Résistance Contre-assimilation Adaptation culturelle

1

Assimilation Culturelle

Ainsi, nous suggérons par hypothèse qu'une société homo-gène est une société qui se caractérise du point de vue struc-turel par l'assimilation strucstruc-turelle, et du point de vue culstruc-turel par l'assimilation culturelle. Nous pensons que notre pro-prosition se justifie, car l'homogénéité implique la non existence de groupes dans une société globale, c'est-à-dire l'identification des acteurs sociaux à cette société et la ressem-blance des comportements culturels de ces acteurs, deux traits caractéristiques de l'assimilation structurelle et culturelle.

De même, nous suggérons par hypothèse qu'une société hétérogène est une société qui se caractérise du point de vue structurel par l'accommodation focale ou l'accommodation alterne, et du point de vue culturel par l'adaptation ou la contre-assimilation. On peut ainsi distinguer quatre types de société hétérogène :

1. accommodation focale

+

adaptation,

2. accommodation focale

+

contre-assimilation culturelle, 3. accommodation alterne

+

adaptation,

4. accommodation alterne

+

contre-assimilation culturelle Notre proposition se justifie dans la mesure où une société hétérogène est une société qui implique l'existence d'une multi-plicité de groupes qui sont intégrés par leur spécialisation fonctionnelle (on parle alors d'accommodation) et par un mini-mum de valeurs communes (on parle alors de contre-assimi-lation culturelle ou d'adaptation).

Enfin, nous suggérons par hypothèse qu'une société plurale est une société qui se caractérise du point de vue structurel par la contre-assimilation ou la résistance. On peut ainsi distinguer aussi quatre types de société plurale:

1. accommodation alterne

+

contre-assimilation culturelle, 2. accommodation alterne

+

résistance,

3. conflit

+

contre-assimilation culturelle, 4. conflit

+

résistance.

L'accommodation alterne peut caractériser tantôt des sociétés hétérogènes, tantôt des sociétés plurales (ce qui témoigne bien la proximité de ces deux types de société). Mais, tandis que, dans les sociétés hétérogènes, le (s) groupe (s) minoritaire (s) légitime(nt) l'autorité du ou des groupes majoritaires, dans les

sociétés plurales, le(s) groupe(s) minoritaire(s) la consi-dère(nt) comme dominatrice et provoquante.

Dans notre modèle d'analyse, l'état des relations entre les catégories sociales, et dans notre cas les catégories linguisti-ques, est considéré comme théoriquement dépendant du carac-tère homogène, hétérogène ou plural de la société englobante, c'est-à-dire de la concordance ou de la spécificité des «moments d'universalité, de particularité ou de singularité» des institu-tions de ces catégories linguistiques.

VII. En guise de conclusion

Nous pensons que le modèle d'analyse que nous avons pré-senté, et son application à la société belge offrent une chance de progresser dans l'explication des relations entre les groupes linguistiques. Mais, au stade où nous sommes resté, notre modèle reste exploratoire, exigeant une critique et une évalua-tion rigoureuse. Ce ne sera évidemment qu'après une recher-cherche sur le terrain que nous pourrons déterminer si la Belgique doit toujours être considérée comme une société hété-rogène ou déjà comme une société plurale, au niveau des groupes linguistiques, et analyser ainsi l'état des relations existantes et possibles entre ces groupes.

Néanmoins, si jusqu'à présent il ne semble pas que l'une ou l'autre institution de base se différencie au niveau de l'institu-tionnalisé selon les collectivités, des symptômes de pluralisa-tion existent, notamment et à titre d'exemples, l'emploi d'une langue spécifique pour la collectivité flamande et la collectivité francophone, la création de deux Conseils culturels, dont cer-tains décrets ont force de loi dans la région à laquelle ils sont rattachés, et en règle générale une décentralisation de bon nombre de grandes administrations et d'associations politi-ques, culturelles et syndicales par collectivité. On peut alors se demander si cette décentralisation se fera autour de deux collectivités (wallonne et flamande) ou autour de trois ou qua-tre collectivités (wallonne, flamande, bruxelloise et allemande).

Bref, que a Belgique soit une société hétérogène en voie de pluralisation, du point de vue des groupes linguistiques, n'est qu'une hypothèse de travail, qu'une première approximation nous a permis de mettre en évidence, mais qui devrait être

vérifiée empiriquement. Cependant, parmi les divers facteurs du pluralisme que nous avons indiqués, si quelques-uns jouent positivement, d'autres, plus nombreux peut-être, jouent néga-tivement et sont donc en faveur du maintien de l'existence du caractère hétérogène de notre société. Parmi les facteurs positifs du pluralisme, rappelons la grandeur numérique rela-tivement faible de la Wallonie par rapport à la Flandre et la concentration géographique des collectivités du point de vue démographique, l'existence de mécanismes de distance sociale entre celles-ci et l'importance croissante prise par les margi-naux organisationnels du point de vue social, et le fait que le pluralisme est considéré comme une richesse à promouvoir, car ses dysfonctions ne sont pas encore clairement apparues, du point de vue idéologique.

Dans la figure 8, la Belgique pourrait être ainsi classée sur notre continuum au point de rencontre entre société hété-rogène et société plurale, point de rencontre, mais aussi point chaud, car il est le centre d'un conflit entre la logique des rapports entre les groupes dans une société hétérogène et une société plurale. Ce moment dialectique où ces rapports se caractérisent par l'accommodation alterne et la contre-assimi-lation culturelle, vu Son caractère transitoire, est par essence instable. Suivant que nous allons vers une société plurale ou vers une société hétérogène, nous devons nous attendre à ce que les rapports entre les groupes se caractérisent par le con-flit et la résistance ou par l'accommodation focale et l'adap-tation.

Nous pensons que notre modèle d'analyse attire l'attention sur le fait qu'une société est en crise, non pas lorsqu'elle ne change pas, mais lorsqu'elle change trop, c'est-à-dire lorsqu'elle passe d'un type de rationalité dans les rapports entre les groupes à un autre, autrement dit de l'homogénéité à l'hétérogénéité, ou de l'hétérogénéité au pluralisme. Le pas-sage de l'un à l'autre dépend de la capacité d'instituer des groupes linguistiques en présence, capacité qui est elle-même déterminée par des facteurs démographiques, sociaux, écono-miques et culturels, et qui détermine les types de relations pos-sibles entre les groupes. Dans le cas de la Belgique, le pro-blème communautaire ne semble donc pas être tant un retard de nos institutions par rapport à une complexité sociale

crois-sante, mais semble être au contraire une accélération du nom-bre des investissements institutionnels et de leur qualité, c'est-à-dire de leur caractère spécifique ou général, dans la mesure où, grâce à leur environnement sociétal, les groupes linguisti-ques peuvent institutionnaliser des solutions à des problèmes dont la grande majorité des acteurs sociaux n'a pas encore pris conscience.

Nous ne voulons pas opposer une théorie du conflit (ou une théorie du pluralisme) à une théorie de l'intégration (ou une théorie de l'hétérogénéité), car le conflit peut déjà exister dans une société hétérogène. Mais alors que dans les sociétés hétérogènes le conflit peut être rapidement résolu, si tous les acteurs sociaux qui appartiennent aux différents groupes en présence admettent la règle démocratique du pouvoir au plus grand nombre, dans les sociétés plurales, le conflit restant latent, des mécanismes spéciaux de régulation de ce conflit doivent être mis en place au niveau de la société englobante, pour que ce conflit ne dégénère pas en lutte directe.

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LE CHOIX D'UNE ECOLE CATHOLIQUE

Dans le document recherches sociologiques (Page 75-85)