• Aucun résultat trouvé

La seconde ouverture du bassin (XX e siècle)

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 170-175)

Chapitre III : L’évolution des politiques de développement régional

III.1.2. La seconde ouverture du bassin (XX e siècle)

L’ouverture de la Chine sur l’extérieur au XIXe siècle a été en grande partie accélérée par la pression des Occidentaux, à laquelle devait se plier le régime impérial. Ainsi du fait de l’incapacité de l’Empire à résister à l’Occident, l’ouverture forcée a initié et précipité l’éclatement du pays en y creusant les inégalités socio-économiques. Un siècle et demi plus tard, l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping et la politique d’ouverture (kaifang) pratiquée par ce dernier inaugurent une ère de réformes économiques et l’abandon de la vision maoïste d’une Chine autarcique et repliée sur elle-même. La Chine s’ouvre délibérément aux pays extérieurs afin d’une part d’intégrer le courant principal d’un monde globalisé et d’autre part de protéger l’intégrité territoriale du pays.

Sur le territoire chinois, le processus qui a suivi l’ouverture et la réforme économique des années 1980 et 1990 n’a pas été homogène : les années 1980 ont été réservées à la création de lieux d’expérimentation sur la côte sud-est chinoise afin de légitimer l’ouverture, tandis qu’avec les années 1990, le retour sur la scène économique de Shanghai consacre la véritable mise en place de l’« économie socialiste de marché »303 pour l’ensemble du pays. Ainsi, cette réouverture sur le monde extérieur entamée dès 1979 n’est réellement en vigueur dans

301 GENTELLE Pierre, « Chine », in BRUNET R., dir., Géographie universelle, tome : Chine, Japon, Corée, Paris, Belen-Reclus, 1994, 2001 p. 55.

302 GENTELLE Pierre, Économie de la Chine, Paris, Armand Colin, 1994, pp. 98-99.

303 SANJUAN Thierry, avec la participation de TROLLIET Pierre, La Chine et le monde chinois – une géopolitique des territoires, Paris, Armand Colin, 2010, pp. 98-111.

169 l’ensemble du bassin du Yangzi qu’à partir de 1990. Ce décalage révèle les intentions dissimulées d’un État en transition qui procède par essais prudents304. Contrairement à l’ouverture forcée du XIXe siècle, qui avait rapidement entraîné la perte de contrôle du pouvoir de l’Empire sur son territoire305, cette fois-ci, les jalons de la politique d’ouverture (lieux d’ouverture, types d’investissements, par exemple) sont scrupuleusement surveillés et maîtrisés : onze ans s’écoulent entre l’expérimentation de la Zone économique spéciale de Shenzhen et la mise en place de la Nouvelle Zone de Pudong à Shanghai ; il est décidé une ouverture graduelle des villes côtières puis des villes intérieures ; le mode d’organisation de l’industrie et le type d’absorption des investissements étrangers évoluent de jour en jour.

Sous l’influence des politiques de réforme économique des années 1980 et 1990 et l’ouverture du bassin du Yangzi, à partir du XXIe siècle, le développement économique du delta du Yangzi fini par dépasser celui des régions de la côte sud-est chinoise et elle présente des particularités différentes. Premièrement, l’ouverture de ports riverains et des villes capitales yangziennes en 1992 annonce l’ouverture totale du pays : les villes intérieures yangziennes ne sont plus désavantagées par rapport aux villes littorales. Deuxièmement, suite à l’ouverture des années 1980, où les campagnes ont eu l’occasion de revaloriser leurs espaces en voyant l’essor des entreprises rurales306, dorénavant, l’État privilégie les espaces urbains en développant de plein fouet industrialisation et métropolisation ; de grandes concentrations urbaines yangziennes comme Shanghai, Nankin, Chongqing, Wuhan ont eu un regain d’activité économique. Enfin, avec le transfert du centre d’ouverture du pays de Canton à Shanghai a lieu une évolution décisive en matière d’investissements étrangers. Les capitaux investis et le mode d’organisation des entreprises dans le delta du Yangzi sont différents de

304 Selon Pierre Gentelle, il faut nuancer l’interprétation de ce qu’on appelle l’« ouverture », qui signifie pour les européens « accès à … ». Pour le gouvernement chinois, elle signifie la possibilité d’avoir accès au monde sans que le monde puisse entrer librement chez elle. L’ouverture est en fait un palliatif, un acte de défense, qui doit laisser le temps au pays de se préserver. C’est pourquoi, en raison du choc idéologique que l’État chinois doit supporter, l’ouverture ne peut être que progressive. GENTELLE Pierre, op. cit., 1994, p. 98.

305 Lors de la signature à contrecœur du premier traité de Nankin, le gouvernement Qing a tout simplement pensé que la cession du territoire de l’île de Hong Kong et l’ouverture des cinq ports maritimes de la côte sud-est (mis à l’écart du centre politique de Pékin) au commerce extérieur calmerait le conflit militaire sino-britannique et protégerait la légitimité du pouvoir impérial. Cependant, l’arrivée d’autres pays occidentaux et l’exigence accrue en termes de débouchés pour le commerce extérieur entraînent de plus en plus de villes chinoises à participer à l’ouverture, y compris des villes intérieures. Cette intrusion occidentale frappe l’intérieur du pays dès 1861 avec la conclusion du traité de Tianjin. Incapable de résister à l’Occident, l’Empire décline perdant son contrôle sur l’ensemble du territoire.

306 Les entreprises rurales sont des entreprises créées par les paysans (avec ou sans l’aide d’autres partenaires) développant les industries à la campagne. Le champ d’action des entreprises rurales est très vaste, s’étendant à l’industrie, à la transformation des produits agricoles et aux services (transport, bâtiment, commerce et restauration). Dans les années 1980, elles sont apparues en premier lieu dans les espaces périurbains des grandes villes côtières chinoises. Puis, suivant le niveau de l’ouverture décidé par l’État, elles s’implantent au fur et à mesure vers les régions intérieures.

170 ceux du delta de la rivière des Perles. Le delta du Yangzi absorbe une partie importante des capitaux investis directement par des entreprises multinationales et des joint-ventures occidentales, qui collaborent avec les grandes entreprises chinoises publiques ou collectives pour développer l’industrie à forte intensité de capitaux et de technologies. Les capitaux privés en provenance de Hong Kong, de Macao, de Taiwan et d’outre-mer investis dans le delta de la rivière des Perles sont, eux, réservés principalement à une industrie de main-d’œuvre intensive307.

En outre, si l’on considère que l’ouverture et la réforme économique de 1979 ont pour finalité propre de faire évoluer vers l’économie de marché le système économique précédent, elles traduisent également une volonté de rétablir la légitimité de la vie politique du pays.

Elles entrent en contradiction avec le concept majeur de « lutte des classes » de la génération maoïste, en mettant l’accent sur l’importance des valeurs économiques en vue de pousser la population chinoise à satisfaire ses appétits matériels (par exemple : immobilier, divertissement). L’ouverture et la réforme économique ont une répercussion profonde en ce qu’elles ont apporté une réelle amélioration du niveau de vie, ce qui permet de maintenir et consolider la légitimité du pouvoir.

307 Hua Min, op. cit., pp. 124-139.

171 Tableau 10 : Les étapes officielles de l’ouverture du pays après la

réforme économique de 1978

Année Villes ou régions ouvertes

1979-1980 Quatre zones économiques spéciales (jingji tequ) : Shenzhen, Zhuhai, Shantou, Xiamen

1984 14 villes littorales: Beihai, Zhanjiang, Fuzhou, Wenzhou, Ningbo, Shanghai, Nantong, Lianyungang, Qingdao, Yantai, Tianjin et Qinhuangdao

1985 Delta du Yangzi ; delta de la rivière des Perles ; la région méridionale du Fujian

1988 Création de la Zone économique spéciale de l’île de Hainan ; ouverture de la région du golfe de Bohai et des péninsules du Shangdong et du Liaodong 1990 Création de la Nouvelle Zone de Pudong à Shanghai

1992

Ouvertures de capitales provinciales dans le bassin du Yangzi : Changsha, Chengdu, Nanchang, Wuhan

Ouverture de ports du Yangzi : Wuhu, Jiujiang, Yueyang, Chongqing, Huangshi, Yichang, Wanxian, Fuling (par ordre d’ouverture)

Décision par l’Assemblée nationale populaire de construire le barrage des Trois Gorges

L’ensemble du territoire chinois est ouvert

Création de la zone de développement économique des Trois Gorges (laquelle inclut Yichang, Zigui, Badong, et 14 autres villes et bourgs)

Création de dix zones de développement économique et technique, trois zones franches et 16 zones industrielles de nouvelles technologies dans le bassin du Yangzi

1997 Promotion au rang provincial de la municipalité de Chongqing

Source : SANJUAN Thierry, avec la participation deTROLLIET Pierre, La Chine et le monde chinois, une géopolitique des territoires, Paris, Armand Colin, 2010, pp. 107-108.

172

173 Sept ans après l’ouverture de ses régions deltaïques, l’ouverture totale de la vallée du Yangzi en 1992 représente une stratégie d’ouverture graduelle conformément aux étapes de développement prospectif du pays conçu par Deng Xiaoping en 1985, qui suit l’idée de

« laisser une partie de la population s’enrichir en avance »308. Les différents degrés d’ouverture et la variété des phases d’intégration dans le système économique mondial, associés aux disparités économiques et géographiques entre les régions deltaïques et les régions des haut et moyen Yangzi déjà présentes au XIXe siècle, conduisent à une aggravation des déséquilibres territoriaux : se dessine une nette différenciation au niveau économique et social du littoral (centre) et de l’intérieur (périphérie) dans le bassin. La classe dirigeante Yangzi un ruban de développement industriel et urbanisé potentiel. Les aménageurs prennent en compte ce paramètre, véritable défi, afin de mener à bien leur intention d’instrumentalisation du « fleuve-région » et les stratégies de développement de cet axe, lequel est en effet considéré comme le deuxième axe de l’économie et de la productivité juste dernière celui de la Chine littorale310.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 170-175)