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Fleuve, port et arrière-pays : structuration de l’espace du bassin du Yangzi

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 116-125)

Carte 5 : La figuration du bassin hydrographique du Yangzi dans le monde

II.4. La civilisation portuaire yangzienne : fleuve, port et arrière-pays

II.4.4. Fleuve, port et arrière-pays : structuration de l’espace du bassin du Yangzi

En dehors des facteurs imposés (caoyun, pouvoir politique) qui provoquent le dynamisme des activités des ports yangziens, celui-ci est aussi déterminé par la fréquence des transactions commerciales et la circulation des personnes, lesquelles dépendent de la capacité économique de l’arrière-pays sous son contrôle. À l’époque de la Chine impériale, les activités de caoyun ne sont pas les seuls moteurs qui accélèrent l’échange économique d’un port avec son arrière-pays, la capacité économique de l’arrière-pays est aussi conditionnée par : la superficie, la répartition de ressources naturelles, la capacité de la production, le nombre d’habitants, la circulation financière et le niveau de transport. À titre d’exemple, au XVe siècle, la montée en

241 Yangzhou est sans aucun doute le port chinois le plus prospère durant l’époque de la Chine impériale.

Cependant, cette qualification a été fondée sur son rôle de nœud de communication fluvial et la fréquence des marchandises dans ce port, mais il n’a pas de valeur importante au niveau du contrôle politique dans la région.

Yangzhou était juste une base fiscale pour les souverains du Nord pour le contrôle de l’économie du Sud. Il y avait une très importante circulation des marchandises et un roulement des monnaies à Yangzhou.

L’implantation des organismes administratifs fiscaux à Yangzhou servait uniquement à contrôler et à vérifier l’inventaire du caoyun. Yangzhou n’était ni une ville économique productive, ni un centre économique régional.

L’instabilité du Yangzi et du Grand Canal pouvait facilement perturber le fonctionnement du port de Yangzhou, dépourvu d’un arrière-pays solide et stable comme Nankin et Hangzhou. Également, son influence tant au niveau économique qu’au niveau politique à l’échelle régionale était très limitée.

115 puissance du port de Hankou est dû à la dérivation de la rivière Han, laquelle, en offrant un meilleure accès au Yangzi, lui permet ainsi d’étendre son arrière-pays direct : auparavant, il incluait les deux provinces du Hunan et du Hubei, désormais il faut y ajouter celles du Sichuan, du Guizhou, du Shanxi et du Shaanxi.

Cependant, les chercheurs estiment qu’avant l’arrivée de l’ère industrielle, à part les grands ports régionaux comme Nankin, Hankou ou Chongqing, la plupart des ports yangziens ont une faible influence économique sur les autres régions242. Souvent ce sont les liens résultant de l’association de plusieurs ports fluviaux au centre économique régional qui permettent de définir la superficie et le niveau d’économie d’un arrière-pays. Au Hunan, dans le bassin de la rivière Xiang, nous pouvons identifier deux niveaux d’organisation du réseau de transport fluvial : premièrement, Hengyang est le port dominant du haut Xiang ; Xiangtan contrôle le moyen Xiang ; quant au port de Yueyang, situé à la confluence du lac Dongting et du Yangzi, il sert comme port d’entrée vers le Yangzi pour la circulation des marchandises en provenance de l’ensemble du Hunan. Deuxièmement, en tant que centre économique régional, le port de Changsha est l’organisateur dominant de l’ensemble du réseau fluvial du Xiang et du lac Dongting. La même structure d’organisation se constate dans le Jiangxi autour de la rivière Gan et du lac Poyang, et a pour points d’articulation les ports de Jiujiang et de Nanchang (cf. carte 16). À travers cette structure de l’organisation de l’espace, nous pouvons conclure que les activités économiques entre le port et son arrière-pays constituent le mode essentiel de développement pour l’organisation des activités économiques du bassin du Yangzi à l’époque impériale.

Pendant l’époque de la Chine impériale, profondément influencée par le régime politique du centralisme (zhongyang jiquan zhidu) et le système de caoyun, l’armature urbaine de la vallée du Yangzi est caractérisée par l’articulation des villes portuaires dans le bassin. La collecte du grain de caoyun et la circulation des marchandises suivent l’itinéraire suivant : après leur concentration sur les marchés ruraux, ces biens sont réunis ensuite sur les marchés locaux qui se situent à proximité des ports fluviaux sur le Yangzi ou les affluents yangziens ; via le réseau fluvial du bassin, les marchandises sont transportées puis rassemblées à Jiangling, Hankou ou Yangzhou. À partir de là, les voies terrestres et fluviales permettent le transport continu des marchandises jusqu’à la capitale du Nord. Chaque port yangzien Ŕ Chongqing, Jiangling, Yueyang, Hankou, Jiujiang, Wuhu, Nankin, Yangzhou, Zhenjiang Ŕ dispose de son propre arrière-pays sous contrôle.

242 JOHNSON Linda, dir., op. cit., p. 151.

116

117 Tableau 6 : Les principaux ports yangziens et le périmètre de leur arrière-pays pendant les dynasties des Tang et Song (618-1279) Principaux

Qinglong Shanghai - Port maritime - Commerce du sel, du coton

- Commerce extérieur

Ningbo Zhejiang - Port maritime - Commerce extérieur Plaine de

Ningbo-Shaoxing

* Le périmètre de l’arrière-pays du port est calculé en fonction de la durée nécessaire au transport des marchandises du caoyun, ainsi que de la distance parcourue.

118 Principaux

ports

Localisation Fonction administrative Disposition stratégique Principales activités économiques

Nanchang Jiangxi - Plus grand port du Jiangxi

sur la rivière Gan

- Centre commercial du Hubei Hubei, Hunan, Jiangxi, Anhui

119 Principaux

ports

Localisation Fonction administrative Disposition stratégique Principales activités économiques

la rivière Xiang - Centre commercial du Hunan Hunan Yueyang Hunan - Port militaire - Port d’entrée fluviale du

Hunan par le lac Dongting - Commerce du riz et du thé Plaine du lac Dongting

Fuling Chongqing - Port du haut Yangzi

Chongqing Chongqing

Source :LUO Chuandong, Changjiang hangyunshi – Gudai bufen [Histoire du transport fluvial du Yangzi (partie sur l’antiquité)], Pékin, Renmin jiaotong chubanshe, 1991, pp. 126-142.

120 Tableau 7 : La répartition des ports yangziens au VIIIe siècle

Dao (Région) Zhou (Département) District Bourg

Jiangnan Jiangnan xidao Jiangzhou (Jiujiang), Ezhou Dantu, Qiupu, Wuchang

(Echeng)

Source : Calculs effectués d’après TAN Qixiang, dir., Zhongguo lishi dituji – Juan V, Sui-Tang [Atlas historique de la Chine, tome 5 Ŕ Sui-Tang], Pékin, Zhongguo ditu chubanshe, 1975, 88 pages.

À l’échelle du pays, effet du centralisme, la dynamique et l’organisation des transports fluviaux connaissent un fort mouvement centripète et sont propices à la création d’axes de communication convergeant vers la capitale. Fondée sur la trame du transport fluvial de caoyun et structurée sur les villes portuaires, l’armature urbaine du bassin du Yangzi à l’époque de la Chine impériale est caractérisée à l’échelle régionale par le lien ville portuaire Ŕ arrière-pays ; puis à l’échelle nationale par un renforcement de la communication nord-sud du pays, où l’axe fluvial est-ouest yangzien doit se soumettre à la logique du contrôle de la Chine du Nord sur les régions économiques de la Chine du Sud. Ainsi l’axe fluvial est-ouest du Yangzi ne serait-il jamais un axe dominant durant toute l’époque de la Chine impériale. Au niveau supra-bassin, cet axe fluvial est structuré par les activités du transport de caoyun ; au niveau intra-bassin, il est modelé par l’organisation du transport dans les macrorégions. De plus, cet axe est exploité par les guildes et contrôlé par les gouvernements locaux pour asseoir le monopole de leur mainmise sur les marchés locaux. Ainsi, dans le bassin du Yangzi, jusqu’au début du XIXe siècle, en fonction de l’organisation des activités du transport fluvial régional et des relations d’échange établies entre les ports et leurs arrière-pays, quatre sub-réseaux fluviaux yangziens se dessinent-ils, chacun ayant pour centre un port : le port de

121 Yibin contrôle le Yunnan et le Sichuan occidental, le port de Chongqing contrôle le Sichuan et le Guizhou, le port de Hankou contrôle le Hubei, le Hunan et le Jiangxi et le port de Suzhou contrôle les régions du delta du Yangzi243. Conséquence de cette relation port/arrière-pays, l’armature yangzienne est ainsi organisée par trois axes méridiens allant du sud vers le nord, sur lesquels émergent un chapelet de villes-ports et de foires riveraines qui contribuent à renforcer et à capter les flux économiques et humains parallèles : Chenzhou-Changsha-Yueyang-Hankou (ou Jiangling) ; Ganzhou-Nanchang-Jiujiang-Hankou ; Hangzhou-Suzhou-Zhenjiang-Yangzhou (cf. carte 16). Toutes ces villes contribuent au transport de caoyun, ce système de fonctionnement des ports yangziens était donc sans conteste, jusqu’au début du XIXe siècle, un instrument politico-socio-économique sous contrôle du pouvoir impérial.

À partir de 1840, suite aux ouvertures successives des ports yangziens, l’introduction de l’industrialisation en Chine, la navigation des bateaux à vapeur sur le Yangzi et la prolongation des chenaux yangziens (notamment dans le haut Yangzi) ont permis un élan de développement de la batellerie yangzienne. Cette modernisation du transport fluvial modifie radicalement le mode d’organisation structurelle du bassin et les anciennes relations entre les ports yangziens et leurs arrière-pays. Dorénavant, centré sur Shanghai, un nouveau rapport qui privilégie la communication fluviale est-ouest du Yangzi en renforçant les liens des divers ports yangziens, émerge, il entraîne aussi un renouvellement des relations entre ces ports avec leurs arrière-pays. Cette évolution a eu lieu entre 1843 et 1937 en trois étapes : d’abord, l’intégration du bassin du Yangzi dans le système-monde qui désenclave un bassin replié sur lui-même en transformant et restructurant les liens entre les ports yangziens de l’est à l’ouest (1843-1864), puis, l’installation d’une ligne de télégraphe entre Shanghai, Wuhan et Chongqing (1865-1892), et enfin la modernisation du transport fluvial sur le Yangzi avec la mise en place des bateaux à vapeur (1893-1937).

Le port de Shanghai joue un rôle fondamental dans cette nouvelle organisation spatiale est-ouest du bassin du Yangzi. Avant 1843, en tant que port maritime ordinaire, Shanghai était tributaire de la ville de Suzhou pour le commerce extérieur du delta du Yangzi. Sa localisation particulière (port maritime et fluvial) et son ouverture sur le monde extérieur en 1842 lui permettent rapidement d’accéder au rang de centre économique et financier de la Chine grâce à l’afflux des investissements étrangers. Suite à l’ouverture progressive d’autres ports yangziens, à l’autorisation de la circulation des navires de commerces étrangers sur le Yangzi, et surtout, en 1853, à l’inauguration de la ligne maritime Shanghai-Hong Kong et de la ligne

243 ZHANG Zhongli et XIONG Yuezhi, op. cit., pp. 272-275.

122 hauturière Shanghai-Londres par la société P. & O.244, le port de Shanghai a endossé un double rôle inédit : à l’intérieur du bassin du Yangzi, il sert de point de commandement pour relier l’ensemble des ports yangziens afin de réaliser une navigation est-ouest unifiée ; au niveau international, le port de Shanghai est désormais l’interface entre le bassin du Yangzi et le monde extérieur : à partir de là, le transport fluvial du Yangzi s’intègre au transport maritime international. Grâce à la montée en puissance de Shanghai et la diffusion de son influence économique dans son arrière-pays direct, le chiffre d’affaire résultant des activités de commerce international entre les régions deltaïques et le monde extérieur a été multiplié par dix entre 1842 et 1852245.

L’ouverture des ports yangziens, l’essor du port international de Shanghai et l’unification de la navigation est-ouest sur le cours principal du Yangzi, ont une profonde répercussion sur l’organisation spatiale du bassin du Yangzi en matière de modernisation et de transformation du régime économique des villes-ports (l’économie traditionnelle chinoise évolue vers l’économie marchande), et de recomposition des liens entre les ports yangziens et leur arrière-pays. Cela permet au bassin du Yangzi, depuis ses régions deltaïques les plus prospères jusqu’à ces régions intérieures les plus enclavées, de s’ouvrir totalement sur le monde extérieur. L’unification du réseau de transport fluvial est-ouest du Yangzi permet une intensification des échanges entre le haut, le moyen et le bas Yangzi. Néanmoins, cette recomposition spatiale du bassin durant les années 1840-1930, en absence d’une évolution de l’économie agricole traditionnelle et de politique de développement, ne peut s’expliquer que de la manière suivante : elle est en fait, une conséquence imprévue issue de l’intégration de Shanghai dans le système-monde. Durant cette période, le développement économique exceptionnel que connaît Shanghai profite du même coup à son arrière-pays direct, le delta du Yangzi. Toutefois, malgré la navigation unifiée est-ouest sur le Yangzi qui permet que l’ensemble du bassin soit intégré comme arrière-pays de Shanghai, la capacité de diffusion économique de celle-ci demeure très limitée ; en conséquence, les relations économiques entre le haut, le moyen et le bas Yangzi sont encore loin d’être unifiées. Avec le développement des régions deltaïques mis en avant, un écart entre les régions yangziennes intérieures et celles deltaïques commence à se creuser, provoquant les disparités économiques régionales du bassin du Yangzi.

244 WAN Jinyu, Shijiu Shiji xifang ziben zhuyi dui zhongguo de jingji qinglue [L’agression économique des occidentaux en Chine au XIXe siècle], Pékin, Renmin chubanshe, 1983, p. 261.

245 WU Xu, Wuxu dangan xuanban [Œuvres choisies de Wuxu], tome 6, Nankin, Jiangsu renmin chubanshe, 1983, p. 31.

123 En conclusion, avant l’ère industrielle, le transport fluvial est le principal mode de transport dans le bassin du Yangzi. Les activités de transport des équipements et des matériaux de caoyun à l’échelle régionale entre le port et son arrière-pays, et à l’échelle nationale entre les ports yangziens et la capitale du Nord, déterminent le niveau de l’économie du bassin du Yangzi. Dans un monde où l’agriculture constitue l’essentiel de l’économie du pays, l’apparition de nouveaux rapports de production qui relèvent du capitalisme dès le XIIe siècle dans le bassin du Yangzi a stimulé la production économique, ce qui permet de renforcer considérablement le lien entre le port et son arrière-pays par des activités commerciales. À partir de 1840, l’ouverture des ports yangziens a permis une nouvelle organisation spatiale du bassin du Yangzi et un renouvellement des relations entre les ports yangziens et leurs arrière-pays. Durant l’époque de la Chine impériale, la transformation spatiale du bassin du Yangzi est profondément caractérisée par l’évolution de ses ports, de leurs activités commerciales, des liens entre ces ports et de l’organisation de relations entre ses ports avec leurs arrière-pays.

Ce lien fleuve, port et arrière-pays ne représente pas seulement les caractéristiques économiques d’une ville portuaire, il révèle les facteurs profonds qui constituent la trame urbaine pour la structuration spatiale du bassin du Yangzi et sont un vecteur pour comprendre l’évolution de l’économie régionale du bassin du Yangzi.

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