L’interaction lumière-matière qui se produit lorsque le faisceau ultra-intense se propage
dans le milieu gazeux résulte potentiellement en l’arrachement d’électrons de leur ion parent,
participant par la suite à la défocalisation du faisceau, de la manière que nous avons vu au cours
de la première partie de ce Chapitre. Plusieurs façons d’ioniser un atome peuvent être
identi-fiées.
2.3.1 Ionisation
Tout d’abord, abordons les processus d’ionisation purement optiques. Plusieurs régimes
existent et, de manière assez simple, peuvent être associés à des valeurs d’éclairements typiques.
Ainsi, par valeurs croissantes d’éclairements, on a :
❏
0 5 10 15 20
Energie du photon-électron
(nombre de photons)
10
-1010
-2610
-1410
-1810
-22Pro
b
a
b
ili
té
d
’io
n
isa
ti
o
n
F
IGURE1.4: Probabilité d’ionisation en fonction
de l’énergie fournie par le champ électrique.
l’ionisation multiphotonique(ou M.P.I.,
pour MultiphotonIonization) : elle est
dominante pour des valeurs modestes
d’éclairements ou pour de très courtes
longueurs d’onde, et consiste en
l’ab-sorption non-linéaire de K photons
[fig.1.5(a)].K est défini comme le plus
petit nombre entier supérieur àU
i/ħω
0,
avecU
ile potentiel d’ionisation du gaz
considéré et ħ = h/2π, où h est la
constante de Planck.
Ceci ne veut pas dire que des
che-mins d’ionisation mettant en jeu plus
de K photons n’existent pas : on parle
alors d’ionisation au-dessus du seuil
(A.T.I. en anglais, pourAbove-Threshold
Ionization) [16]. Dans ce cas, on
repré-sente ce qu’on appelle des pics ATI [cf
fi-gure1.4, représentant la probabilité d’ionisation, obtenue par un calculab initio, en
fonc-tion de l’énergie fournie, pour une impulsion gaussienne àλ
0=800 nm, de durée 27.5 fs et
de 5 TW.cm
−2d’éclairement pic]. Ceux-ci traduisent justement cette possibilité d’ioniser
le milieu en utilisant plus de photons que nécessaire au franchissement du seuil
d’ioni-sation, défini parU
i. On observe ainsi que le premier pic est décalé par rapport au point
d’énergie nulle, et se situe en fait à la différenceKħω
0−U
i, traduisant le fait que
l’absorp-tion d’énergie par le système se fait par valeurs entières de photons. De plus, chaque pic
est séparé du précédent et du suivant par la valeur de l’énergie d’un photon.
❏ l’ionisation par effet tunnel: lorsque le champ électrique commence à modifier
significa-tivement le potentiel coulombien produit par l’atome, la probabilité pour l’électron lié de
passer à travers la barrière par effet tunnel devient non-négligeable [fig.1.5(b)].
A ce propos, lors de ses travaux sur l’ionisation due à une onde électromagnétique
intense [17], Keldysh définit le paramètre adiabatiqueγpermettant d’identifier lequel des
deux précédents régimes d’ionisation prédomine. Il s’écrit :
γ=ω
0p
2m
eU
i|eF| (1.42)
oùF est l’amplitude crête du champ électrique.γest en fait la racine carrée du rapport du
potentiel d’ionisationU
isur l’énergie pondéromotrice de l’électron. La valeur de ce
para-mètre ditde Keldyshdoit être lue de la manière suivante : siγ≪1 (par exemple, lorsque
la valeur deF est élevée), le régime d’ionisation tunnel est prépondérant ; en revanche, si
γ≫1 (avecF faible par exemple), le régime multiphotonique est celui qui domine.
Tou-tefois,γne dépend pas seulement de l’éclairement du champ électrique, mais également
de sa pulsationω
0: plus celle-ci sera élevée, plus le régime sera multiphotonique. Ceci
peut être compris en se représentant le potentiel résultant du couplage entre le champ
électrique et la barrière de Coulomb osciller, au rythme des cycles optiques du champ
électrique. Par conséquent, si la pulsation de ce dernier est trop importante, l’électron n’a
pas le temps de s’échapper par effet tunnel que la barrière est déjà remontée. C’est
pour-quoi le régime d’ionisation tunnel est plus difficile à atteindre avec un champ ultraviolet
qu’avec un champ visible ou infrarouge. Ainsi, pour donner un ordre de grandeur, en
ap-pliquant la formule (1.42) à l’argon, on obtientγ=1 pour un éclairementI≃130 TW.cm
−2àλ
0=800 nm, et pourI≃930 TW.cm
−2àλ
0=300 nm.
❏ l’ionisation « par suppression de la barrière »(ou B.S.I. pourBarrierSupressionIonization) :
le champ électrique est cette fois-ci tellement intense qu’il abaisse la barrière de Coulomb,
libérant de ce fait l’électron [fig.1.5(c)].
r
(a) multiphotonique (b) par effet tunnel (c) au-dessus de la barrière
En
e
rg
ie
r re- e-
e-U
iU
i-E.r U
i-E.r
potentiel du champ électrique E.rF
IGURE1.5: Diagrammes schématiques des différents régimes d’ionisation.
A la suite de l’étude de Keldysh, d’autres travaux ont été menés dans le but d’établir une
formule capable de calculer approximativement la probabilité d’ionisation (multiphotonique
et tunnel) par unité de tempsW(I) d’atomes plongé dans un champ électrique intense [18,19].
Ils ont abouti à la formule dénommée PPT
6, modèle encore aujourd’hui utilisé dans les
simula-tions numériques et dont le détail est donné enAnnexeB.
Une vingtaine d’années plus tard, la théorie ADK
7[20] aboutit à une meilleure évaluation de
l’ionisation d’une part par effet tunnel, et d’autre part appliquée à des molécules. En effet, PPT
amenait dans ce dernier cas à des résultats en désaccord avec les observations.
Les théories de Keldysh, PPT et ADK concernent uniquement des champs
monochroma-tiques. Cependant, rappelons que l’un des axes de développement de cette thèse est la remise
en question de l’évaluation de cette probabilité d’ionisation, lorsque le champ fondamental est
accompagné d’une ou plusieurs de ses harmoniques. Notons à ce sujet que, déjà à l’époque,
deux des trois auteurs de la théorie PPT s’étaient intéressés à cette question [21].
Enfin, évoquons une dernière façon d’ioniser un atome, qui sera prise en compte dans nos
équations : l’ionisation par avalanche [22]. Au contraire des mécanismes d’ionisation
précé-dents, celui-ci est un processus collisionnel.
En
e
rg
ie
e-Temps
U
ie-
e-e-(1)
(2) (3)
(4)
Avalanche
F
IGURE1.6: Etapes du processus d’ionisation par avalanche, de manière chronologique.
Ce processus se déroule en plusieurs étapes, schématisées par la figure1.6:
• étape(1) : un atome est ionisé par le champ électrique, et un électron est alors éjecté,
• étape(2) : par Bremsstrahlung inverse, l’électron libre est accéléré par absorption de
pho-ton(s),
• étape(3) : cet électron accéléré a une certaine chance de rentrer en collision avec un autre
atome et d’ioniser ce dernier, perdant au passage une partie de son énergie cinétique,
• étape(4) : des électrons sont libérés en cascade, un électron libre en entraînant un autre
et ainsi de suite, ce qui donne son nom au processus.
2.3.2 Densité de courant
Lorsque des atomes sont ionisés, les électrons libérés sont animés d’une vitessev
eet
in-duisent une densité de courant J =eρv
e. Pour évaluer cette dernière, nous aurons recours à
l’équation de Navier-Stokes, qui n’exprime rien de plus que « somme des forces=masse×
ac-célération » dans le cas de fluides. Appliquée au cas des électrons libres, associant par la même
leur mouvement aux forces qui s’exercent sur eux, on obtient [23,24] :
∂v
e∂t +v
e.∇v
e= e
m
eµ
E+v
e∧B
c
¶
−ν
ev
e−Sv
eρ (1.43)
Notons que les deux termes du membre de gauche de l’équation précédente, et pas seulement
le premier, proviennent de l’expression de l’accélération des électrons libres
8.
Dans le membre de droite à présent, le premier terme correspond à la force de Lorentz, le
deuxième est le terme de collisions (ν
eétant la fréquence effective de collision) et le dernier
terme est relié à la source externe de plasmaS, qui peut s’écrire en suivant le principe de
conti-nuité (ou loi de conservation)
9:
S =∂ρ
∂t + ∇.¡
ρv
e¢
(1.44)
et est donc proportionnelle à l’évolution de la densité d’électrons libres :
∂ρ
∂t =W(I)¡
ρ
at−ρ¢
+ σ
U
iρI−αρ
2(1.45)
où l’on retrouve la probabilité d’ionisation par unité de tempsW(I), et où ρ
atest la densité
atomique initiale,αest le taux de recombinaison,σ(ω) est la section efficace du Bremsstrahlung
inverse, associée au processus d’ionisation par avalanche et définie par :
σ= e
2
τ
cǫ
0m
ec(1+τ
2cω
20) (1.46)
oùτ
cest le temps de collision d’un électron avec un atome neutre. Pour sa part, le deuxième
terme du membre de droite de l’équation (1.44) correspond au terme de convection.
8. Le deuxième terme du membre de gauche de l’équation (1.43) varie comme le carré de la vitesse, et rend l’équation de Navier-Stokes non-linéaire, lui donnant à ce titre toute sa complexité mathématique (en physique, cette non-linéarité traduit la notion de turbulence). Elle est tellement complexe que sa résolution fait l’objet d’un des sept problèmes du millénaire posés par la fondation Clay, avec à la clé un prix d’un million de dollars pour quiconque parviendra à apporter la preuve que sa solution (en 3D) existe.
En combinant les équations (1.44) et (1.43), on obtient :
∂J
∂t+ν
eJ=e
2ρ
m
eE+Ξ (1.47)
avec :
Ξ= e
m
ecJ∧B−
·
(∇.J) J
eρ+(J.∇)v
e¸
(1.48)
représentant les forces pondéromotrices. Pour des éclairements inférieurs à 10
15W/cm
2,Ξpeut
être négligé. Par conséquent, ˜J (dans l’espace des fréquences) vérifie :
˜
J= e
2